Critique : Her Cardboard Lover

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Her Cardboard Lover

États-Unis, 1942
Titre original : Her Cardboard Lover
Réalisateur : George Cukor
Scénario : Jacques Deval, John Collier, Anthony Veiller et William H. Wright, d’après une pièce de Jacques Deval
Acteurs : Norma Shearer, Robert Taylor, George Sanders et Frank McHugh
Distributeur : –
Genre : Comédie romantique
Durée : 1h32
Date de sortie : –

2,5/5

Même un réalisateur à la filmographie aussi prestigieuse que George Cukor n’était pas à l’abri d’un loupé par-ci, par-là. Alors qu’il avait plutôt bien négocié le passage des années 1930 aux années ’40 avec ces deux classiques confirmés de la comédie pétillante que sont Femmes et Indiscrétions, le coup de mou n’allait pas se faire attendre longtemps. Her Cardboard Lover, un film si obscur qu’il n’a quasiment été distribué nulle part après ses résultats fort décevants au box-office américain, est indubitablement l’œuvre du creux de la vague.

Pire encore, cette comédie de mœurs assez laborieuse avait mis fin à la carrière de sa vedette Norma Shearer. L’une des actrices les plus populaires du cinéma hollywoodien des années ’30, elle est restée en quelque sorte figée dans cette époque lointaine, son jeu plutôt théâtral ne produisant aucune étincelle dans ce film-ci. De même, ses succès d’antan n’ont pas résisté à l’épreuve du temps, à l’exception notable du règlement de comptes au féminin cité quelques lignes plus haut.

Surtout, la réputation de Cukor en tant que metteur en scène hors pair des femmes est mise à rude épreuve par l’adaptation de cette pièce de théâtre aux accents globalement misogynes. Le personnage principal féminin a beau y tenir le haut de l’affiche, toutes ses actions concourent à déposséder cette femme de la haute société des privilèges de liberté que son statut social aurait dû lui garantir. Ainsi, le marché qu’elle conclut avec son amant indésiré consiste à la tenir en cage afin de la protéger, non pas du monde extérieur censé être dangereux pour une demoiselle en détresse comme elle prétend l’être, mais de sa propre passion hystérique.

Pas assez de cette prémisse incroyablement bancale, advient ce qui doit advenir, elle finit par s’éprendre comme par miracle de son humble serviteur. Celui-ci est campé au moins avec une certaine fougue juvénile par un Robert Taylor, lui aussi en plein déclin entre divers sommets d’une carrière en dents de scie, qui n’est, elle non plus, passée indemne à la postérité.

© 1942 Metro-Goldwyn-Mayer / Warner Bros. Discovery France Tous droits réservés

Synopsis : Depuis des semaines, le compositeur de chansons Terry Trindale est épris en secret de la mystérieuse Consuelo Croyden. Il l’observe à distance, incapable de lui avouer son amour. Quand il finit quand même par l’aborder dans un casino, elle reste hermétiquement fermée à ses avances. Par erreur, Terry l’affronte au jeu et lui doit dorénavant une forte somme d’argent. Sans le sou, il se voit obligé d’accepter une proposition quelque peu indécente de la part de sa bien-aimée toujours aussi résistante : pendant dix semaines, il devra se faire passer pour l’amant de pacotille de Consuelo, le temps de la dissuader d’épouser l’homme qu’elle aime réellement, le cruel et infidèle Tony Barling.

© 1942 Metro-Goldwyn-Mayer / Warner Bros. Discovery France Tous droits réservés

Malgré une propension initiale de la part du récit de Her Cardboard Lover de plonger le public dans un cadre luxueux et désirable, la sauce ne prend pas, pour l’écrire platement. Alors qu’il y avait certainement matière à distiller quelques commentaires acerbes sur les différentes formes d’exclusion qui hantent jusqu’à ce jour la société américaine – symbolisées ici d’emblée par la tenue exigée au sein du casino –, le scénario se contente bien trop rapidement à réserver toute son attention à une histoire d’amour jamais crédible.

