Critique : Jours d’amour

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Jours d’amour

Italie, France, 1954

Titre original : Giorni d’amore

Réalisateur : Giuseppe De Santis

Scénario : Libero De Libero, Giuseppe De Santis, Elio Petri & Gianni Puccini

Acteurs : Marcello Mastroianni, Marina Vlady, Angelina Longobardi et Dora Scarpetta

Distributeur : Carlotta Films

Genre : Comédie de mariage

Durée : 1h43

Date de sortie : 30 septembre 2020 (Reprise)

3/5

Dans les années 1950, il allait de soi de se marier, dès qu’on était tombé amoureux. Aux yeux d’une société encore étroitement tributaire des mœurs judéo-chrétiennes, toute autre issue à une aventure romantique était inconcevable. De cette pratique sociale plus tellement d’actualité de nos jours, on trouve de nombreuses traces cinématographiques à cette époque-là, une décennie placée sous le signe du conformisme conjugal. Les studios hollywoodiens étaient en quelque sorte précurseurs en la matière à travers Le Père de la mariée et sa suite Allons donc papa de Vincente Minnelli. Pour le public d’aujourd’hui, cette histoire d’un père de famille, financièrement et émotionnellement dépassé par le mariage de sa fille, est sans doute plus connue sous sa forme de remakes dans les années ’90 par Charles Shyer. Ces films avaient par ailleurs eu droit – il y a quelques semaines seulement – à une drôle de deuxième suite au format court au temps de la distanciation sociale.

Depuis toujours très adroit dans la récupération de formules à succès, le cinéma italien ne pouvait pas être en reste. C’est ainsi que s’explique probablement l’existence de Jours d’amour, une comédie de mœurs plaisante, située dans le milieu de paysans à la fois très amoureux et très pauvres. L’éternel dilemme entre l’assouvissement des aspirations du cœur et celles du rang social y est agencé à travers un savant mélange de frivolité et de gravité. Car même s’il ne s’agit pas du film le plus marquant de la carrière de Giuseppe De Santis, un réalisateur devenu mondialement célèbre cinq ans plus tôt grâce au plus sulfureux Riz amer, on peut néanmoins y déceler un discret cahier de charges revendicatif. En effet, ce n’est pas par hasard que Elio Petri, l’un des cinéastes les plus politiquement engagés du cinéma italien des années ’60 et ’70, alors tout au début de son illustre parcours derrière la caméra, figure parmi les scénaristes.

© 1954 Minerva Film / Surf Film / Carlotta Films Tous droits réservés

Synopsis : Pasquale et Angela s’aiment tendrement depuis longtemps. Ils envisagent de se marier, puisque leurs familles respectives, qui exploitent des champs voisins, ne voient point d’inconvénient à leur union. Or, même dans leur milieu social modeste, un mariage en bonne et due forme coûte cher. Une fois les comptes faits, les fiancés doivent se rendre à l’évidence : ils n’auront jamais assez d’argent pour satisfaire leurs propres exigences et celles de leurs proches. Il ne reste alors que la solution la moins socialement acceptable, c’est-à-dire de faire une fugue, suivie par un mariage de la honte sans cérémonie officielle.

© 1954 Minerva Film / Surf Film / Carlotta Films Tous droits réservés

Tous ces prêches pour rien

Au désarroi assez bourgeois du personnage interprété par Spencer Tracy, puis plus tard par Steve Martin, dans Le Père de la mariée, qui raconte après la bataille l’aventure rocambolesque du mariage de sa fille dans le cadre typiquement américain de la banlieue préservée répond une fébrilité plus réaliste dans Jours d’amour. On est certes toujours dans le registre de la farce bucolique, avec ces clans qui s’opposent en se disputant le peu de dignité et de biens matériaux qu’ils possèdent. Mais Giuseppe De Santis n’a pas pour autant perdu sa sensibilité pour la fierté paysanne, si manifestement à l’œuvre dans le film majeur précité de sa carrière. Ici, elle se conjugue à travers des rêves à la mesure des moyens à la disposition des futurs mariés. Ainsi, tandis que Pasquale se voit déjà récupérer le fossé qui sépare les deux terrains familiaux pour en faire une petite plantation d’orangers, le quotidien d’Angela a l’air de se résumer à du travail sur les champs et quelques rares soirées d’évasion au cinéma.

