Critique : La maison à la tourelle

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la maison à la tourelle_afficheLa maison à la tourelle

Ukraine : 2012
Titre original : Dom s bashenkoy
Réalisateur : Eva Neymann
Scénario : Eva Neymann
Acteurs : Dmitriy Kobetskoy, Katerina Golubeva
Distribution : A3 Distribution
Durée : 1h 20
Genre : Drame
Date de sortie : 20 novembre 2013

Globale : [rating:5][five-star-rating]

Il y a 6 ans, Eva Neymann, une jeune réalisatrice ukrainienne de 33 ans signait son premier long métrage, U reki (Au bord de l’eau), un film présenté dans de nombreux Festivals mais dont la distribution en salles se limita à la seule Ukraine. Ce premier film était l’adaptation de deux nouvelles de Friedrich Gorenstein, le scénariste de Solaris de Tarkovski. C’est de nouveau à partir d’un roman de Gorenstein, quasiment autobiographique, publié en 1964, qu’Eva Neymann, cette ancienne assistante de Kira Muratova a écrit le scénario de La maison à la tourelle, un film magistral qui devrait l’imposer dans le panthéon des grands réalisateurs de ce début de 21ème siècle.

Synopsis : Hiver 1944. Une mère et son fils de huit ans traversent l’Union Soviétique à bord d’un train pour rejoindre leur famille. Au cours du voyage, la mère tombe gravement malade et doit être hospitalisée d’urgence. L’enfant se retrouve alors livré à lui-même dans une ville inconnue et rapidement confronté au règne de la misère et l’indifférence.

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Une histoire simple

Le film, comme le livre, raconte l’histoire d’un petit garçon de huit ans, orphelin de père, qui, durant l’hiver 1944, traverse l’URSS avec sa mère pour rejoindre l’Ukraine, leur région d’origine. Sa mère meurt dans un hôpital, le petit garçon se retrouve seul mais il reprend le train pour continuer ce voyage. Difficile de faire plus simple comme trame d’un scénario ! D’une telle histoire minimaliste, totalement mélodramatique, que va faire un réalisateur de cinéma, ou plutôt ici, une réalisatrice ? Tout est a priori possible, le pire comme le meilleur.

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Beauté, noirceur, émotion

Dès la première minute du film, le spectateur est saisi par la beauté des images : les cadrages sont millimétrés, le noir et blanc est admirable, la lumière est remarquable. Tout de suite, on pense aux grands maîtres de l’école soviétique, on pense à Kalatozov, on pense à Tarkovski. Particulièrement esthétique, le film arrivera-t-il à émouvoir ? En fait, très vite, on sait que l’intrigue progressera lentement et pourtant on ressent tout au long du film une telle tension, une telle émotion qu’il est impossible de décrocher de l’écran, ne serait-ce qu’une fraction de seconde. Il faut dire que la réalisatrice a fait le choix judicieux de placer son film au niveau de l’enfant, de raconter l’histoire par le biais de ce qu’il ressent, de ce qu’il vit, de ce qu’il rêve. Cet enfant, il est immergé dans un monde d’adultes eux-mêmes en plein désarroi : il fait froid, il fait faim, la pagaille est reine. Lorsque sa mère est envoyée à l’hôpital lors d’un arrêt du train dans une gare noire de monde, l’enfant doit prendre en charge à lui tout seul les misérables bagages que sa mère et lui transportaient. Comment arriver à se déplacer avec tout ce barda ? Est-il possible de le confier à quelqu’un ? A l’hôpital, l’atmosphère est sinistre, les infirmières sont terrifiantes et il lui est difficile d’approcher sa mère mourante. A la poste, comment se faire aider pour envoyer un télégramme à son grand-père ? En fait, à chaque tentative de contact avec le monde des adultes, la question se pose pour l’enfant : comment va-t-il être reçu ? Va-t-il être repoussé, volé, aidé ? Seul rayon de soleil dans cette noirceur, une maison devant laquelle l’enfant passe à plusieurs reprises et devant laquelle joue une petite fille qui pourrait, pourquoi pas, devenir son amie. Une grande maison, presque aussi blanche que la neige qui tombe, la maison à la tourelle.

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Tous les choix sont judicieux !

Pour arriver à greffer une émotion qui soit franche et sans pathos sur cette grande beauté formelle, le choix de l’interprète de l’enfant était capital. Il s’est porté sur un jeune orphelin, Dmitiy Kobetskoy, Eva Neymann pensant que son propre vécu enrichirait le film. Bonne pioche : le gamin crève l’écran, il est absolument remarquable par la vérité de son jeu. Le choix du noir et blanc, en plus de mettre en valeur le mélange de réalisme et de poésie onirique que distille le film, nous donne à plusieurs reprises des images sidérantes de beauté sur ce qu’exprime le visage de cet enfant plongé dans la tourmente. Pour jouer le rôle de la mère, la réalisatrice a fait appel à l’actrice russe Katerina Golubeva, une comédienne que le cinéma français a souvent utilisée : Claire Denis dans J’ai pas sommeil et L’intrusLeos Carax dans Pola X, Bruno Dumont dans Twentynine Palms. La maison à la tourelle fut pour elle son dernier film : elle est décédée peu de temps après le tournage. C’est au Directeur de la photographie lituanien Rimmvydas Leipus qu’on doit la beauté des images. Dans un tel contexte, une musique omniprésente aurait été une faute de goût. Heureusement, il y en a très peu et ce très peu, principalement des œuvres pour piano d’Erik Satie, convient idéalement à l’atmosphère du film en se contentant de souligner l’émotion que dégage le film sans en rajouter de façon artificielle.

Résumé

Ce n’est pas tous les jours, qu’à la sortie d’un film, vous vous dites que vous venez de découvrir un très grand réalisateur ou une très grande réalisatrice. Quelqu’un capable de marier noirceur et émotion sans pathos à une exceptionnelle beauté des images, quelqu’un qui délivre des plans, le plus souvent fixes, absolument somptueux, quelqu’un qui suggère plutôt que d’asséner, qui témoigne mais ne juge pas. Avec Sergueï Loznitsa (My JoyDans la brume) et Eva Neymann, l’Ukraine peut s’enorgueillir de compter deux des cinéastes les plus prometteurs de ce début de siècle, même si tous les deux vivent actuellement en Allemagne.

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