Fièvre méditerranéenne
Palestine : 2022
Titre original : Mediterranean fever
Réalisation : Maha Haj
Scénario : Maha Haj
Interprètes : Amer Hlehel, Ashraf Farah, Anat Hadid
Distribution : Dulac Distribution
Durée : 1h50
Genre : Drame
Date de sortie : 14 décembre 2022
4/5
Synopsis : Walid, 40 ans, Palestinien vivant à Haïfa avec sa femme et ses deux enfants, cultive sa dépression et ses velléités littéraires. Il fait la connaissance de son nouveau voisin, Jalal, un escroc à la petite semaine. Les deux hommes deviennent bientôt inséparables : Jalal est persuadé d’aider l’écrivain en lui montrant ses combines ; Walid, quant à lui, y voit l’opportunité de réaliser un projet secret…
Mélancolique et cocasse
Quand on cherche à devenir écrivain, la recherche du thème de son premier roman et celle d’informations en relation avec ce thème peuvent devenir une obsession. Walid n’échappe pas à ce trait de caractère : Walid est un arabe israélien dépressif qui habite à Haïfa, il est marié, il a 2 enfants, une fille et un garçon et, malgré l’inimitié qu’il porte au début à Jalal, le nouveau voisin de la famille, un homme désagréable et particulièrement sans gêne, il ne va pas tarder à en faire son ami, persuadé que Jalal est à même de lui fournir des informations importantes pour l’écriture de son premier roman, ne serait-ce que parce qu’il a toutes les caractéristiques du petit escroc minable. Une grande proximité va s’établir entre Walid et Jalal, une proximité qui va les mener très loin, Walid allant jusqu’à demander à Jalal de lui fournir un tueur pour tuer quelqu’un. Mais pour tuer qui ?
Maha Haj est la première à reconnaitre qu’elle n’a pas vraiment eu besoin d’informations extérieures pour « construire » le personnage de Walid : consciente d’être elle-même profondément mélancolique, elle affirme connaitre intimement sa personnalité et son caractère, même si, sur de nombreux points, elle et lui sont quand même différents. Face à Walid, Maha Haj a installé Jalal, son contraire : un petit voyou qui a tendance à toujours voir les choses du bon côté, même quand il doit de l’argent à des truands. Un film sur la relation entre deux personnages que tout oppose : on n’est pas très loin du genre que les américains appellent les « buddy movies », un genre dont le français Francis Veber a fait sa spécialité. Sauf qu’on est en Israël, et que la situation des palestiniens de nationalité israélienne ajoute beaucoup de tragique aux aspects comiques que ne manque pas de générer la relation entre Walid et Jalal.
Mais, au fait, comment se fait-il que le fils de Walid soit systématiquement malade tous les mardi ? Pour la doctoresse consultée, russe d’origine, il s’agit peut-être de la fièvre méditerranéenne, une maladie génétique qui se manifeste par des poussées inflammatoires et qui touche surtout des populations originaires du pourtour de la Méditerranée. En fait, il n’en est rien : le fiston n’est pas vraiment malade mais le mardi est le jour du cours de géographie, un cours qu’il ne veut plus suivre depuis que la professeur a dit que Jérusalem était la capitale de l’état d’Israël. Pour les arabes israéliens, les sentiment d’expropriation, d’exclusion et d’enfermement qu’il ressentent au plus profond d’eux-mêmes représentent une forme particulière de fièvre méditerranéenne, une « maladie » que Maha Haj avait déjà choisie, touchant une famille entière, comme thème de son premier film, Personal Affairs, présenté en 2016 dans la sélection Un Certain Regard du Festival de Cannes. Une sélection que la réalisatrice a retrouvée cette année, y obtenant même le Prix du meilleur scénario.
Cette « maladie » qui, cette fois-ci, n’affecte que Walid, le personnage principal, la réalisatrice, elle-même palestinienne de Nazareth, la plus grande ville arabe de l’état juif, la connait bien et elle qui a commencé sa carrière cinématographique comme décoratrice aux côtés de Elia Suleiman excelle à parler de ce désespoir profond avec un humour délicat, faisant cohabiter avec bonheur, mélancolie et cocasserie. Amer Hlehel, l’interprète de Walid, jouait le rôle de George dans Personal affairs et on l’a vu dans de nombreux films palestiniens dont, dernièrement, Tel Aviv on fire, un film qui comptait également Ashraf Farah, l’interprète de Jalal, dans sa distribution. Un peu thriller, beaucoup comédie noire et grinçante, Fièvre méditerranéenne a été retenu comme candidat de la Palestine pour les prochains Oscar dans la catégorie meilleur film international. On notera que Maha Haj a dédié la projection du film au Festival de Cannes à la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh, tuée deux semaines auparavant par l’armée israélienne.