Hijacking
Danemark : 2012
Titre original : Kapringen
Réalisateur : Tobias Lindholm
Scénario : Tobias Lindholm
Acteurs : Pilou Asbæk, Søren Malling, Dar Salim, Gary Skjoldmose Porter
Distribution : Ad Vitam
Durée : 1 h 39
Genre : Drame, thriller
Date de sortie : 10 juillet 2013
Globale : [rating:4][five-star-rating]
A l’instar d’autres séries TV européennes comme l’espagnole Amar en tiempos revueltos ou les britanniques Downtown Abbay et The Hour, la série danoise Borgen, une femme au pouvoir se situe cent coudées au-dessus des si nombreuses séries américaines dont on nous rebat les oreilles. Aussi, lorsque sort Hijacking, un film de cinéma réalisé par un des scénaristes de Borgen et réunissant 3 de ses acteurs dans des rôles majeurs, on est forcément curieux, voire même impatient de voir le résultat.
Synopsis : En plein océan Indien, le navire danois « MV Rosen » est pris d’assaut par des pirates somaliens qui retiennent en otage l’équipage et réclament une rançon de 15 millions de dollars. Parmi les sept hommes restés à bord, Mikkel, le cuisinier, marié et père d’une petite fille. Prisonnier et affaibli, il se retrouve au cœur d’une négociation entre Peter, le PDG de la compagnie du cargo et les pirates. Pour l’armateur, sauver ses hommes est un devoir. Mais le sang-froid et les millions suffiront-ils à ramener tous ses marins dans leur famille ?
Un dilemme moral quasiment insoluble
Que ce soit pour les états ou pour les compagnies privées, la prise d’otage suivie d’une demande de rançon se traduit inévitablement par un dilemme moral quasiment insoluble : céder sera forcément considéré comme un encouragement donné à cette pratique, ne pas céder sera considéré comme un choix consistant à donner une valeur plus importante à l’argent qu’à la vie humaine, surtout en cas de fin tragique. C’est cette problématique que le réalisateur danois Tobias Lindholm a choisi de porter à l’écran pour son 2ème long métrage : le cargo NV Rosen fait route vers Mumbai avec 7 hommes à bord lorsqu’il est pris d’assaut par un groupe de pirates somaliens qui, très vite, exigent une rançon de 15 milliards de dollars pour libérer le bateau et les hommes. Au Danemark, une cellule de crise est rapidement constituée pour mener les négociations, sous la houlette de Peter, le PDG de la compagnie à laquelle le cargo appartient, et de Connor, un expert en matière de négociations de ce type. Sur le bateau, le capitaine étant malade, c’est le cuisinier Mikkel qui représente l’équipage auprès d’Omar, le représentant des pirates, un homme qui se présente comme traducteur et qui refuse d’être considéré comme étant lui-même un preneur d’otage. A partir de ce moment, le film balance entre séquences sur le bateau et conciliabules au sein de la séance de crises, entrecoupés de conversations téléphoniques entre les 2 camps, conversations pendant lesquelles les protagonistes jouent les marchands de tapis en s’appellant par leurs prénoms et se demandant réciproquement « comment ça va ? ».
Les règles de la réalité
Avec une très grande maîtrise de la caméra, un art consommé de l’alternance dans le climat des scènes, un montage pas loin d’être parfait (seules une paire de scènes auraient gagnées à être très légèrement raccourcies), Tobias Lindholm arrive à faire monter le suspense jusqu’à son paroxysme de façon très naturelle, disons même naturaliste : aucun effet grandiloquent, nul besoin d’imposer aux spectateurs une quelconque musique anxiogène. Rappelons nous que Lindholm est danois, la patrie du Dogme95, et qu’il a travaillé dans Submarino et dans La chasse comme scénariste auprès de Thomas Vinterberg, un des créateurs de ce mouvement qui prônait un cinéma sans aucun artifice, un cinéma se voulant en prise directe avec la réalité. Certes, le mouvement s’est auto-dissous en 2005 mais il en reste toujours quelque chose dans le cinéma danois. En fait, Lindholm, comme Susanne Bier dans Brothers, a su conserver tout ce qu’il y avait de bon dans ce mouvement (rappelez vous Festen !) et jeter aux orties tout le reste, c’est-à-dire … le dogmatisme ! Depuis R, son premier film comme (co)réalisateur, tourné dans une vraie prison avec de vrais gardiens et d’anciens détenus, Lindholm utilise l’expression « règles de la réalité », des règles « consistant à suivre la logique de la vie plutôt que celle de la dramaturgie ». C’est ainsi que le film a été tourné sur les côtes du Kenya, une région où les actes de piraterie maritime sont fréquents, que le bateau utilisé dans le film a véritablement été l’objet d’une attaque par des pirates et que le rôle de Connor est tenu par un véritable expert en sécurité et sûreté auprès d’une compagnie maritime internationale. Un expert dont le rôle a sans doute été important pour alimenter l’écriture du scénario à partir d’une vingtaine d’histoires réelles et faire en sorte que la version finale de ce scénario reste dans les clous en terme de crédibilité. Quant au choix de ne jamais choisir la voie du manichéisme, elle revient à coup sûr à Lindholm lui-même. Ce choix, particulièrement appréciable, donne naissance à une scène de fraternisation entre otages et pirates lors d’une partie de pêche permettant de fournir un supplément de nourriture bien venu après plusieurs semaines de négociations stériles. Il permet surtout d’observer le comportement de Peter, le PDG qui mène les négociations depuis son bureau de Copenhague : d’un côté, il se comporte avec les preneurs d’otage comme s’il s’agissait d’une négociation commerciale, uniquement intéressé par le fait d’arriver à faire baisser le montant de la rançon ; d’un autre côté, on sent qu’il n’est pas indifférent au sort de ses employés.
Des comédiens remarquables
On se demande parfois comment le Danemark, avec moins de 6 millions d’habitants, arrive à « sortir » autant de comédiens de grands talents. On a vu récemment l’émergence de Mads Mikkelsen sur la scène internationale ; les trois acteurs en provenance de Borgen sont au même niveau d’excellence : que ce soit Pilou Asbæk, l’interprète de Mikkel, Søren Malling qui joue Peter ou Dar Salim qui tient le rôle de Lars, l’adjoint de Peter, ils sont tous les trois criants de vérité, aussi à l’aise lorsqu’il s’agit de montrer leur force morale que lorsque les fêlures doivent apparaître. Quant à Gary Skjoldmose Porter, l’expert qui joue son propre rôle, certainement excellent dans son travail habituel, il se montre très convaincant en tant que comédien.
Résumé
A la sortie d’un tel film, on se demande ce que le même sujet aurait pu donner s’il avait été traité dans un autre pays, par un autre réalisateur. On peut imaginer ce qu’en aurait fait Ken Loach : certainement un film tout aussi excellent, mais beaucoup plus politique, beaucoup plus dénonciateur. On peut aussi s’interroger sur le résultat qui aurait été obtenu dans le cadre du cinéma américain : probablement beaucoup plus tapageur, plus grandiloquent, plus appuyé. In fine, on se réjouit que ce soit le cinéma danois, avec son goût pour un cinéma proche de la vraie vie, qui se soit emparé de ce sujet délicat. Peut-être le succès qu’on espère pour ce film permettra-t-il la sortie de R, le premier film réalisé par Tobias Lindholm, en collaboration avec Michael Noer.
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Encore un film danois intelligent et bien construit.