Todos os mortos
Brésil : 2020
Titre original : –
Réalisation : Caetano Gotardo, Marco Dutra
Scénario : Caetano Gotardo, Marco Dutra
Interprètes : Mawusi Tulani, Clarissa Kiste, Carolina Bianchi
Distribution : Jour2fête
Durée : 1h55
Genre : Drame, historique
Date de sortie VOD : 2 juin 2022
Date de sortie en DVD : 21 juin 2022
3.5/5
Synopsis : Brésil, quelques années après l’abolition de l’esclavage. A la mort de leur dernière domestique noire, les trois femmes de la famille Soares sont complètement désemparées dans la ville de São Paulo qui se développe de manière vertigineuse. Incapables de s’adapter aux exigences de la métropole, Isabel et ses filles Maria et Ana s’isolent et s’abandonnent à la nostalgie d’une époque révolue. Parallèlement, Iná, ancienne esclave des Soares, arrive en ville avec sa famille et se trouve confrontée à une structure sociale qui n’a pas encore intégré les Noirs affranchis comme citoyens à part entière. Les délires de plus en plus réguliers d’Ana annoncent la tragédie qui plane sur tous les personnages…
Un film théâtral mais passionnant
La fin du 19ème siècle a été une période particulièrement importante de l’histoire du Brésil : Le , la princesse Isabelle de Brésil signa la Loi d’or, qui supprimait l’esclavage dans le pays et le 15 novembre 1899, la République fut proclamée à la suite d’un coup d’état militaire. Les choses ont-elles fondamentalement changé pour autant ? Pas vraiment ! Faite sans mesure spécifique apportant de l’aide aux anciens esclaves dans leur nouvelle condition, les laissant sans éducation et sans profession, cette émancipation juridique ne leur a apporté aucune véritable amélioration concernant leur condition sociale et économique, les laissant en fait dans une condition subalterne. Quant à l’établissement de la République, cela n’a pas suffi pour faire ex abrupto du Brésil une véritable démocratie. C’est cette situation qui, pour eux, n’a pas fondamentalement changé depuis plus d’un siècle, que Caetano Gotardo et Marco Dutra ont cherché à montrer dans Todos os Mortos, présenté dans de nombreux festivals dont le Festival international du film de Berlin en 2020. Pour eux, « l’idée était de revisiter le moment de la fin de l’esclavage et de la création de la République que nous connaissons aujourd’hui à partir de familles qui ont dû apprendre à se réinventer dans un nouveau monde ».
Pour arriver à leurs fins, ils ont choisi de nous introduire dans la famille Soares, une famille qui possédait autrefois une plantation de café mais que les changements sociétaux et économiques amenés par l’abolition de l’esclavage et l’instauration de la république ont menée à un déclin inexorable. Habitant dorénavant à São Paulo, loin de la plantation, Isabel, la mère, vit avec ses deux filles Maria et Ana et voit sa santé se détériorer rapidement. Maria, bonne sœur et enseignante, a peu de temps pour s’occuper de sa mère. Quant à Ana, c’est une jeune femme silencieuse, qui ne sort jamais de la maison, au comportement étrange l’amenant à souvent évoquer les morts enterrés, et qui vit dans la nostalgie de la vie passée, la vie dans la plantation. La mort de Josefina, leur domestique noire, une ancienne esclave, laisse les 3 femmes désemparées. Iná Nascimento, l’épouse d’Antônio, un petit fils de Josefina, serait elle apte à la remplacer ? Quant à Jorge, le mari d’Isabel, il travaille dorénavant pour la famille Vitale, une famille italienne qui a racheté la plantation. Isabel et ses filles le reverront-elles un jour ? En écho à ces problèmes d’anciens riches, d’anciens propriétaires d’esclaves, vus au travers de la famille Soares, c’est au travers de la famille Nascimento que les réalisateurs montrent que la société nouvelle, celle enfantée par l’abolition de l’esclavage n’a malheureusement pas vraiment donné une place aux noirs devenus libres. Etre passé à côté de l’opportunité de bâtir une autre structure de la société dans une république à la fin du 19ème siècle fait que le Brésil est devenu (et est resté ?) une société coupée en deux.
Admirateurs du théâtre de Tchekhov, d’Ibsen et de Brecht, les réalisateurs reconnaissent l’influence de leurs drames sur leur film. De fait, ils ont souvent fait appel à des plans fixes, parfaitement cadrés, les personnages évoluant alors à l’intérieur de ces cadres comme sur un plateau de théâtre. L’action, qui se déroule sur les années 1899 et 1900, période de la construction du tramway à São Paulo, ne manque pas de faire appel aux grands moments de la vie brésilienne : l’anniversaire de l’indépendance, le 7 septembre, le jour des morts et le carnaval. Afin, sans doute, de montrer que la situation vécue lors du passage du 18ème siècle au 20ème est en phase avec les problèmes rencontrés par le Brésil actuel, les réalisateurs n’hésitent pas à faire sortir Ana, elle qui ne sortait jamais, dans les rues du São Paulo d’aujourd’hui. Même si le côté théâtral de la mise en scène peut dérouter, Todos os Mortos est un film passionnant qui permet de mieux comprendre le Brésil d’aujourd’hui et l’opposition profonde entre Bolsonaro et Lula. Un regret toutefois : le fait que ce film ne sorte pas en salle.