La Fille de son père
France, 2023
Titre original : –
Réalisateur : Erwan Le Duc
Scénario : Erwan Le Duc
Acteurs : Nahuel Pérez Biscayart, Céleste Brunnquell, Maud Wyler et Mohammed Louridi
Distributeur : Pyramide Distribution
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h31
Date de sortie : 20 décembre 2023
3,5/5
Le hasard fait parfois bien les choses. Alors qu’on n’avait pas particulièrement prévu d’aller voir La Fille de son père – à cause de la présence d’une critique déjà dithyrambique sur le site, du nombre irrattrapable d’autres films à découvrir, tout ça quoi –, on s’en serait quand même voulu d’être passé à côté de ce deuxième long-métrage jubilatoire. Ce n’est pas tant que tout sonne absolument juste dans cette histoire de famille doucement rocambolesque, mais au contraire que le réalisateur et scénariste Erwan Le Duc sait parfaitement la faire sienne. Sans jamais laisser apparaître les ficelles de ce (très) beau travail cinématographique.
En tant que spectateur attentif, on reste donc constamment sur le qui-vive, à l’affût de la prochaine trouvaille gentiment cocasse et en même temps pleinement investi dans ce conflit en sourdine qui oppose le père, encore et toujours en position de deuil affectif, à sa fille, désormais prête à voler de ses propres ailes et pourtant soucieuse de ne pas couper trop vite le cordon ombilical.
Bien qu’il ait accumulé un très solide bagage filmique depuis sa révélation dans 120 battements par minute de Robin Campillo il y a près de sept ans, nous n’avions pas vraiment suivi de près la carrière de l’acteur Nahuel Pérez Biscayart. Grand mal nous en a pris, puisque nous découvrons très tardivement le talent d’un comédien d’exception, à l’aise autant dans l’exubérance débridée que dans l’expression subtile de la fêlure intérieure. Difficile d’imaginer un autre comédien dans ce rôle d’un père pas encore tout à fait adulte, qui a dû apprendre à foncer pour combler l’absence de la mère auprès de sa fille adorée. Celle-ci bénéficie, elle aussi, de l’interprétation tout en finesse de la jeune Céleste Brunnquell, tour à tour précocement émancipée et prête à mettre sa propre vie entre parenthèses, afin de ne pas éveiller de vieux traumatismes chez son père.
La distribution d’exception est complétée par le jeune Mohammed Louridi en amoureux romantique sorti d’une autre époque et Maud Wyler qu’on est ravis de retrouver enfin dans un rôle plus conséquent que ce qu’elle avait à jouer dans deux de ses autres films sortis en 2023. Voire par une apparition magistrale de Noémie Lvovsky en maire rompue à la fourberie suprême des élus locaux.
Synopsis : Quand il avait vingt ans, Etienne était tombé éperdument amoureux de Valérie. De cet amour est né leur fille Rosa. Sauf qu’un beau jour, alors que Rosa était encore bébé, sa mère avait décidé de partir, sans donner de nouvelles. Depuis, Etienne s’occupe avec dévouement de sa fille. Quitte à l’étouffer parfois. Car à désormais dix-sept ans, la jeune femme envisage de quitter le nid familial pour entamer ses études artistiques à Metz. Une nouvelle qui ne dérange pas son père, en apparence. Pourtant, Etienne sera bien obligé de reconstruire tôt ou tard sa vie, dans un nouvel appartement et en compagnie de Hélène, chauffeur de taxi, qui est attirée par les hommes blessés.
Un poème épique tout en douceur
Depuis trop longtemps, la plupart des réalisateurs ont la fâcheuse habitude d’oublier la force visuelle du cinéma, c’est-à-dire qu’il n’est pas toujours nécessaire de tout commenter par la parole. Heureusement pour nous, Erwan Le Duc n’est pas de ceux-là. Au contraire, il nous enchante d’emblée avec le genre d’introduction qui nous rappelle les seuls bons souvenirs du film d’animation Pixar Là-haut. En quelques brèves séquences et donc très peu de paroles, tout est pourtant dit sur cette romance initiale, qui s’était terminée sans crier gare. Elle a laissé derrière elle les décombres affectifs d’Etienne, sur lesquels une nouvelle existence reste à construire.
