Critique : La Voie royale

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La Voie royale

France, Suisse, 2023
Titre original : –
Réalisateur : Frédéric Mermoud
Scénario : Anton Likernik, Frédéric Mermoud et Salvatore Lista
Acteurs : Suzanne Jouannet, Marie Colomb, Maud Wyler et Marilyne Canto
Distributeur : Pyramide Distribution
Genre : Drame universitaire
Durée : 1h47
Date de sortie : 9 août 2023

3/5

Les Français et leurs grandes écoles, c’est une obsession empreinte d’ambiguïté dont le cinéma se fait régulièrement l’écho. Dans la plupart des cas, le combat à armes inégales entre l’élève aux aspirations et aux valeurs encore intactes et le rouleau compresseur de l’institution éducative se solde par l’échec cuisant du premier. Pendant longtemps, on pourrait croire que La Voie royale emprunte ce chemin tracé d’avance. A l’image de son héroïne, toujours un peu insaisissable, toujours tiraillée entre deux mondes, le troisième long-métrage de Frédéric Mermoud laisse néanmoins la porte ouverte à une interprétation finale moins fataliste. A moins que ce récit d’apprentissage ne se veuille justement le portrait le plus exact possible de la jeune génération des années 2020. C’est-à-dire de jeunes femmes et de jeunes hommes dévorés par une ambition considérable, sans savoir réellement quoi en faire.

Le parcours passablement laborieux de l’aspirante au plus haut niveau des grandes écoles que Suzanne Jouannet interprète avec autant de fougue que de fragilité ne se conjugue pas sous le signe du rejet. Elle ne cherche guère à s’affranchir de la tradition paysanne familiale, incarnée par ses parents, campés avec beaucoup de dignité et de bienveillance par Marilyne Canto et Antoine Chappey. Mais elle ne sort pas non plus du cocon provincial, afin de révolutionner son nouvel environnement élitiste. Au début, les idées moins formatées de sa camarade de classe lui paraissent même comme une insulte envers l’éthique du travail dur et docile, prêchée par son école. Et pourtant, petit à petit, sa personnalité s’affirme, précisément à travers son refus obstiné de se conformer aux cases que ses différentes sphères sociales voudraient bien lui attribuer. Rien que pour ce propos intelligemment nuancé, La Voie royale vaut amplement le détour !

© 2023 Emmanuelle Firman / Tabo Tabo Films / Bande à Part Films / Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma /
Radio Télévision Suisse / Pyramide Distribution Tous droits réservés

Synopsis : Peu de temps avant le bac, Sophie Vasseur n’a toujours pas de plan de carrière fermement établi. Surdouée en mathématiques, elle aimerait mettre ses capacités au service de l’élevage de porcs de ses parents, en intégrant une université agricole proche de chez elle. Le soutien de son professeur lui permet toutefois de cultiver des rêves plus ambitieux. Dès lors, elle vise les classes préparatoires scientifiques de l’école Descartes à Lyon en tant que boursière, afin d’être prête à intégrer les grandes écoles les plus prestigieuses. Les premiers mois s’avèrent par contre des plus décevants, puisque Sophie n’a clairement pas le niveau académique requis pour suivre ses cours de plus en plus exigeants.

© 2023 Emmanuelle Firman / Tabo Tabo Films / Bande à Part Films / Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma /
Radio Télévision Suisse / Pyramide Distribution Tous droits réservés

Troisième violon

Souvent, les premières images d’un film sont révélatrices de la suite. Celles de La Voie royale – au demeurant identiques à celles de la bande-annonce – nous montrent Sophie de dos, avançant avec un pas décidé à travers les étables de la ferme familiale. Une fois la barrière franchie, elle poursuit sa route, alors que la caméra reste à distance, comme retenue par l’obstacle symbolique du portail. Sans vouloir nous adonner à l’exercice toujours périlleux de l’interprétation forcenée, il nous paraît évident qu’une bonne partie de la trajectoire du personnage principal soit déjà anticipée dans ces deux premiers plans. Car même si cette jeune femme reste toujours accessible, voire attachante dans la suite des échecs scolaires qu’elle doit encaisser, elle garde constamment une part de mystère quant à ses véritables intentions.

