La Loi du marché
France, 2015
Titre original : –
Réalisateur : Stéphane Brizé
Scénario : Stéphane Brizé, Olivier Gorce
Acteurs : Vincent Lindon, Yves Ory, Karine De Mirbeck
Distribution : Diaphana Distribution
Durée : 1h33
Genre : Drame
Date de sortie : 19 mai 2015
Note : 3,5/5
Grâce au prix d’interprétation de Vincent Lindon à Cannes, La Loi du Marché a bénéficié d’un important coup de publicité. Une chance pour le sixième film de Stéphane Brizé tant il est aux antipodes d’un cinéma commercial. Dans ma critique, je ferai plusieurs fois références aux frères Dardenne en raison des similitudes avec leur cinéma, une comparaison inévitable. La Loi du marché est un drame social naturaliste comme les affectionnent les deux cinéastes Belges, tourné à la manière d’un documentaire. Dans les thèmes abordés, il rappelle également le cinéma de Ken Loach ou encore Ressources humaines de Laurent Cantet. On notera qu’il s’agit du troisième long-métrage en moins d’un an dont le personnage principal est un vigile de supermarché après Qui vive avec Reda Kateb et Jamais de la vie avec Olivier Gourmet.
Synopsis : Thierry, 51 ans, commence un nouveau travail après 20 mois de chômage. Face à un dilemme moral, pourra-t-il accepter la dure loi du marché pour garder son emploi ?
Un style documentaire qui fonctionne à merveille
Tourné caméra à l’épaule, La Loi du Marché est un assemblage de longs plans-séquences. Si l’on ne retrouve pas la même maîtrise technique que dans un film Dardennien, notamment dans le rythme intrinsèque aux plans (il y a beaucoup de longueurs inutiles), force est de constater que le style documentaire fonctionne à merveille. Pour l’anecdote, il s’agit du premier film de fiction du chef-opérateur, Eric Dumont, qui n’avait travaillé jusque-là que sur des documentaires. L’interprétation subtile et dépouillée de Lindon ainsi que les acteurs à ses côtés, non professionnels, joue une grande part dans cette réussite. D’ailleurs, pour sa troisième collaboration avec Stéphane Brizé, après Mademoiselle Chambon en 2009 et Quelques heures de printemps en 2012, Vincent Lindon tient là l’un de ses meilleurs rôles. Il est juste, émouvant et très humain en français d’une banalité commune, même si l’on peut avoir des réserves sur son prix d’interprétation.
Un monde insensible, cruel et impitoyable
Le scénario est très simple et bien construit, si ce n’est la famille de Thierry dont l’étude reste en surface. Sûrement pour rester au plus près de Thierry, qui fait face à la déshumanisation des rapports humains au travail, prostré devant ses écrans de surveillance (dont les séquences sont d’ailleurs trop longues et vides). Tous les thèmes abordés convergent vers le même constat, celui d’un monde insensible, cruel et impitoyable. Pourtant le film est très humain dans son approche des sentiments, retranscrits avec justesse grâce à la sensibilité de Brizé. Certaines scènes, comme celles du mobile-home ou des interrogatoires, sont criantes de vérité. Dommage qu’à certains moments, le réalisateur en oublie la fiction et s’interdit l’utilisation de tout ressort dramaturgique, souhaitant ne pas s’éloigner de son approche radicale, au détriment de la narration. Comme dans le cinéma des Dardenne, pas de musique, si ce n’est quelques séquences diégétiques et bien choisies, notamment lorsque Thierry danse avec sa femme. Néanmoins on frôle souvent avec le misérabilisme et on regrette le manque d’espoir apporté par le film qui, du coup, manque de puissance.
Conclusion
La Loi du Marché ne plaira pas à tout le monde (j’ai même entendu à la fin de la séance une personne s’exclamer que c’était le pire film qu’elle n’avait jamais vu !) mais il est utile et admirable dans son approche, brute et simple et sa mise en scène exigeante même s’il souffre de la comparaison avec le cinéma des frères Dardenne dont la maîtrise dans ce style reste inégalée. Malgré tout, je le recommande, tant pour le fond que pour la forme, notamment aux amateurs du genre. On ne peut que saluer cette approche exigeante et un naturalisme qui se fait rare au cinéma ainsi que le courage de dénoncer une réalité de notre monde sur laquelle il est bienvenu de nous faire réfléchir.
Un chef-d’œuvre qui nous entraîne dans la désillusion du personnage auquel on ne peut que s’identifier surtout si l’on a son âge et que l’on vit sa réalité. Le style documentaire de société ajoute à la force du réquisitoire.