Critique : La terre des hommes

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La terre des hommes

France : 2019
Titre original : –
Réalisation : Naël Marandin
Scénario et dialogues : Naël Marandin, Marion Doussot, Marion Desseigne-Ravel
Interprètes : Diane Rouxel, Finnegan Oldfield, Jalil Lespert, Olivier Gourmet
Distribution : Ad Vitam
Durée : 1h36
Genre : Drame
Date de sortie : 25 août 2021

3.5/5

Agé de 40 ans, Naël Marandin a commencé par être acteur, au théâtre dès l’âge de 13 ans, puis au cinéma et à la télévision, avant de se tourner vers la réalisation. Son premier long métrage, La marcheuse, date de 2015. La terre des hommes est son deuxième long métrage. Un point commun entre les deux films : ils relatent l’histoire de femmes qui se battent dans un univers masculin. Une différence importante entre les deux films : La marcheuse est un film qui se déroule dans un environnement très urbain alors que La terre des hommes est un film sur le monde de la campagne. Un film qui a obtenu le label de la Semaine de la critique de Cannes 2020.

Synopsis : Constance est fille d’agriculteur. Avec son fiancé, elle veut reprendre l’exploitation de son père et la sauver de la faillite. Pour cela, il faut s’agrandir, investir et s’imposer face aux grands exploitants qui se partagent la terre et le pouvoir. Battante, Constance obtient le soutien de l’un d’eux. Influent et charismatique, il tient leur avenir entre ses mains. Mais quand il impose son désir au milieu des négociations, Constance doit faire face à cette nouvelle violence.

La course au financement

Lorsque Naël Marandin et son producteur Julien Rouch ont commencé à rechercher le financement nécessaire pour la réalisation de La terre des hommes, on ne peut pas dire que l’enthousiasme était de mise : un film sur les problèmes du monde paysan, pourquoi pas, une histoire de viol qui vient se greffer dessus, pourquoi pas, mais alors, pas le type de viol proposé par le réalisateur, mettant en scène une femme en état de sidération face à un homme qui a de l’ascendant sur elle et elle qui ne fait que tenter de le repousser. « On ne comprend pas bien de quoi se plaint cette jeune femme ? C’est juste une relation trouble… », disaient les financiers potentiels. D’accord pour un viol, mais à condition que le spectateur ait la certitude qu’il s’agit bien d’un viol « pur et dur », avec un homme qui fait usage de sa force physique, avec une femme qui se débat et qui crie. Exactement tout ce dont Naël Marandin ne voulait pas ! Là dessus, l’affaire Weinstein est arrivée et le scénario, qui n’avait pas changé, a été vu d’un œil beaucoup plus favorable.

Cette jeune femme qui se fait violer, c’est Constance, la fille de Bernard, un éleveur de bovins de la Saône-et-Loire. L’exploitation de Bernard est tout proche de la faillite. Avec Bruno, son fiancé, Constance aimerait reprendre l’exploitation, tous les deux ont monté un dossier mais il y a un obstacle à franchir : obtenir l’accord de la SAFER. Une chance pour Bruno et Constance, Sylvain, le président de la SAFER locale semble favorable à leur projet. A l’opposé, il y a au moins trois gros cailloux sur leur route : tout d’abord le fait que Constance, peu soutenue par un fiancé quelque peu effacé, évolue trop seule dans un monde d’hommes, un monde où la beaufrerie de certains peut aller jusqu’à une plaisanterie d’un goût exquis : mettre verbalement Constance aux enchères ! Ensuite, les élections pour le poste de président de la SAFER locale sont proches, Sylvain, le président sortant, compte se représenter, il est favorable au projet de Constance et de Bruno, et, par conséquent, son concurrent, bien qu’ami de Bernard, est contre ce projet ; et puis Sylvain, cet homme marié à la vétérinaire locale, ce père de deux enfants, cet homme qui semble éminemment sympathique et qui n’a rien d’un « serial violeur », en arrive, fort du pouvoir de décision dont il dispose, à faire une fixette sexuelle sur Constance et à passer à l’acte.

Un réalisateur face à 3 thèmes différents

Naël Marandin n’a pas choisi la facilité en mêlant 3 thèmes différents dans La terre des hommes : les problèmes que rencontre le monde paysan, avec la toute puissance de la grande distribution sur les prix, l’espoir mis dans des niches pouvant permettre de sortir de l’ornière par certains représentants de la jeune génération, les querelles intestines, les luttes de pouvoir au sein de la communauté paysanne ; le thème du viol, avec la particularité choisie par le réalisateur d’être commis sans violence physique par un homme dont rien ne permet de deviner qu’il est capable d’un tel acte  mais qui profite d’une situation de pouvoir, et d’être subi par une jeune femme qui, dans l’état de sidération qui est le sien face à ce qu’elle endure, ne fait que chuchoter son refus et ne se débat pas vraiment ; le thème du couple, celui de Constance et Bruno, face à ce qui peut être ressenti, par Bruno, comme une infidélité de la part de Constance. Si les deux autres thèmes sont traités avec un certain brio et sont loin d’être inintéressants, c’est la façon dont est abordé le thème du viol qui fait de La terre des hommes un film au cachet particulier : montrant qu’un homme ordinaire, prévenant, heureux en ménage et père de 2 jeunes enfants peut révéler une face beaucoup plus noire dans certaines conditions ; montrant qu’il y a viol dès lors que la victime exprime son refus, quand bien même ce refus est quasiment chuchoté, quand bien même elle ne se débat pas de façon ostensible et sonore, quand bien même il n’y a pas de violence physique de la part du violeur. Finalement, le seul bémol concernant ce film réside dans le traitement parfois maladroit de la relation entre ces 3 domaines.

Un casting parfait

Découverte en 2014 dans The smell of us de Larry Clark, confirmée un an après dans La tête haute d’Emmanuelle Bercot, Diane Rouxel est impressionnante dans le rôle de Constance, montrant tout à la fois fragilité et détermination, naïveté et ruse. Jalil Lespert, l’interprète de Sylvain, est tout aussi convaincant dans le rôle difficile d’un homme montrant 2 visages à l’opposé l’un de l’autre. A côté de Diane Rouxel et de Jalil Lespert, Finnegan Oldfield, l’interprète de Bruno, apparait plus effacé : le comédien n’y est pour rien, c’est le rôle qui l’exige. Quant à Olivier Gourmet, il est parfait, comme d’habitude, dans son interprétation de Bernard, un agriculteur d’une cinquantaine d’années, dépassé par l’évolution de son métier et qui arrive, malgré ses réticences, à faire confiance aux choix de sa fille.

Conclusion

Même si on peut trouver quelques maladresses dans le traitement de la relation entre les 3 thèmes que Naël Marandin a choisi d’aborder dans La terre des hommes, ce film fait preuve d’une force indéniable, surtout s’agissant du thème du viol. Quant à la distribution, elle est absolument parfaite, avec, en particulier, une impressionnante Diane Rouxel.

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