Contrairement à sa meilleure amie de calvaire de prépa, Marie Colomb en tant que révélation du film peut-être encore plus brillante que ne l’est Suzanne Jouannet, Sophie adopte avant tout une posture de suiveuse. Cette attitude passive se manifeste d’emblée, quand il faudra le coup de pouce appuyé de son prof de lycée pour lui faire franchir le pas vers le rêve de tous les possibles. Et elle demeure quasiment inchangée jusqu’à la fin, grâce à la mise en scène sobre de Frédéric Mermoud, qui nous épargne le grand moment pathétique du dépassement du cap vers la grandeur, un passage obligé dans chaque film hollywoodien du même genre qui se respecte. Non, rien n’est acquis pour cette battante de l’ombre, qui réussit malgré tout à tirer son épingle du jeu en bossant dur, mais à sa façon.

© 2023 Emmanuelle Firman / Tabo Tabo Films / Bande à Part Films / Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma /
Radio Télévision Suisse / Pyramide Distribution Tous droits réservés

Marcher sous la pluie

Le but justifie-t-il donc tous les moyens dans ce film passionnant, quitte à avoir recours à toutes sortes de comprimés dopants ? La vision du monde que Frédéric Mermoud semble vouloir transmettre nous paraît infiniment plus subtile. Certes, le réalisateur pratique un peu trop librement l’apologie du tabagisme, la clope faisant figure de lien social incontournable à la fois entre la fille et son père et entre elle et son futur copain par intermittence. Mais dans l’ensemble, l’enjeu moral du récit reste agréablement vague. D’où sans doute les hésitations successives de Sophie, tour à tour accablée par ses notes minables et motivée par l’objectif de vaincre définitivement son complexe d’infériorité sociale en intégrant la plus inaccessible des grandes écoles.

Son repère indirect dans cette course contre la montre et les préjugés est sa professeure référente. Maud Wyler a sensiblement plus de temps à consacrer à ce personnage afin de lui conférer la carrure et la profondeur nécessaire qu’à son rôle minuscule précédent dans Sur la branche de Marie Garel-Weiss. Ici, elle peut faire preuve de fermeté à l’égard de ses élèves qui ne sont pas à la hauteur, tout en les encourageant à ne pas lâcher, en dépit des nombreux contretemps. Cependant, à aucun moment elle n’a de quoi s’improviser en modèle à suivre pour la plus discrètement coriace de ses élèves. Pour cela, elle a d’ores et déjà nourri des ambitions trop grandes dans l’esprit de Sophie, pour que celle-ci ne se contente d’un simple parcours dans l’enseignement.

Où la jeune diplômée s’arrêtera-t-elle ? Le film de Frédéric Mermoud se garde bien de nous le révéler platement, préférant la fin ouverte à l’hymne au volontarisme dans sa version la plus brute.

© 2023 Emmanuelle Firman / Tabo Tabo Films / Bande à Part Films / Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma /
Radio Télévision Suisse / Pyramide Distribution Tous droits réservés

Conclusion

La véritable bonne surprise de La Voie royale n’est pas tant à chercher du côté des grandes lignes de son intrigue, somme toute fidèle au dispositif de l’apprentissage au forceps. Elle se situe davantage dans les nombreuses zones troubles en termes d’ambitions et de philosophie de vie de sa jeune héroïne. En effet, la belle interprétation de Suzanne Jouannet rend le personnage joliment ambigu, figé dans une indécision permanente et en même temps capable de suivre sa propre stratégie, seulement victorieuse in extremis. Au détail près que ce don dont elle dispose désormais pour changer le monde, personne ne sait réellement à quoi il va lui servir. Peut-être même pas elle-même … Toute la richesse du film de Frédéric Mermoud réside dans ce doux dilemme.

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