Critique : Jusqu’à la garde

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Jusqu’à la garde

France : 2017
Titre original : –
Réalisation : Xavier Legrand
Scénario : Xavier Legrand
Interprètes : Denis Ménochet, Léa Drucker, Thomas Gioria, Mathilde Auneveux 
Distribution : Haut et Court
Durée : 1h33
Genre : Drame, thriller
Date de sortie : 7 février 2018

4.5/5

Il y a 5 ans, le comédien Xavier Legrand avait réalisé Avant que de tout perdre, un court-métrage de 30 minutes sur les violences conjugales qui avait remporté le Grand prix du Festival de Clermont-Ferrand 2013 et obtenu le César du meilleur court-métrage en 2014. Dans la distribution de ce court-métrage, on trouvait Léa Drucker, Denis Ménochet et Mathilde Auneveux. Trois interprètes que l’on retrouve dans Jusqu’à la garde, premier long métrage de Xavier Legrand. Un film doublement primé lors de la dernière Mostra de Venise : Lion d’argent du meilleur réalisateur et Lion du futur (Meilleur premier film, l’équivalent de la Caméra d’Or cannoise).

Synopsis : Le couple Besson divorce. Pour protéger son fils d’un père qu’elle accuse de violences, Miriam en demande la garde exclusive. La juge en charge du dossier accorde une garde partagée au père qu’elle considère bafoué. Pris en otage entre ses parents, Julien va tout faire pour empêcher que le pire n’arrive.

Un choix d’une importance capitale

La décision que va prendre la juge a une importance capitale, et elle doit la prendre en l’espace de 20 minutes : le couple Besson a divorcé et il s’agit maintenant de savoir ce que vont devenir Julien et Joséphine, les enfants de ce couple, garde alternée ou garde exclusive pour la mère. La réponse est particulièrement importante en ce qui concerne Julien, qui n’a que 11 ans et dont la suite du film va nous amener à comprendre qu’il a une peur bleue d’un père qu’il sait violent. Mais là, dans une extraordinaire scène d’ouverture, ce sont les avocates de Miriam et d’Antoine qui s’expriment et, grâce au grand talent des deux comédiennes qui les interprètent, on entre de plain-pied dans le film, en ayant l’impression d’être vraiment dans le cabinet de la juge. Laquelle des deux avocates cette dernière doit-elle croire ? L’avocate de Miriam décrit un Antoine particulièrement possessif et violent : cette assertion reflète-t-elle ou non la vérité ? L’avocate d’Antoine nie bien sûr ce caractère violent : pour elle, il est anormal que Miriam veuille empêcher Antoine de témoigner son amour pour sa fille et son fils.

Pas question de gâcher le plaisir des spectateurs en donnant de trop nombreux détails sur ce que ce film réserve par la suite. On précisera tout juste que Julien va devoir fréquenter régulièrement ce père dont il a peur et qu’il va faire tout son possible pour empêcher que des rencontres entre son père et sa mère puissent avoir lieu : malgré son jeune âge, il sait très bien comment elles pourraient se terminer.

 

Le premier long métrage d’un grand réalisateur

Entre l’écriture du scénario d’un film et sa sortie en salles, il se passe suffisamment de temps pour que des événements imprévus puissent venir modifier le positionnement de l’œuvre par rapport à l’actualité. C’est ainsi que lorsque Xavier Legrand a initié le « projet » Jusqu’à la garde, il ne pouvait pas prévoir que l’affaire Weinstein et le meurtre d’Alexia Daval mettraient tout ce qui a trait à la violence conjugale et, plus généralement, aux méfaits de la domination masculine au centre de l’actualité au moment de la sortie de son film.

Toutefois, Jusqu’à la garde n’avait pas besoin de ce coup de pouce pour faire partie des films majeurs de ce début d’année. En effet, Xavier Legrand, en greffant de façon magistrale les codes du thriller sur un drame social, a tapé très fort pour ce qui est son premier long métrage. Très vite, le spectateur comprend qu’il va à coup sûr se passer entre Miriam et Antoine au moins une scène d’une grande intensité et, du début à la fin du film, la tension que ressent le spectateur est particulièrement intense. Une tension qui est exacerbée par le choix de faire de Miriam et, surtout, d’Antoine des personnages aux facettes multiples : les questions que se posait la juge dans la scène d’exposition, on peut continuer à se les poser durant une bonne partie du film, le pervers narcissique Antoine sachant parfois apparaître comme étant un être incompris qu’on pourrait presque plaindre. Une tension qui provient aussi de l’utilisation que fait Xavier Legrand des bruits du quotidien, ces bruits tels celui que fait une clé lors de l’ouverture d’une porte et que les femmes battues et qui vivent avec la peur au ventre savent interpréter comme autant de signaux pouvant annoncer l’arrivée d’un épisode violent.

Même si la grande force du film réside surtout dans la façon dont le réalisateur nous tient en haleine, avec en point d’orgue ce mélange de crainte et d’espérance un peu perverse de voir arriver LA scène dont tout laisse penser qu’elle pourrait être d’une grande violence, Xavier Legrand fait également preuve de grandes qualités cinématographiques dans des scènes non directement liées à cette montée en puissance du suspense mais qu’on aurait tort de qualifier d’annexes : par exemple, la façon étonnante et intelligente dont il filme la scène où Joséphine procède à un test de grossesse. En fait, dès son premier long métrage, Xavier Legrand s’invite à la table des grands réalisateurs, quelque part entre Pialat et Haneke.

Une interprétation exceptionnelle

Si les qualités cinématographiques de Xavier Legrand sont évidentes, encore fallait-il qu’il dispose d’interprètes permettant de les mettre en valeur. Là aussi, la réussite est totale : dans le rôle de Miriam, Léa Drucker sait donner à son personnage le juste dosage de force et de fragilité face à la peur qui la tenaille et à son désir de protéger ses enfants. A ses côtés, Denis Ménochet est impressionnant dans son rôle de pervers narcissique, mélange de ce qu’on peut prendre pour de l’amour paternel et de violence qui ne demande qu’à se manifester. Quant au jeune Thomas Gioria, l’interprète de Julien, cet enfant pris en otage entre son père et sa mère, c’est une véritable révélation qui arrive à exprimer avec peu de mots mais beaucoup de spontanéité toutes les émotions que le comportement de son père lui fait traverser.

Dans des rôles plus secondaires mais importants et difficiles à interpréter, on a déjà évoqué les prestations de grande qualité de Sophie Pincemaille et de Émilie Incerti Formentini, les interprètes des deux avocates, sans oublier Mathile Auneveux dans le rôle de Joséphine.

 

Conclusion

Il faut pas mal de courage pour se lancer, dès son premier long métrage, dans un film qui n’a, a priori, rien de facile, ni même de plaisant. Heureusement, le résultat est un film d’une force exceptionnelle, un film qui coupe le souffle, qu’on reçoit comme un coup de poing. Il est évident qu’avec Jusqu’à la garde, un grand réalisateur est né, un réalisateur dont on va attendre les prochains films avec impatience et un peu de crainte : arrivera-t-il de nouveau à se montrer aussi proche de la perfection ?

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