Critique : Godzilla Minus One

0
1083

Godzilla Minus One

Japon, 2023
Titre original : Gojira Mainasu Wan
Réalisateur : Takashi Yamazaki
Scénario : Takashi Yamazaki
Acteurs : Ryunosuke Kamiki, Minami Hamabe, Yuki Yamada et Munetaka Aoki
Distributeur : Piece of Magic Entertainment France
Genre : Fantastique
Durée : 2h05
Date de sortie : 17 janvier 2024

3/5

En occident, le phénomène Godzilla est traité en quelque sorte en mode touristique. On n’y cherche guère à comprendre cet objet étrange et exotique, mais on voudrait quand même bien en tirer quelques bénéfices commerciaux. Dans le passé, cette démarche pour le moins mercantile nous a valu des récupérations hollywoodiennes plus ou moins réussies. Avec en guise d’exception qui confirme la règle la version somme toute acceptable de Gareth Edwards sortie en 2014 d’un côté et, de l’autre, celle de Roland Emmerich en pleine vague de renaissance du film catastrophe dans les années 1990 comme exemple à ne surtout pas suivre. Par ailleurs, on aura droit à une nouvelle conjugaison à l’américaine dans moins de trois mois, sous le nom de Godzilla x Kong Le Nouvel empire de Adam Wingard. Permettez-nous de faire preuve d’une anticipation très, très mesurée à son égard.

Car les meilleurs films de Godzilla, ce sont encore les Japonais qui les font. Encore que, les lois des séries et de l’usure à la corde étant passées par là, ces productions bon marché appartiennent davantage à la série Z qu’au genre aussi prestigieux que coûteux des spectacles tonitruants, gonflés aux effets spéciaux dernier cri. Dans ce contexte d’un univers dont on n’attendait plus grand-chose depuis longtemps, Godzilla Minus One fait office de bonne surprise, voire de révélation inespérée !

Faute d’avoir une connaissance au moins rudimentaire des autres œuvres ayant le monstre radioactif remonté des profondeurs comme épouvantail, on ne s’aventurera pas jusqu’à écrire que le film de Takashi Yamazaki soit le meilleur Godzilla de tous les temps. Néanmoins, grâce à la richesse de son histoire cadre à laquelle la narration consacre un temps considérable et à l’orchestration savante de la croisade destructrice de la bête préhistorique, ce film mérite amplement le succès planétaire qui lui est arrivé presque par hasard.

© 2023 Toho / Robot Communications / Piece of Magic Entertainment France Tous droits réservés

Synopsis : En 1945 à la fin de la guerre, le pilote Koichi Shikishima aurait dû suivre ses camarades dans des opérations kamikaze suicidaires. Il a préféré prétexter un problème technique avec son avion afin de regagner sain et sauf la base arrière des techniciens aéronautiques. Alors que les autres soldats se posent de sérieuses questions sur le courage et le sens patriotique de Koichi, le camp est attaqué par une bête venue de la mer que les gens de la région appellent Godzilla. Une fois de plus, le jeune homme n’ose pas prendre part au combat, au prix de lourdes pertes parmi les siens. Profondément traumatisé, il regagne sa ville natale, où il espère reconstruire sa vie dans un pays gravement marqué par les séquelles de la guerre.

© 2023 Toho / Robot Communications / Piece of Magic Entertainment France Tous droits réservés

Peut-être notre vision du sous-genre des films de Godzilla est-elle faussée par toutes ces resucées hollywoodiennes citées plus haut, mais l’intrigue de Godzilla Minus One nous a plutôt pris au dépourvu. Sur ses près de deux heures, le temps alloué aux attaques du monstre s’avère relativement court, sans que nous ne voulions minimiser la maestria technique avec laquelle ces séquences d’un affrontement à armes inégales ont été conçues.

