Ici et là-bas
France, 2024
Titre original : –
Réalisateur : Ludovic Bernard
Scénario : Sarah Kaminsky et Kamel Guemra, d’après une idée originale de Rémy Four et Julien War
Acteurs : Ahmed Sylla, Hakim Jemili, Hugo Becker et Luiza Benaïssa
Distributeur : Studiocanal
Genre : Comédie
Durée : 1h32
Date de sortie : 17 avril 2024
2,5/5
D’un point de vue politique, la Françafrique peut être considérée comme moribonde. A moins que cette construction post-coloniale n’existe plus que dans la tête de politiciens et autres décideurs français, atteints du syndrome pernicieux de la nostalgie d’une époque clairement révolue. Au cinéma, elle risque d’avoir encore de beaux jours devant elle, si l’on se réfère à des films en apparence aussi inoffensifs que Ici et là-bas. Car à première vue, le sixième long-métrage de Ludovic Bernard promeut le message fort consensuel du mélange des cultures et de la fierté de ses origines.
A partir d’une prémisse vaguement inspirée, cette comédie sociale suit le chemin ennuyeusement prévisible des contraires qui s’attirent et qui finiront forcément par unir leurs forces. Rien de préjudiciable à cela, en général, sauf que le récit devient de plus en plus bancal au fur et à mesure que les deux cousins mal assortis sillonnent la campagne française.
Heureusement, les deux têtes d’affiche Ahmed Sylla et Hakim Jemili sont là pour relever tant soit peu le niveau. Grâce au courant comique qui passe visiblement entre eux – à tel point que nous avons droit au dispositif fatigué du bêtisier pendant le générique de fin –, les invraisemblances qui s’accumulent ne parviennent pas tout à fait à plomber un récit en perte de vitesse constante. Cela relève souvent du cabotinage, soit. Mais peut-être cette forme d’humour au premier degré est-elle la meilleure arme contre l’adhésion franchement consternante du scénario aux clichés sociaux et culturels les plus ordinaires. Bref, l’entente entre la France et le Sénégal n’aura aucun bénéfice à tirer d’un film aussi peu engageant et dépourvu d’une quelconque personnalité que celui-ci.
Synopsis : Installé depuis quinze ans au Sénégal, Adrien attend avec impatience la naissance de son premier enfant avec sa compagne Aminata. Or, à cause de tensions diplomatiques entre son pays d’adoption et son pays d’origine, il est renvoyé sans tarder en France faute de papiers sénégalais. Il y est accueilli par le cousin de sa femme Sékou, le meilleur commercial de Terroirs de nos régions. Pour garder son poste, ce dernier doit faire la tournée des petits producteurs français, qui ignorent tout de ses origines africaines. En échange de financer à Adrien le retour clandestin au Sénégal, Sékou demande à son invité de l’assister dans cette mission compliquée.
D’où tu viens ?
D’emblée, les clichés – pas méchants, quoique jamais empreints de subtilité non plus – vont bon train dans Ici et là-bas. La présentation en parallèle des deux personnages principaux s’appuie sur leurs tentatives d’intégration forcée dans un contexte culturel et social qui ne paraît pas être le leur. D’un côté, Adrien abuse du stéréotype du baratin à l’africaine, par exemple pour obtenir le poisson de premier choix pour son restaurant. Et de l’autre, Sékou se fait le chantre d’un raffinement culinaire à la française, véhiculé par le vin, évidemment, par lequel il gomme volontairement des origines qu’on soupçonne plus modestes. Ainsi, on comprend (trop) rapidement les enjeux d’une intrigue qui ne nous prendra hélas jamais au dépourvu par la suite : et Adrien, et Sékou réapprendront tout au long de leur odyssée provinciale à s’aimer eux-mêmes et leurs origines longtemps occultées.
Le principe éculé des contraires qui s’attirent, jusqu’à procéder à un échange salutaire des qualités et des défauts des deux partis, fonctionne d’ailleurs pas si mal pendant la première moitié du film. Le compte à rebours un brin artificiel qui oblige les deux cousins à ne pas laisser traîner leurs affaires respectives y instaure une légère tension dramatique. Car s’ils s’entraident à ce moment-là, c’est surtout afin de pouvoir se séparer rapidement, histoire de persévérer chacun sur sa route mutuellement exclusives. La recherche rocambolesque d’un fournisseur de faux papiers – Eriq Ebouaney dans le genre de rôle minuscule dont il a le secret, mais qui nous fait chaque fois regretter de ne pas le voir plus souvent et plus longtemps sur grand écran – s’avère encore passablement amusante, aussi parce qu’elle oblige les deux personnages à sortir de leur zone de confort.
Le coq français
Les choses se gâtent malheureusement à partir du moment où le marché entre Adrien et Sékou prend une tournure encore plus douteuse. Dès qu’ils s’enfoncent au plus profond des régions françaises, ce sont des préoccupations de moins en moins cinématographiques qui prennent le dessus.
A commencer par de la promotion touristique à peine larvée pour la belle ville d’Uzès dans le Gard. Ou bien un rythme narratif de moins en moins fluide, aux séquences courtes qui s’agencent par des à-coups de plus en plus dérangeants. Sans oublier une liberté grandissante prise envers un quotidien, dont le charme opérait auparavant justement parce que les éléments essentiels de l’intrigue restaient à peu près crédibles. A présent, le scénario fait faire au deus ex machina des heures supplémentaires progressivement plus risibles, au plus tard à partir d’un accident de la route à la seule et unique vocation de priver Adrien de la faculté de résister au retour dans la ville de ses parents.
Ce qui nous laisse avec la fâcheuse frustration, bien trop récurrente dans le contexte de la comédie française, de constater que tout cela ne rime hélas pas à grand-chose. Les enjeux déjà plutôt minces au début du film s’évaporent à une vitesse embarrassante. Par conséquent, la sérénité d’esprit qui est censée gagner les deux personnages, au fur et à mesure qu’ils lâchent prise de l’existence passablement factice qu’ils se sont construits, sonne de plus en plus fausse.
Ainsi, à la fin, Ahmed Sylla a droit à un discours édifiant pour résumer le chemin d’évolution personnelle qu’il a parcouru et Hakim Jemili à ce drôle d’oiseau de bonne augure que sa femme lui a réclamé pour la naissance de leur bébé. Ni l’un, ni l’autre ne constitue une conclusion satisfaisante pour une comédie, qui aurait dû jouer avec plus d’ingéniosité et d’intelligence sur les codes de la représentation culturelle et sociale, apparemment toujours à l’ordre du jour dans la France de 2024.
Conclusion
On ne doute pas des bonnes intentions qui ont dû animer les producteurs, dont Philippe Rousselet, oscarisé en 2022 pour CODA, et le réalisateur de Ici et là-bas. Et il n’y aura jamais assez de films pour promouvoir l’inclusion et la décomposition des préjugés. Cependant, la comédie de Ludovic Bernard procède d’une manière bien trop approximative à la tâche importante qu’elle s’était fixée. Ce qui nous laisse avec les échanges raisonnablement divertissants entre Ahmed Sylla et Hakim Jemili comme seule source de réconfort. C’est définitivement trop peu pour faire sortir cette farce gentillette du lot de comédies populaires, ayant pris leur envol au Festival de l’Alpe d’Huez avant de défiler sur les écrans des multiplexes sans laisser de trace.