Bien plus tard dans le film, on retrouvera cette même maestria et confiance en l’image, au moment de la séquence miroir en quelque sorte de cette entrée en la matière, exécutée avec une bravoure jamais ostentatoire. Entre-temps, quelques effets de montage dans l’espace nous ont conforté dans la haute opinion que nous nous sommes formés de l’excellence de travail du réalisateur.
Une excellence qu’on retrouve surtout du côté de l’écriture, d’une finesse exceptionnelle. Atteindre l’équilibre juste entre l’anodin et le profond n’a jamais été une tâche facile. Pourtant, Erwan Le Duc s’en acquitte avec une aisance remarquable. La plupart des enjeux et des interrogations y sont suspendus entre les lignes d’échanges verbaux, à mi-chemin entre la banalité du quotidien et la sublimation de la fiction. Cela fonctionne à merveille, tant que les rapports entre le père et sa fille se trouvent dans un état de flottement, avant le cap à franchir du départ de la maison familiale.
Les choses se normalisent hélas davantage, une fois que le scénario a éprouvé le besoin de boucler la boucle, afin de permettre in extremis à chaque personnage de repartir sur des bases saines. Et c’est également dans cette dernière partie que certains choix nous paraissent un peu plus discutables, notamment tout ce qui tourne autour de l’hôpital. Mais même à ces moments-là, la mise en scène fait preuve d’une admirable assurance narrative.
L’Absence est un sentiment
La vie du protagoniste de La Fille de son père a beau être ponctuée d’incidents plutôt marrants et autres prises d’initiative vigoureuses, au fond Etienne se trouve dans une profonde crise existentielle. Certes, il fait semblant d’être fort et invincible, grâce à sa capacité d’avoir réponse à tout ou au moins de ne jamais être à court d’une pirouette verbale pour se tirer de n’importe quelle situation embarrassante. Mais à bien y regarder, le récit est un long enchaînement, par ailleurs parfaitement calibré, de situations plus ou moins humiliantes pour lui. Personne ne le prend réellement au sérieux, ni sa fille, peut-être même plus mature que lui, ni sa copine qui l’accepte malgré ses failles.
A tel point que la seule discussion tant soit peu adulte du film est menée par Youssef, l’amant de Rosa, qui explique, une nuit au seuil de la salle de bains, sa démarche romantique à un Etienne de plus en plus désarmé. La reprise du contrôle sur sa vie de la part de ce père dépassé par les événements s’opère dès lors plus en sourdine, au fur et à mesure qu’il sera appelé à se confronter à ses démons du passé.
En face et en dépit de ce que le titre du film pourrait laisser supposer, Rosa agit principalement comme un personnage secondaire, révélateur du malaise que son père a refusé trop longtemps d’admettre. Contrairement à celle de son père, capable de faire sept-cents bornes en voiture dans la journée sur un coup de tête, sa vie paraît plutôt sage et rangée. Au détail près que, là aussi, l’absence de la mère a forcément laissé des séquelles. Ces dernières ne transparaissent que timidement dans le jeu de Céleste Brunnquell, en mesure de conférer un pragmatisme tout relatif à son personnage.
Ainsi, l’abandon maternel l’a sensiblement moins traumatisée que son père. Cependant, le lien très fort avec celui-ci et la genèse de leur complicité à toute épreuve née d’une nécessité vitale l’ont rendu pour le moins frileuse avant de s’engager. Dans tous les domaines, y compris celui du double emploi, difficile à négocier, d’être à la fois la fille et le soutien moral indéfectible de son père. A la base un électron libre contraint de se ranger, Etienne est apparemment un peu en proie au doute, quant à cette décision en tous points valeureuse.
Conclusion
Quelque part au milieu de La Fille de son père, le personnage principal arrive avec sa voiture au bord du terrain de foot. En sortent non pas deux ou trois joueurs, mais l’équipe au grand complet. Ils sont tellement nombreux qu’on ne peut être qu’admiratif devant ce formidable gag visuel, quitte à s’arrêter de les compter à un moment donné. Notre expérience de visionnage du deuxième film de Erwan Le Duc s’apparente pas mal à cette idée burlesque. Sans cesse, nous y avons été agréablement surpris par l’inventivité narrative et la liberté de ton avec lesquelles le réalisateur a su orchestrer son récit. Le tout saupoudré de tours de force qui ne disent pas leur nom, tant Nahuel Pérez Biscayart et les autres s’approprient leurs personnages respectifs avec un charme désarmant.