Omniprésents dans les autres films de l’univers, les scientifiques s’y font de même assez rares, les causes de l’évolution accélérée de cet antagoniste redoutable étant plus sous-entendues que clairement explicitées. Autant dire que le message anti-nucléaire – à l’origine, la base idéologique des aventures de cette créature née des aberrations de la Seconde Guerre mondiale – a certainement déjà été véhiculé avec plus de conviction ailleurs. Ce qui ne signifie nullement que cette version-ci ait de quoi nous déplaire par son propos consensuel, bien au contraire.

En effet, face à un monstre au raisonnement et à la stratégie d’attaque clairement limités, les enjeux du récit se situent du côté d’une rédemption à retardement. Celle-ci est sans doute commune à tous les survivants d’une guerre à l’atrocité hors norme. Au détail près que ce pas si vaillant Koichi Shikishima est un traître envers la patrie, un lâche à répétition par la faute duquel bon nombre de personnes sont mortes. Ce fardeau psychologique et social très lourd à porter, l’acteur Ryunosuke Kamiki le fait sien sans fausse pudeur, ni gestuelle excessive d’introverti rongé par sa faute. Peu importe les actions plus ou moins volontaires de rachat de cette dernière, les démons du passé continuent de le hanter sans répit. Et la mise en scène s’emploie plus à préserver cette chape de plomb morale qu’à en relativiser la portée par le biais de quelque exploit héroïque que ce soit.

© 2023 Toho / Robot Communications / Piece of Magic Entertainment France Tous droits réservés

Ainsi, la poursuite de la bataille par d’autres moyens et contre un nouvel ennemi renvoie sans cesse à cette blessure collective, à ce traumatisme national que très peu de pays ont osé traiter de front, si peu de temps après l’armistice. Quand on estime qu’il faut généralement des décennies avant que les langues ne se délient et que le souvenir des horreurs ne remonte au grand jour afin de permettre à la fois aux victimes et aux bourreaux de vivre désormais plus sereinement avec lui, les près de 80 ans qui séparent Godzilla Minus One de la capitulation nippone constituent un délai à peu près raisonnable pour faire table rase avec une Histoire pour le moins compliquée.

Derrière ses vrais airs de film de monstres au rythme pondéré, le seulement deuxième film de Takashi Yamazaki à sortir au cinéma en France – trois ans et demi après l’anime Lupin III The First, alors que le réalisateur en tourne régulièrement depuis le début du siècle – dresse le beau portrait épique d’un peuple en deuil de son honneur.

Pendant que Godzilla détruit tout sur son passage, les personnages s’efforcent, eux, à maintenir à flot une existence considérablement malmenée d’abord par la guerre, puis par la pénurie matérielle et affective de l’après-guerre. En toute logique, pareille ode à la survie ne viendrait jamais à l’esprit des scénaristes américains, ces récupérateurs éhontés de la légende de Godzilla, puisqu’elle serait en parfaite contradiction avec la perception victorieuse dans laquelle se complaisent les États-Unis peut-être même jusqu’à aujourd’hui. Au Japon par contre, elle sonne aussi douloureuse que sincère, peu importe le support médiatique par lequel elle est transmise. Or, c’est précisément cette richesse du fond autour d’un homme meurtri par son absence récurrente de courage qui confère ses lettres de noblesse à ce qui aurait très facilement pu n’être qu’un spectacle creux et bruyant.

© 2023 Toho / Robot Communications / Piece of Magic Entertainment France Tous droits réservés

Conclusion

Malheureusement, la renaissance à grande échelle du cinéma de genre japonais sur les écrans de cinéma français n’est pas encore pour demain. Godzilla Minus One pourrait certes en être un signe avant-coureur plus que prometteur. Sauf que sa stratégie de distribution fortement hâchée – deux jours en décembre 2023, suivis de deux semaines en janvier 2024 – ne lui permettra pas en toute probabilité de conquérir un public en dehors des fans d’ores et déjà conquis. Ce qui est fortement dommage, tant le film de Takashi Yamazaki prend le risque de s’écarter à intervalles réguliers de la recette éprouvée des films de monstres pour en faire quelque chose de sensiblement plus substantiel !

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici