Le Bonheur est pour demain
France, 2023
Titre original : –
Réalisatrice : Brigitte Sy
Scénario : Brigitte Sy, Christine Dory et Frédéric Serve
Acteurs : Laetitia Casta, Damien Bonnard, Béatrice Dalle et Guillaume Verdier
Distributeur : Paradis Films
Genre : Drame romantique
Durée : 1h39
Date de sortie : 31 janvier 2024
2,5/5
Dans les années 1990, une fasciantion différente émanait-elle du monde des gangsters, ce mythe qui n’avait pas encore été sacrifié sur l’autel de toutes sortes de luttes idéologiques ? Par conséquent, est-ce qu’un hommage nostalgique à ces hors-la-loi fait sens trente ans plus tard, sans pour autant en tirer quelque conclusion rétrospective que ce soit ? En guise de réponse à ces interrogations hypothétiques, nous considérons que le principal problème moral du Bonheur est pour demain se situe dans sa soumission au régime des malfrats traités comme des héros. A ce dilemme, certes récurrent, Brigitte Sy ne trouve aucune perspective nouvelle à apporter. L’amour inconditionnel de sa femme y interdit d’emblée une éventuelle ambiguïté du sentiment de loyauté envers ce braqueur de banques, qui passera l’essentiel de sa vie derrière les barreaux. Ce qui nous amène au dilemme encore plus préjudiciable au troisième long-métrage de la réalisatrice.
En effet, afin de nous intéresser au sort de ce couple séparé par la loi pendant des années et un récit réparti en quatre temporalités successives, il aurait été préférable qu’on croie un minimum en cet amour plus fort que toutes les formes de séparation. Hélas, rien dans les interprétations respectives de Laetitia Casta et de Damien Bonnard ne nous fait réellement adhérer à cette passion à distance, étalée sur la durée par une narration qui s’appuie plus sur l’atmosphère que sur l’action. L’étincelle initiale qui était censé se transformer au fil du temps en dévouement indéfectible n’apparaît jamais à l’écran, laissant les deux comédiens réduits à leur fond de commerce habituel, à savoir l’entêtement loufoque pour Casta et la force tranquille pour Bonnard.
Du côté des seconds rôles, le constat n’est guère plus reluisant avec Béatrice Dalle en mère au grand cœur pas aussi trash que le ton plutôt mou du film l’aurait nécessité et Guillaume Verdier cantonné au rôle de méchant sans envergure et constamment agacé.
Synopsis : Lille, 1994. Sophie partage sans enthousiasme la vie du petit trafiquant de drogues José. Seuls son fils Rocco et le projet d’ouvrir un jour son propre magasin de vêtements lui apportent un peu de bonheur. Quand elle fait la connaissance de Claude, un ancien camarade de classe et complice de José, c’est le coup de foudre. Les deux amants se jurent de ne plus se quitter, une fois que Claude sera revenu de sa dernière mission. Puisque celle-ci consiste en le braquage d’une banque qui tourne au fiasco, le beau ténébreux ne tarde pas à être arrêté par la police. En attendant son procès, Sophie lui rend régulièrement visite en prison, dans l’espoir de pouvoir un jour reconstruire sa vie avec lui.
De l’amour, de la drogue et du mambo
Ah, qu’elles apparaissent joliment désuètes de nos jours, ces années 1990, où le monde avançait à un rythme différent du nôtre et où la surveillance pénitentiaire avait l’air étonnamment laxiste ! Sauf que Le Bonheur est pour demain ne s’évertue guère à dresser le portrait saisissant d’une époque. Tout juste, certains indices nous y situent vaguement : des costumes aux couleurs criardes qui donnent fort à faire à la photo pas sans attrait de Frédéric Serve, ainsi que la maladie de la mère de Claude, le sida, évidemment, traité ici sans véritable importance, ni incidence sur le déroulement du récit. Pour le reste, cette histoire langoureuse aurait pu se passer à peu près n’importe quand et n’importe où, tant elle alimente la vieille rengaine de la femme armée d’une patience incroyable pour préserver sa relation tronquée.
Malheureusement, cet empêchement permanent ne fait nullement du bien au film, condamné à se morfondre en poncifs. Ce ne sont donc pas uniquement les faits criminels de Claude qui se passent pour l’essentiel hors cadre, mais également la manifestation concrète de cet amour plus fort que tout. Ce dernier est obligé de se résumer à quelques expressions d’intentions et autres séquences d’énervement, courant plus qu’une fois le risque de la redondance, au lieu de nous permettre de nous rallier à un idéal romantique à l’abstraction hasardeuse. Entre l’expression de la banalité du quotidien, voire de la marginalité d’un milieu de laissés-pour-compte et la pureté affective des sentiments que Sophie éprouve à l’égard de Claude, la mise en scène ambitionne d’accomplir le genre de grand écart dont les moyens cinématographiques sont visiblement hors de portée pour elle.
Sainte ou femme au foyer
Sophie attend, encore et toujours, la chimère d’un bonheur familial qu’elle n’aura aucune chance d’atteindre. Pour elle, l’avenir n’aura jamais le doux parfum harmonieux de ce vieux couple qui danse tendrement enlacé au tout début du film. Son sort est davantage fait de moments d’angoisse et de solitude, de déplacements avec un ou deux enfants sur les bras ou dans la poussette, liée à la vie, à la mort au bon vouloir de la voisine heureusement très solidaire de garder sans préavis cette même progéniture. Il ne s’agit nullement ici d’un personnage féminin en voie d’émancipation, mais plutôt d’une adhérente à la répartition classique des rôles au sein du couple.
En somme, l’homme décide et la femme s’exécute. Elle est prête à courir tous les risques pour aider son mari dans le cœur, quitte à basculer elle-même du côté d’une criminalité à l’égard de laquelle elle avait jusque là affiché une certaine indifférence pragmatique.
Bref, pour un film tourné par une réalisatrice au milieu des années 2020, Le Bonheur est pour demain n’a strictement rien du pamphlet féministe. Au mieux, cette histoire longuette souligne les limites de la conception de l’image de la femme à la fin du siècle dernier. Au pire, elle les perpétue sans broncher au cours d’un récit très avare en surprises ou moments inattendus. Les petits bonheurs d’une relation à distance doivent y faire office de miettes de satisfaction pour un personnage féminin qui met le bien-être de son homme avant le sien. Et puisque Claude moisira en prison jusqu’à la fin de ses jours, c’est à travers les enfants qu’elle s’évertuera à vivre leur amour.
Aussi conforme à la structure traditionnelle de la famille ce message soit-il, il a beaucoup plus de mal à passer à une époque, où cette même disposition relationnelle se réinvente chaque jour avec en son centre le rôle progressivement grandissant de la place et de la parole des femmes.
Conclusion
A ne pas confondre avec le drame social du même titre de Henri Fabiani, tourné en 1960 et ressorti sur nos écrans il y a une dizaine d’années, ce Le Bonheur est pour demain-ci appartient davantage aux œuvres sans signes distinctifs. La réalisatrice Brigitte Sy s’y efforce certes à nous faire adhérer à la longue croisade romantique d’une femme tombée follement amoureuse d’un gangster taciturne. Mais ni l’alchimie manquante entre les deux personnages principaux, ni un récit en perte irrémédiable de vitesse ne sont en mesure de nous y faire croire.