Critique Express : Légua

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Légua   

Portugal : 2023
Titre original : –
Réalisation : João Miller Guerra, Filipa Reis
Scénario : João Miller Guerra, Filipa Reis, José Filipe Costa, Sara Morais, Letícia Simões
Interprètes :  Carla Maciel, Fátima Soares, Vitória Nogueira da Silva
Distribution : Norte Distribution
Durée : 1h58
Genre : Drame
Date de sortie : 13 décembre 2023

3.5/5

Synopsis : Dans un vieux manoir situé au nord du Portugal, Ana aide Emília, la vieille gouvernante qui continue de prendre soin d’une demeure où les propriétaires ne se rendent plus. Au fil des saisons, Mónica, la fille d’Ana, remet en question les choix de sa mère, et ces trois générations de femmes tentent de comprendre leur place dans un monde en déclin, où le cycle de la vie ne se renouvelle qu’après d’inévitables fins.

On entend souvent dire que la terre appartient à ceux qui la cultivent. Dans le même ordre d’idée, ne pourrait on pas affirmer qu’une maison appartient à celles qui l’entretiennent ? La maison dont parle le film de João Miller Guerra et Filipa Reis est située à Légua, un village du nord du Portugal situé aux alentours de Braga. Cette maison familiale a sans doute été habitée par ses propriétaires dans le passé mais ce n’est plus le cas aujourd’hui : les propriétaires du moment habitent à Lisbonne et ils ne viennent pratiquement jamais. Dans ces conditions, cette maison serait en piteux état si elle n’était pas méticuleusement entretenue par Emilia, que tout le monde appelle Milinha, une vieille gouvernante dont tout laisse penser qu’elle n’a jamais été mariée, aidée par Ana, qui elle approche de la cinquantaine et qui, mariée à un ouvrier dans le bâtiment qui aspire à aller tenter sa chance en France, est la mère de deux enfants. Emilia, c’est un peu la propriétaire par procuration : les véritables propriétaire peuvent arriver à n’importe quel moment et, pour elle, il n’est pas concevable que leur arrivée se fasse dans une maison qui ne soit pas absolument impeccable. Lorsque Emilia et Ana refont le lit de Madame Manuela, pas question pour Emilia de se tromper en le recouvrant de la couette de Madame Aida, même si, comme le dit Ana, les deux couettes sont identiques. Lorsque, plus tard, Ana lui apporte le petit déjeuner, Emilia a du mal à admettre que Ana ait utilisé la vaisselle préférée de Madame Aida. Par ailleurs, preuve de la totale confiance que lui font ses patrons, c’est elle qui encaisse le loyer que le vieux métayer Zé est venu payer et qui va, bien sûr, le noter dans le livre des comptes.

Face à cette domestique à l’ancienne qui a parfaitement intégré son statut de personne inférieure par rapport à ses patrons et qui donne l’impression de vivre au 19ème siècle, Ana, elle, a tout d’une femme du 20ème siècle : elle aime reprendre les chansons de variété qui passent à la radio et, tout en étant très sérieuse dans son travail, elle a franchi une étape dans son affranchissement, allant jusqu’à se permettre des ébats sexuels avec son mari dans un des lits de la maison. Quant à Monica, la fille d’Ana, c’est une jeune femme du 21ème siècle : elle poursuit des études pour devenir ingénieure et le comportement d’Emilia est, pour elle, totalement inconcevable. Malgré leurs différences, Ana est très attachée à Emilia qui, dans le passé, l’a beaucoup aidée pour élever ses enfants et, lorsque cette dernière va devenir quasiment impotente du fait du myélome multiple qui la frappe, Ana va faire le choix de ne pas accompagner son mari qui part vers la France afin de pouvoir s’occuper d’Emilia avec amour, comme s’il s’agissait de sa propre mère. Une quasi-filiation qui va faire de Ana l’héritière d’Emilia en ce qui concerne la « propriété » fictive de la maison de Légua.


Présenté à la Quinzaine des Cinéastes lors du dernier Festival de Cannes, Légua fait partie de ces films au rythme lent qui donnent la fausse impression d’être dénués d’action, mais qui s’avère d’une grande richesse lorsqu’on prend soin de les regarder avec attention. Film portugais réalisé par un duo réalisatrice/réalisateur qui vient du documentaire et dont Légua n’est que le 2ème film de fiction, Légua a beaucoup de points communs avec un certain cinéma sud américain qui nous plonge souvent dans des haciendas ou dans des demeures bourgeoises et nous fait assister aux rapports entre des domestiques, le plus souvent des femmes, nounous, cuisinières, gardes malades, avec les personnes qui les emploient. Dans Légua, ces dernières sont physiquement absentes mais Emilia se comporte comme si ses employeurs étaient là ou sur le point d’arriver. Des femmes de 3 générations différentes sont réunies dans la maison de Légua et, d’une génération à l’autre, dans un monde qui est en train de changer, l’acceptation d’un état d’assujettissement consenti s’efface pour donner place à un profond désir d’égalité. De toute évidence, Emilia n’a jamais envisagé de quitter le village et son emploi. Ana, elle, l’a envisagé mais les problèmes de santé d’Emilia l’ont finalement convaincue de rester auprès d’elle. Quant à Monica, elle a déjà quitté le village pour poursuivre ses études et il est probable qu’elle fera sa vie dans un autre lieu que Légua. Les hommes du village, qu’on voit peu, ont en tête leurs propres objectifs : pour eux, le travail devient rare à Légua et ils ambitionnent de partir à l’étranger afin de mieux gagner leur vie. C’est ce que va faire le mari d’Ana : partir seul vers la France.

Autour de tous ces personnages, la place de la nature est particulièrement importante. João Miller Guerra et Filipa Reis interrompent régulièrement la narration de ce qui se passe dans la maison, en utilisant les transformations vécues par la nature et par le jardin potager dont s’occupe Ana pour montrer le temps qui passe, les saisons qui, inexorablement,  se succèdent. Fait d’une succession de plans fixes avec de très rares mouvements de caméra, très parcimonieux en matière de musique d’accompagnement, Légua est un film qui refuse tout caractère ostentatoire. Le jeu des interprètes n’en est que plus mis en valeur, en particulier celui de Carla Maciel, qui interprète le rôle d’Ana, un jeu le plus souvent très sobre mais qui, de temps en temps, s’extériorise avec bonheur dans une certaine exubérance.  



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