Le manque de charme évident de ce ménage à trois que George Sanders traverse avec son flegme habituel résulte avant tout des motivations troubles des deux personnages principaux. Il y a quelque chose de profondément calculateur, voire de malsain, dans le pacte scellé entre cette femme et cet homme, destinés à finir ensemble par la seule volonté au forceps d’une intrigue, rapidement arrivée à bout de toute forme d’ingéniosité comique.

Car cette Consuelo Croyden, dont on ne sait absolument rien, si ce n’est qu’elle est terrifiée de ses sentiments et du rôle inférieur que la société lui attribuera dans un couple au fort potentiel orageux, personnifie à elle seule les pires préjugés sur l’hystérie féminine. En somme, elle ne sait pas ce qu’elle veut. Sauf que, grâce à un sursaut aussi insoupçonné qu’éphémère de lucidité, elle a su s’adjoindre les services d’un drôle de secrétaire particulier, prêt à tout par amour dépourvu de réciprocité. Difficile de faire exister ne serait-ce qu’un minimum d’humour léger et d’insouciance communicative dans un contexte romantique si artificiel. Et ce n’est pas du tout le revirement final, hautement ridicule dans son apparition à la fois si prévisible et si mal préparée, qui nous convaincra du contraire !

© 1942 Metro-Goldwyn-Mayer / Warner Bros. Discovery France Tous droits réservés

Néanmoins, s’il n’y a aucun risque à classer Her Cardboard Lover parmi les films les plus négligeables de George Cukor, il ne s’agit pas non plus d’un naufrage complet. Pour cela, la nature d’origine très proche du théâtre de boulevard permet au récit de rester suffisamment à la surface des choses pour ne brusquer personne en fin de compte. Dès lors, on observe d’un œil vaguement distrait ces péripéties sans queue, ni tête, ponctuées malgré tout de trop rares sursauts burlesques dignes d’intérêt. A moins que ce ne soient précisément ces références plus ou moins directes aux films contemporains infiniment plus mémorables – le héros affublé d’une robe de nuit féminine, cela devrait vous rappeler quelque chose, non, si vous êtes tant soit peu familiers de la carrière de Cary Grant ? –, qui rendent cette farce-ci si inoffensive et de temps en temps pénible.

Mieux vaut donc rire jaune de ces quelques parenthèses un peu plus énergétiques que de se lamenter sur l’absence d’originalité et de personnalité d’un film qui sent trop souvent la médiocrité ! Parmi elles, il convient de citer la bagarre entre les deux mâles déchaînés au sous-sol de l’hôtel, qui les amènera devant l’instance faussement régulatrice d’une cour de justice étrangement glauque. Ceci après que la narration a tristement perpétué les clichés les plus abjects sur les personnages noirs, réduits ici à l’emploi d’opérateur d’ascenseur trop bête pour marquer l’arrêt à l’étage demandé et trop lâche pour remédier au bazar causé par cette erreur anodine. Ainsi que l’imbroglio qui précède à cette séquence, acte de saltimbanque sur le balcon compris, au cours duquel Consuelo affiche les premiers signes d’égard envers son chien de garde encombrant.

Conclusion

Merci à la Cinémathèque Française de nous avoir permis de prendre connaissance de ce film de George Cukor, tombé aux oubliettes peut-être à juste titre ! Et merci également à la Cineteca del Friuli à Gemona au nord de l’Italie, près d’Udine, d’avoir entrepris une numérisation tout à fait convenable de sa copie 16 mm de ce film dépourvu de quelque espoir de postérité commerciale que ce soit ! Il est fort probable que Her Cardboard Lover ne convertisse personne à la passion des comédies loufoques qui avaient fait les beaux jours du cinéma hollywoodien des années ’30 et ’40. En même temps, cela peut parfois être salutaire de regarder des films guère réussis, pour mieux apprécier ensuite la maestria des chefs-d’œuvre intemporels …

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