La Femme d’à côté
France, 1981
Titre original : –
Réalisateur : François Truffaut
Scénario : François Truffaut, Suzanne Schiffman & Jean Aurel
Acteurs : Gérard Depardieu, Fanny Ardant, Henri Garcin, Michèle Baumgartner
Distributeur : MK2 Diffusion
Genre : Drame
Durée : 1h45
Date de sortie : 20 octobre 2004 (Reprise)
3/5
Est-ce que François Truffaut fait partie de ces réalisateurs qui prennent le spectateur par la main, afin de lui faire comprendre son film selon son point de vue autoritaire ? En dépit du degré de vénération guère discuté dont Truffaut bénéficie toujours en France et ailleurs dans le monde, cette question ne nous paraît pas complètement manquer de pertinence. Car elle nous amène à une forme de mise en scène infiniment plus subtile qu’un simple fil conducteur narratif sans détour possible. Son pénultième film, La Femme d’à côté, en est l’exemple parfait, avec son histoire d’amour vénéneuse qui vient perturber en sourdine la quiétude de la province grenobloise. Or, plutôt que de démasquer l’hypocrisie de la petite bourgeoise comme l’aurait fait sans doute Claude Chabrol, Truffaut s’emploie à façonner un récit tout en pointillés. A l’image de ces nombreux fondus au noir, qui viennent suspendre l’action avant que celle-ci n’ait atteint son apogée volcanique.
Synopsis : Bernard Coudray vit tranquillement avec sa femme Arlette et leur jeune fils Thomas dans une maison assez isolée. Restée longtemps inhabitée, la maison d’en face est finalement louée par Philippe Bauchard et son épouse Mathilde. Une fois que les nouveaux voisins se sont installés, Bernard découvre que Mathilde est en fait sa compagne d’avant, qu’il n’avait plus revue depuis leur séparation tempétueuse des années plus tôt. Gênés par cette situation délicate, les anciens amants ne tardent pourtant pas à raviver la flamme passionnelle qui brûlait auparavant entre eux.
L’amour sauvage
Le leurre formel est très tôt mis en œuvre dans La Femme d’à côté. L’introduction énoncée face caméra par le personnage de Madame Jouve, interprété avec une distance très digne par Véronique Silver, nous met moins d’emblée sur une fausse piste qu’elle joue avec notre perception et nos attentes. Ainsi, il y aura bel et bien une intervention finale de la police – d’ailleurs filmée de loin – une fois que les passions romantiques et érotiques auront expié de façon tragique. Mais ce n’est pas ce volet, plus proche en termes de genre du thriller poisseux, qui semble intéresser François Truffaut. Ni l’aventure extraconjugale se soldant par des reproches et d’autres explications corsées auprès du conjoint officiel. Non, toute cette histoire, au fond très banale, évolue autour d’une drôle de forme de regret et de nostalgie. Sauf que seule la narratrice informelle aura compris que cela ne sert à rien de chercher à rattraper le temps perdu, quitte à esquiver une tentative de retrouvailles tardives.
Les deux personnages principaux, quant à eux, ne font hélas pas preuve du même raisonnement réfléchi. Hélas pour eux, puisque pour nous, l’observation de leur incapacité de gérer la résurgence insoupçonnée de leur libido et de leur cœur relève tout de même du plaisir aussi coupable que malicieux. Tandis que Gérard Depardieu dans le rôle de Bernard ne maîtrise aucunement son appétit sexuel, sensiblement plus prononcé que sa faculté d’articuler clairement tout ce qui le chiffonne dans ce supplément de passion auquel il lui est impossible de se soustraire, Fanny Ardant rayonne dans un emploi de femme fatale plus nuancé qu’il ne paraît de prime abord. Ce n’est pas forcément elle qui mène la danse. Et pourtant, ses réactions de plus en plus névrotiques face aux avances de l’homme de sa vie rythment le récit d’une manière astucieuse.
Ni avec toi, ni sans toi
Les thèmes du manque et de l’insuffisance affective sous-tendent le film avec une finesse dramatique jamais prise en défaut. Cela commence avec la virilité aux pieds d’argile des maris. Alors qu’ils sont censés guider le destin de centaines de passagers dans les airs pour Philippe – Henri Garcin curieusement parfait dans la peau du mari qui ignore tout des troubles existentiels de sa femme – et de milliers de tonnes sur l’eau pour Bernard, on les voit la plupart du temps quitter plus ou moins précipitamment leur poste de travail. Cette faiblesse sociale se manifeste de même par de petites touches : la brève séquence autour de la portière de voiture bloquée juste au moment où Bernard est déjà en retard pour partir au boulot ou bien l’achat d’une robe joliment transparente en guise de cadeau maladroit de la part de Philippe, un vêtement qui ne fait alors que raviver les pulsions adultères de son voisin. De là à y déceler quelque symbole d’émasculation que ce soit, c’est un pas que le style sophistiqué de François Truffaut ne franchira a priori jamais.
Les femmes sont logées à une enseigne légèrement plus valorisante dans le vingtième long-métrage du réalisateur. Pas tellement la pauvre Arlette, vaillamment interprétée par Michèle Baumgartner, qui est à peine plus qu’une mère traditionnelle, bonne à faire la cuisine, des enfants et à partir à la recherche de son mari volage la nuit, quand elle découvre vide la place à côté d’elle dans le lit conjugal. Le lien secret qui unit Mathilde et Madame Jouve est par contre d’une intensité ingénieuse. Il s’agit davantage d’une proximité abstraite dans leur conception de l’amour comme mesure exclusive de la vie, que d’une relation de confiance proche. A ce sujet, ce serait plutôt Bernard qui cherche un refuge amical du côté de cet espace par excellence de la petite bourgeoisie préservée qu’est le terrain de tennis. Néanmoins, ces deux personnages féminins se comprennent instinctivement, prêtes qu’elles étaient et qu’elles le sont à tout sacrifier par amour.
Conclusion
Après la consécration presque outrancière qu’il a connue grâce au sacre de Le Dernier métro aux César près de huit mois avant la date de sortie initiale de La Femme d’à côté, François Truffaut avait visiblement envie d’un film plus intimiste. Il l’a trouvé par le biais de cette histoire passablement délétère. Ce n’est sans doute pas son film le plus virtuose ou le plus vivement personnel. Mais rien que pour l’interprétation magistrale de Fanny Ardant en jouet érotique entre les mains d’un homme à qui elle ne peut rien refuser et pour la mise en scène toujours aussi élégante de Truffaut, il vaut certainement le détour !