Critique Express : Les fantômes

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Les fantômes

France : 2023
Titre original : –
Réalisation : Jonathan Millet
Scénario : Jonathan Millet, Florence Rochat
Interprètes : Adam Bessa, Tawfeek Barhom, Julia Franz Richter
Distribution : Memento Distribution
Durée : 1h46
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie : 3 juillet 2024

3.5/5

Synopsis : Hamid est membre d’une organisation secrète qui traque les criminels de guerre syriens cachés en Europe. Sa quête le mène à Strasbourg sur la piste de son ancien bourreau.

Inspiré de faits réels.

 

C’est avec sa grande expérience de preneur d’image un peu partout dans le monde et de documentariste que Jonathan Millet s’est lancé dans la réalisation de son premier long métrage de fiction. Ayant vécu à Alep il y a une vingtaine d’années et ayant conservé des liens d’amitié avec de nombreux syriens, il a en quelque sorte vécu par procuration la révolution syrienne qui a débuté en mars 2011, recevant régulièrement des photos et des vidéos envoyées par des amis. Un pourcentage important de la population syrienne ayant choisi l’exil à l’étranger, qui en Turquie, qui en Allemagne, il a suivi avec attention l’exil de certains de ces amis. Et puis, un jour, il a entendu parler des cellules secrètes, des réseaux souterrains qui se sont constitués pour traquer en Europe les criminels de guerre syriens « réfugiés » sous de fausses identités. Raconter dans un documentaire une histoire se déroulant au sein d’un tel réseau n’était pas inimaginable mais il a semblé à Jonathan Millet que la fiction était beaucoup plus adaptée pour raconter le réel de façon précise et exhaustive. Bien entendu, en bon documentariste, il a passé beaucoup de temps à se documenter sur ces cellules, sur la façon dont se déroulait les filatures, à rencontrer et interroger certains de leurs membres. Il a pu ainsi « construire » ses personnages, côté « chasseurs » et côté « chassés », et leur faire adopter des comportements, leur faire entreprendre des actions qui soient dans le concret.

Très intelligemment, il a fait en sorte que les spectateurs ne comprennent que petit à petit ce que recherche Hamid, le personnage principal. On apprend d’abord que ce prof de littérature est sorti traumatisé de la prison de Saidnaya, la pire prison du régime de Bachar al-Assad, qu’il était marié, qu’il avait une fille et que toutes deux sont mortes dans un bombardement. Arrivé en Europe, son sort d’immigré n’est pas enviable, tout particulièrement en France, et il semble logique qu’il fasse profil bas. Toutefois, petit à petit, on va comprendre qu’en fait, il traque Harfaz, un de ses tortionnaires, et le film va devenir un mélange de thriller et de film d’espionnage. Attention ! Un film d’espionnage qui n’a rien à voir avec James Bond. On est là dans un espionnage feutré, avec des espions qui ne sont pas des professionnels mais qui n’en sont pas moins particulièrement motivés dans leur recherche. C’est ainsi que, lors d’une rencontre avec une compatriote très méfiante, Hamid va devoir apporter la preuve qu’il n’est pas un agent de Bachar al-Assad envoyé en Europe pour éliminer des opposants au régime et il va le faire en étant capable, lui le prof de littérature, de continuer un texte dont sa compatriote a juste donné le début. C’est ainsi que, dans ce film qui nous entraîne au plus profond des certitudes et des doutes d’Hamid, d’autres sens que la vue sont convoqués pour reconnaître quelqu’un qu’on a côtoyé mais qu’on n’a pas vu parce qu’on avait les yeux bandés lors des séance de torture : l’odorat, le son de la voix. C’est ainsi que l’on apprend que les membres de cellules secrètes comme celle présentée dans le film choisissent de communiquer au travers de jeux vidéo de guerre car ce sont les seuls endroit du web où l’utilisation de mots comme « bombes », « morts » et « tuer » est possible sans que ce soit répéré par un algorithme. Pour le groupe dont fait partie Hamid, la question qui taraude ses membres consiste à savoir si les criminels de guerre qu’ils poursuivent pourront être jugés ou bien si il est préférable pour eux de procéder à une exécution. On aura compris que ce film qui a fait l’ouverture de la Semaine de la Critique de Cannes 2024 est un film au thème très fort et qui, tout en étant à l’opposé de beaucoup de films d’espionnage, tout en ne faisant aucune surenchère au niveau de la musique, génère une très grande tension. Le jeu des comédiens interprétant les rôles de Hamid et de Harfaz est absolument remarquable. Adam Bessa, l’interprète de Hamid, est un comédien franco-tunisien qu’on avait particulièrement apprécié dans Harka de Lotfy Nathan. Il lui a fallu beaucoup travailler pour adopter l’accent syrien que son rôle exigeait. Quant à Tawfeek Barhom, l’interprète de Harfaz, il est palestinien et c’est lui qui interprétait le rôle principal, celui d’Adam, dans La conspiration du Caire de Tarik Saleh. A la vision de ce film passionnant, on regrettera quand même une trop grande utilisation d’une voix off et que certains dialogues en français (et, à ce titre, non sous-titrés !) ne soient pas toujours faciles à comprendre.

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