Critique Express : On a grandi ensemble

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On a grandi ensemble

France : 2022
Titre original : –
Réalisation : Adnane Tragha
Scénario : Adnane Tragha
Distribution : Les films qui causent
Durée : 1h12
Genre : Documentaire
Date de sortie : 21 septembre 2022

3.5/5

Synopsis : A Ivry sur Seine, en proche banlieue parisienne, la cité Gagarine était un symbole. Détruite en 2020, Ce film la fait revivre, à travers le regard d’Adnane Tragha, qui a grandi en face, et par les mots de ses anciens habitants. De retour dans la cité déserte, ils évoquent leurs souvenirs du lieu. Daniel, Loïc, Karima, Yvette, Foued, Samira ou encore Mehdy racontent leur vécu, leur expérience, leur ressenti. Les difficultés autant que la solidarité, la stigmatisation autant que l’entraide, les bons souvenirs comme les mauvais. Croisant les temporalités et les expériences, « On a grandi ensemble » peint, par petites touches subjectives, l’histoire d’une cité comme tant d’autres. Ce film est une « contre-histoire », la réhabilitation d’une parole trop rare, un hymne aux quartiers populaires. « A la fois documentaire, fiction, travail d’archives, On a grandi ensemble est multifacettes, à l’image de la cité. »


Un grand ensemble démoli raconté par d’anciens habitants

On a GRANDi ENSEMBLE : le titre de ce documentaire a le bon goût de contenir le sujet qui va y être traité, les grands ensembles, ces énormes constructions, ces barres qui ont vu le jour dans les années 50 et 60 afin de combattre le plus rapidement possible une importante pénurie de logements et qui, pour certaines, sont toujours debout, souvent après avoir été rénovées, et, pour d’autres, ont été démolies du fait de leur vétusté et/ou de leur évolution vers une forme de ghetto urbain. La Cité Gagarine, construite à Ivry-sur-Seine, inaugurée en 1963 par le cosmonaute soviétique Yuri Gagarine en personne et habitée à partir de cette date, fait partie de ces grands ensembles ayant été démolis : 13 étages, 5 cages d’escalier, 380 appartements, des milliers d’habitants, elle a été démolie en 2020. Une démolition qui, l’an dernier, servait de toile de fond à un très beau film de fiction, intitulé très simplement Gagarine. C’est une autre approche, tout aussi intéressante, celle du documentaire, que nous propose le réalisateur Adnane Tragha, auteur en 2016 de 600 Euros, un long métrage de fiction sur des laissés-pour-compte de la société.

Pendant 28 ans, Adnane Tragha a vécu à quelques dizaines de mètres de la Cité Gagarine, c’est là qu’il avait ses copains de jeunesse, et, bien que n’y habitant pas, il y avait « son laissez-passer, son passeport, son autorisation de séjour ».  C’est pourquoi, avoue-t-il, « lorsque j’ai appris que la Cité Gagarine allait être détruite j’ai été pris par une envie très forte d’y tourner un film. Dans un premier temps, j’imaginais une fiction car c’est mon domaine de prédilection. Mais ma proximité avec de nombreux anciens habitants du quartier et mon histoire personnelle avec Gagarine m’ont fait réaliser qu’en fait c’était le réel que je souhaitais filmer ». Ayant demandé et obtenu l’autorisation de filmer dans les couloirs et dans des appartements devenus inoccupés de ce grand ensemble qui allait définitivement disparaitre, il a choisi de faire intervenir d’anciens habitants de la cité les laissant totalement libres de  faire état de leur ressenti. Dans On a grandi ensemble, pas d’intervention de sociologue ou de psychologue  chargés d’expliquer le pourquoi du comment, « seulement » les paroles d’une douzaine de personnes qui, s’agrégeant les unes aux autres, racontent le mélange d’amour et de haine que la Cité Gagarine leur inspirait et la nostalgie qui, parfois à leur corps défendant, les gagnait à mesure que la destruction approchait. Pour beaucoup, dans les premiers temps de la cité, arriver dans un de ses appartements, même si nombre d’entre eux subissaient les nuisances sonores d’une voie ferrée toute proche, c’était la découverte d’un confort inconnu avec les ascenseurs, les radiateurs dans chaque pièce, les toilettes et les douches dans l’appartement. Et puis, progressivement, le tableau s’est noirci avec la double dégradation de la société et des bâtiments : le chômage, la présence de plus importante de la drogue, la stigmatisation envers les habitants de la Cité, en particulier de la part de l’Education Nationale et des « Conseillères de désorientation » qui ne parlaient jamais de l’existence des classes préparatoires et qui tranchaient : « tu vas faire un BEP, tu viens du quartier ».

Pour parler de ce « ghetto » qui, comme le dit un intervenant, n’était pas ethnique mais social, Adnane Tragha a choisi de soigner particulièrement la forme de son film : il a scénarisé certaines scènes comme la reconstitution de jeux d’enfants tels qu’ils se pratiquaient dans la cité, il a mis de la couleur en utilisant régulièrement des fumigènes rouges qui viennent emplir des couloirs vides et il a ponctué son film de petites séquences musicales exécutées par un petit ensemble de 5 musiciens. Toutefois, le plus important ce sont bien les rencontres avec cette douzaine d’anciens habitants et d’anciennes habitantes de la Cité. Toutes ces rencontres ont leur importance mais 2 d’entre elles retiennent plus particulièrement l’attention : celle avec Samira Trouillet-Benhammouche qui avait compris très jeune tout l’intérêt qu’il y avait pour elle à faire des études, qui est aujourd’hui une chercheuse en cancérologie reconnue, mais qui avoue avec amertume n’avoir entendu parler de Normale Sup que lors de sa première année de thèse, c’est-à-dire après 5 ans à l’Université et n’avoir été vraiment reconnue en tant que française que lors de son séjour de 5 ans aux Etats-Unis où elle était allée faire son post-doctorat et où on la voyait comme la « p’tite frenchie ».  Celle, aussi, avec le rappeur Loïc Jumet, membre du groupe La Brigade sous le pseudo K-Fear, très amer de ne pas avoir eu, à ses débuts, de soutien de la part de la Cité ou de sa ville. Pour lui, « l’originalité dérange, mais quand elle s’impose, elle inspire ! ».

On a grandi  ensemble a le grand mérite de donner une vision de la vie dans un grand ensemble très différente de celle donnée en général par les médias et le cinéma. Ce beau film n’inspire qu’un seul (petit) regret : le côté un peu foutraque de son montage, la succession des interventions manquant parfois de cohérence. Toutefois, il n’est pas interdit de penser que ce côté foutraque était voulu par le réalisateur qui, manifestement, avait choisi d’observer une certaine égalité entre les bons côtés de la Cité et les moins bons et ne souhaitait pas imposer sa vision des choses au spectateur.

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