Critique : La Randonnée (Walkabout)

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AF WALKABOUT.inddLa Randonnée

Australie, 1970
Titre original : Walkabout
Réalisateur : Nicolas Roeg
Scénario : Edward Bond, d’après l’oeuvre de James Vance Marshall
Acteurs : Jenny Agutter, Luc Roeg, David Gulpilil
Distribution : Solaris Distribution
Durée : 1h40
Genre : Drame
Date de sortie : 3 juin 2015

Note : 4/5

D’origine anglaise, Nicolas Roeg a débuté sa carrière en tant que chef-opérateur chez David Lean (Lawrence d’Arabie, Docteur Jivago, excusez du peu) ou François Truffaut (Fahrenheit 51), période durant laquelle des velléités de mise en scène commencent à le titiller. Quelques années plus tard, son souhait sera exaucé lorsqu’il co-réalisera (avec Donald Cammel) un premier long-métrage, très étrange, Performance, dont les premier rôles étaient tenus par Mick Jagger et Anita Pallenberg. Pour l’anecdote, cette dernière était à l’époque la compagne de Keith Richards dont il regardait d’un mauvais oeil les scènes de sexe (non simulées d’après certains témoignages) entre Mick Jagger et celle qui fut alors sa petite amie. L’on raconte que le guitariste des Rolling Stones s’impatientait à l’extérieur des studios, furibard, alors que sa dulcinée et le chanteur lippu répétaient indéfiniment certaines séquences pour les besoins du tournage. Quoi qu’il en soit, Nicolas Roeg constitue peut-être l’un des rares cas où un ancien chef-opérateur devient par la suite un réalisateur reconnu, à la fois, par la critique et le public. Fors Jack Cardiff, anglais également, je ne vois guère d’autres exemple de ce type excepté quelques exemples de-ci, de-là. Peut-être pourra-t-on citer Wally Pfister, ancien directeur de la photographie chez Christopher Nolan avant qu’il ne s’attelle à son premier film, avec Johnny Deep dans le rôle titre : Transcendence.

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Synopsis : Sous une chaleur écrasante, une voiture sillonne l’Outback australien. A son bord, un père de famille, accompagné de ses deux enfants – une adolescente et son petit-frère – en quête d’un lieu idoine pour pique-niquer. Ce dernier, un brin chahuteur, simule une fusillade imaginaire, armé de son pistolet en toc. Plus disciplinée, sa grande soeur s’initie au français à l’aide d’une cassette audio. Quant au paternel, engoncé dans son costume trois-pièces, il ne cesse d’admonester ses enfants, les obligeant, au moindre fait et geste, à se calmer. D’emblée, le réalisateur installe une ambiance anxiogène et étouffante : la sévérité du père alliée au ton étrangement monocorde de sa voix participent au climat étrange de cette séquence. Finalement, arrivé à bon port, les enfants installent le repas avant que le père ne pète littéralement un plomb : il tire sur ses enfants avec une arme à feu, authentique cette fois, avant de retourner celle-ci contre lui et de s’immoler par le feu après s’être aspergé d’essence. Par chance, le père aura manqué ses cibles. Dès lors, les deux jeunes gens n’auront plus qu’une seule alternative : survivre et trouver de l’aide. Au cours de leurs pérégrinations, ils rencontreront fortuitement un aborigène effectuant son « Walkabout », une sorte de rituel initiatique consistant à survivre dans le désert, seul, pendant une année. Ce dernier leur sera d’une grande aide au sein de l’Outback, dont la beauté n’a d’égale que l’aspect âpre et hostile du lieu.
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Des visions dantesques et surréalistes

Ainsi débute Walkabout, un des plus beaux longs-métrages de Nicolas Roeg. Féru de mysticisme et d’ésotérisme, expert ès science occulte, Nicolas Roeg parsème son film de visions dantesques et surréalistes participant au caractère hallucinatoire, quasi psychédélique, du long-métrage. La musique de John Barry, dont les envolées lyriques et symphoniques parsemées ici et là de sonorités électronique, contribue à élever le film vers une expérience sensorielle et auditive hypnotique. A l’instar d’une drogue hallucinogène, l’auteur de Don’t Look Now s’attache à chaque détail et parvient à rendre sensible et concret chaque élément, et mouvement infinitésimal, de la faune et flore australienne. Dans un geste embrassant la cosmogonie, l’infiniment grand côtoie l’infiniment petit de manière permanente via un montage astucieux : les différentes espèces peuplant le désert (lézards, kangouros, serpents, scorpions, koalas…), ainsi que les quelques tribus aborigènes restantes, sont les reliquats d’un monde qui subsiste malgré le caractère vorace du monde industriel.

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Auprès de l’aborigène (incarné par David Gulpilil, que l’on a également pu voir chez Peter Weir, dans La Dernière Vague, et plus récemment chez Rolf de Heer), les deux jeunes gens retrouvent un état de fait primitif, quasi virginal, en phase avec la Nature. Alors qu’elle semblait, au début du film, corsetée et bridée par ses vêtements, la jeune fille se libère de ses attributs occidentaux, bourgeois et purement matérialistes pour se baigner, dans sa tenue d’Eve, dans une rivière. Telles les filles de l’internat, dans le magnifique film de Peter Weir, Picnic at Hanging Rock, qui, au contact du bush australien et d’une mystérieuse force tellurique indicible symbolisée par une montagne, réagiront de manière étrange avant de disparaître, sans laisser de trace, hormis leurs habits respectifs retrouvés épars sur le sol. Comme s’il fallait s’affranchir intégralement de ses attributs artificiels pour être accepté par la Nature et former un tout avec elle.

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Le désert comme lieu propice à la fiction

Walkabout s’inscrit dans cette lignée de films australiens qui se réappropriait le désert comme un lieu propice à la fiction, après des années de dissimulation par l’historiographie officielle et de destruction par l’homme. Où l’on pouvait revisiter l’Histoire du pays à travers le prisme cinématographique et ses différentes ramifications liées au genre. Où l’on pouvait également donner un cadre, un écrin visuel, aux exclus du cinéma australien classique et, partant, de l’imagerie officielle : les aborigènes, les ploucs (Wake in Fright de Ted Kotcheff). Dans les deux films, l’Outback australien constitue un lieu pur, libre, régi par des forces irrationnelles, non compréhensibles par le monde capitaliste et industriel dont le caractère matérialiste et protestant (sous l’effet de l’empire britannique de jadis ) s’accommode mal avec les croyances païennes des aborigènes. Symbole d’une liberté vis-à-vis de l’aliénation industrielle et de ce paradigme occidental incitant à la consommation, au travail et à la propriété privée, trois aspects inhérents au mode de vie libéral (au sens économique). Le culte de l’éphémère et de l’argent face à la force libératrice et désinhibante de la Nature. Il n’est pas surprenant que c’est le petit garçon, figure candide, qui communique le plus facilement avec l’aborigène, comme chez Voltaire.

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Conclusion

D’une force visuelle évidente, Walkabout est, en plus du travail sur la bande-son, une expérience totale qui se doit d’être vue au sein d’une salle de cinéma afin d’être appréciée à sa juste valeur.

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