Bref, l’absence de traits particuliers chez le couple protagoniste rend l’identification avec lui d’autant plus facile. Le charme de Marcello Mastroianni en séducteur d’ores et déjà un peu maladroit et bête et celui de Marina Vlady, à la beauté moins sensuelle que celle de Silvana Mangano se pavanant en tenue serrée dans les champs de riz, font le reste pour nous intéresser à cette intrigue doucement divertissante. Car au fond, tout ce que leurs personnages s’évertuent à faire, c’est de négocier les termes selon lesquels ils coucheront ensemble pour la première fois. Pareil enjeu dramatique peut faire sourire maintenant. A l’époque, il revêtait toutefois une importance primordiale dans la danse habile autour du scandale et de la censure. La provocation a beau ne pas être poussée aussi loin dans le cas présent, elle reste en sourdine, comme pour mieux indiquer que l’aspect social de cette facétie très légèrement grivoise demeure essentiel.

© 1954 Minerva Film / Surf Film / Carlotta Films Tous droits réservés

Enfin seuls

Se marieront-ils ou non ? Il y a d’habitude très peu de suspense avant la réponse à cette question au sein du genre balisé de la comédie matrimoniale. Sans trop vous dévoiler de la conclusion de Jours d’amour, on peut donc vous assurer que tout se passera à peu près comme prévu, y compris un rire général tout de même un peu forcé à la fin. Le tout, c’est d’agencer alors le chemin tortueux vers la délivrance de l’amour illégitime de la manière la plus ingénieuse possible. A ce niveau-là, le film de Giuseppe De Santis s’acquitte plutôt bien de la tâche de temporiser au fil des roucoulements entre Pasquale et Angelica. A la thématique épineuse des rapports sexuels succède par conséquent assez vite une interrogation plus vaste sur les liens du mariage. Toujours à travers le prisme d’obligations sociales et matérielles qui ne font que freiner l’élan libidineux entre les deux amoureux.

Seuls et abandonnés, ces derniers n’ont que leur affection mutuelle pour affronter l’épreuve de la mise en scène bancale de l’enlèvement. Chassés et débarrassés de leurs provisions par des hommes qui ne comprennent rien à la gravité de leur situation, ils s’engagent dans un éternel mouvement de fuite. Dès qu’ils se posent quelque part pour enrichir cette fugue improvisée de moments plus joliment intimes, leur bulle romantique est envahie par des parasites. Les bêtes de la ferme, un surveillant de plantation zélé et armé, un groupe de gitans qui les accueillent dans leur communauté pour une nuit, voire l’intégralité du spectre social du village qui se lance à leurs trousses : tous les moyens sont bons pour perturber leur désir de tranquillité.

Le ton enjoué du film veut que ces intrusions soient perçues comme autant de stations du calvaire traditionnel des fiancés, avant le grand jour du mariage. Leur accumulation conduit néanmoins à une impression d’acharnement, qui finira malgré tout à rendre plus solide l’union des amoureux.

© 1954 Minerva Film / Surf Film / Carlotta Films Tous droits réservés

Conclusion

Plus connu pour son regard sur la réalité crue des classes défavorisées en Italie que pour son sens du rythme comique, Giuseppe De Santis livre quand même une comédie plaisante avec Jours d’amour. Plaisante, mais à aucun moment oublieuse des obstacles réels ou imaginaires que la jeunesse des années ’50 devait affronter avant de pouvoir se marier. Pour quoi faire, une fois la bague glissée sur l’annulaire de l’être aimé ? Le récit ne s’attarde pas non plus sur l’avenir, laissé en suspens à la fin de chaque conte de fées romantique. Il se préoccupe surtout du parcours de combattant presque grotesque auquel les fiancés doivent se soumettre par la faute d’une pression sociale omniprésente. Un calvaire encore infiniment plus éprouvant, quand on ne dispose pas des économies nécessaires pour se marier en grande pompe.

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