#Jesuislà
France, 2019
Titre original : –
Réalisateur : Eric Lartigau
Scénario : Eric Lartigau & Thomas Bidegain
Acteurs : Alain Chabat, Doona Bae, Blanche Gardin, Ilian Bergala
Distributeur : Gaumont
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h38
Date de sortie : 5 février 2020
3/5
A quoi ressemblera le genre de la comédie romantique au 21ème siècle, une fois que les réseaux sociaux et autres applications de partage auront rendu caduc tout échange humain à l’ancienne ? Peut-être à quelque chose qui s’apparenterait à #Jesuislà, le film par le biais duquel le réalisateur Eric Lartigau était d’une certaine façon attendu au tournant, cinq ans après le succès populaire de La Famille Bélier. Et même si cette histoire douce-amère ne suscite a priori pas le même degré d’engouement public, elle fait néanmoins preuve d’une intelligence émotionnelle tout à fait française pour naviguer à travers les espoirs et les déceptions d’une relation entre un homme et une femme, issus de cultures diamétralement opposées. L’éternel dispositif du poisson hors de l’eau y subit une mise à jour plutôt plaisante, aussi grâce au jeu décomplexé de Alain Chabat. Celui-ci campe un amoureux idéaliste infiniment plus disposé à la découverte d’un pays en tous points différent du sien que ne l’a été, dans des circonstances comparables, Bill Murray dans Lost in Translation de Sofia Coppola. Ici, l’état de suspension des attentes sentimentales ne débouche certes sur rien de plus tangible que le nombre croissant d’abonnés au compte Instagram du protagoniste, au fur et à mesure qu’il remplit ses journées passées à l’aéroport de Séoul avec des loisirs plus ou moins censés. Il n’empêche qu’une quiétude pas sans charme émane de ce conte sur la crise de la soixantaine, qui remplace désormais celle de la quarantaine sans trop forcer le trait.
Synopsis : Le chef Stéphane mène une vie paisible dans son restaurant au Pays Basque. Seules ses conversations par voie de textos avec Soo, une jeune coréenne francophone qu’il a rencontrée sur les réseaux sociaux, apportent un peu de piment à son quotidien. Sur un coup de tête, Stéphane décide de la rejoindre en Corée du Sud, afin d’y regarder ensemble la floraison des cerisiers. Soo lui promet de venir le chercher dès sa descente de l’avion. Mais une fois sur place, le supposé amant français attendra longtemps celle qu’il avait prise pour l’élue potentielle de son cœur.
Histoire d’un chêne
Tant qu’une relation n’a lieu qu’à distance, aucune limite ne s’applique aux fantasmes romantiques. A ce moment-là, tout paraît encore possible, la surface de projection de ses propres désirs pouvant devenir aussi vaste et diffuse que l’étendue qui sépare les deux amoureux dans les starting-blocks. Ce n’est que l’expérience affective qui peut préserver les cœurs d’artichauts les plus incorrigibles de s’avancer d’emblée trop vite dans ce genre de projet aux pieds d’argile. Au vu du plus très jeune âge du personnage principal de #Jesuislà, la prémisse du film peut alors paraître douteuse. Bien qu’il soit compréhensible qu’une petite touche intime fait défaut à l’existence de Stéphane, lui qui est le dernier au courant des fréquentations de ses fils et qui a oublié comment écouter les femmes qui l’entourent concrètement, de là à l’envoyer à l’autre bout du monde pour une petite cure de recentrage sur l’essentiel, cela sent quand même un peu trop le parcours du combattant bo-bo. Heureusement, la mise en scène de Eric Lartigau construit assez adroitement le barrage contre le déferlement de l’eau de rose, qui aurait pu se transformer par la suite en indigeste amertume fielleuse. Il en résulte une morale presque vaporeuse, tellement la priorité dramatique, qui consiste à éviter les écueils les plus flagrants, se solde par des coups de folie sans lendemain.
Terminal virtuel
Au cœur du film, entre le premier acte qui montre le personnage principal dans son train-train quotidien en France, aussi doucement répétitif que les excuses de son assistante, interprétée par Blanche Gardin, invariablement en retard, et le troisième, où la passivité de l’attente fait place à une démarche plus volontariste, se trouve une longue parenthèse à l’aéroport. Contrairement à l’amateur de jazz apatride dans Le Terminal de Steven Spielberg, contraint de stagner dans ce lieu de passage à cause de ses problèmes de papiers, Stéphane y fait à peu près volontairement une drôle de pause. Puisqu’il espère y retrouver tôt ou tard Soo, il devient en quelque sorte le locataire temporaire d’un endroit baigné dans l’anonymat le plus absolu. Cette sensation d’exclusion, il cherche à la briser au fil de rencontres toujours amicales, quoique elles aussi susceptibles de n’être que les répliques asiatiques de ses bavardages superficiels de comptoir dans son restaurant, digne de l’atmosphère lugubre de Shining de Stanley Kubrick. En parallèle, sans que ce ressort scénaristique ne prenne une valeur plus importante qu’un simple commentaire sur la fascination sociale avec la célébrité, aussi éphémère soit-elle, il devient le héros involontaire des réseaux sociaux à travers le monde. A l’image de Kad Merad dans Superstar de Xavier Giannoli, il n’en veut pas de cette célébrité à l’échelle globale, disproportionnée par rapport à sa quête sentimentale, dont la nature de jardin secret était le plus important garant de réussite. Comme dans la comédie médiatique de 2012, le propos en faveur ou contre cette dépendance aux écrans interposés ne va hélas pas très loin ici, l’heure de se ressaisir et de rentrer au bercail ayant sonné longtemps avant que les choses ne dégénèrent sérieusement.
Conclusion
La Corée, quelle terre de mystère ! A notre grand soulagement, les préjugés les plus archaïques sur la culture et les femmes asiatiques n’ont pas droit de cité dans #Jesuislà. Il y est davantage question d’un point de départ embourbé dans une terrible méprise, le fruit d’une naïveté incongrue à laquelle nous incite le cadre aseptisé des réseaux sociaux. Eric Lartigau en a fait un film en demi-teintes, jamais sûr de rien mais pas non plus complètement paumé, auquel l’empressement discutable du personnage de Alain Chabat d’un côté et la réticence infiniment plus réservée de celui de Doona Bae de l’autre confèrent un équilibre sentimental pas sans charme. Il ne manque alors plus qu’une moindre complaisance à l’égard du tabagisme et on serait presque en terrain conquis des doux contes sur le choc des cultures entre l’Europe et l’Asie, dont Cherry blossoms de Doris Dörrie reste l’une des références majeures.