Critique : Espèces menacées

0
2469

Espèces menacées

France, 2017
Titre original : –
Réalisateur : Gilles Bourdos
Scénario : Gilles Bourdos, Michel Spinosa, d’après l’oeuvre de Richard Bausch
Acteurs : Alice Isaaz, Eric Elmosnino, Grégory Gadebois
Distribution : Mars Films
Durée : 1h45
Genre : Drame
Date de sortie : 13 septembre 2017

Note : 3,5/5

Pour un cinéaste, s’attaquer à un récit choral a, on l’imagine, quelque chose d’assez stimulant, de par les possibilités quasiment illimitées de types de narration, et de croisements d’intrigues qui finissent en général par se mêler en une seule grande histoire. Cela peut donner des monuments de virtuosité entre les mains de scénaristes habiles et de grands metteurs en scène, mais le risque est généralement de tomber dans la confusion, ou d’oublier des personnages en cours de route. Le réalisateur Gilles Bourdos s’est inspiré des nouvelles d’un auteur américain dont la particularité est de décrire des rapports familiaux troublés et complexes, mais qui voulait s’éloigner de la structure type de ce genre de récit choral, où tous les personnages croisés au long du film seraient réunis dans un grand final lyrique. Cette note d’intention est tout à fait visible dans le résultat final, où le cinéaste excelle à construire de longues séquences laissant les comédiens libres de développer de vraies situations, à l’aide de dialogues finement écrits sonnant de manière particulièrement authentique …

Synopsis : Trois destins familiaux entrelacés. Joséphine et Tomaz viennent de se marier dans l’allégresse. Mais bientôt, derrière le bonheur solaire des époux, les parents de Joséphine vont découvrir une réalité plus sombre. Mélanie, elle, annonce à ses parents qu’elle attend un bébé mais le père de l’enfant n’a pas du tout le profil du gendre idéal ! De son côté, Anthony, étudiant lunaire et malheureux en amour, va devoir prendre en charge sa mère, devenue soudainement incontrôlable.

 

Du bonheur intense au pur malaise

Dès les deux premières séquences, on se rend compte de la place qui sera accordée aux jeux d’acteurs, que le cinéaste filme avec amour et précision. La première scène est un moment de bonheur intense puisqu’il s’agit d’un mariage. Les mariés hurlent leur joie à bord de leur voiture, fonçant à toute allure sur une route de nuit, et l’on voit tout de suite l’ambition de mise en scène qui se démarque totalement du tout venant français. La photographie est très élégante et Gilles Bourdos privilégie les plans longs, créant une ambiance sensorielle qui ne quittera plus le reste du métrage. La deuxième scène, se déroulant dans une chambre d’hôtel pour la nuit de noces du couple, concentre une grosse partie des enjeux du film. Une banale scène de bonheur post mariage se transforme de manière troublante en moment de pur malaise, un jeu innocent de devinettes basculant avec le comportement bizarre du jeune mari interprété par Vincent Rottiers. D’emblée, on comprend que la vie de la jeune femme campée par la formidable Alice Isaaz va prendre une tournure dramatique. Cette longue introduction permet de construire des personnages complexes et les autres histoires autour desquelles tournera le film seront du même calibre, décrivant des rapports de force, mais quasiment toujours guidés par l’amour, même si certains personnages ont une façon assez particulière de le montrer.

Le récit passe donc d’une histoire à une autre à l’aide d’un montage fluide où tout semble d’une évidence absolue. La maîtrise dont fait preuve le cinéaste dans sa narration et sa mise en scène est admirable. Cette dernière est très esthétique, mais jamais sur-stylisée. Les mouvements de caméra sont gracieux, et peut évoquer la sensualité de Mon âme par toi guérie de François Dupeyron, dans cette façon de se balader autour des personnages et de capter le soleil qui éblouit littéralement les visages et la caméra. Cette beauté formelle n’écrase jamais les personnages, forme et fond étant en parfaite harmonie.

 

Des prestations bouleversantes

Si tous les acteurs donnent vie à leurs personnages avec une égale qualité, on retiendra tout de même particulièrement les prestations bouleversantes de Grégory Gadebois et de Alice Isaaz. Il ne fallait pas être devin pour remarquer dès son rôle dans La crème de la crème de Kim Chapiron qu’elle allait devenir une comédienne importante dans le cinéma français, son charisme et l’empathie naturelle qu’elle parvenait à faire ressentir à son égard laissant espérer une carrière à la hauteur de son talent qui sautait aux yeux. Elle trouve ici son plus beau rôle, celui d’une jeune femme totalement sous l’emprise de son mari violent qui la tient sous sa coupe par la pression psychologique. Aucune caricature dans le traitement de la violence conjugale ou dans les interprétations des deux comédiens, chaque situation résonnant avec les faits divers sordides que l’on entend malheureusement régulièrement à ce propos. En aucun cas son personnage n’est bête ou trop facilement manipulable, le fait qu’elle ne s’enfuie pas ou qu’elle refuse l’aide de quiconque paraissant tristement proche de la réalité. La façon dont elle joue les multiples nuances que nécessitent ce rôle très exigeant émotionnellement et physiquement donne lieu à de nombreuses scènes très dures, où la brutalité et la détresse transparaissent de façon viscérale, mais sans complaisance. Tout juste pourra-t-on regretter l’utilisation de Vincent Rottiers, certes très crédible dans ce registre, dans un énième rôle de sale type violent et quasiment psychopathe. On aimerait le voir dans un registre plus doux, pour voir ce qu’il en ressort. Néanmoins, sa prestation reste ici saisissante et assez flippante. Quant à Grégory Gadebois, on ne peut être que touché face à ce personnage de père impuissant, cherchant désespérément à sauver sa fille, même si leurs relations sont compliquées et que cette dernière refuse l’aide de son entourage.

Si cette partie de l’histoire est évidemment la plus marquante, les autres ne déméritent pas, et tout est parfaitement cohérent thématiquement, sans qu’il n’y ait besoin d’en rajouter dans l’esbroufe scénaristique. Nul besoin de twists sortis du chapeau magique, ou de trop d’éparpillement. Trois histoires suffisent pour le propos du film, et aucune ne prends l’emprise sur les autres, le rythme symphonique du film s’imposant par lui-même, chaque élément se répondant pour au final, atteindre une universalité qui pourra parler à tous les publics.

Conclusion

Il est suffisamment rare dans un cinéma contemporain de plus en plus aseptisé de tomber sur des films originaux et maîtrisés pour ne pas bouder son plaisir devant cette œuvre à l’ambition cinématographique éloignée des standards actuels. À cet égard, Espèces menacées pourrait être taxé de prétentieux ou de ridicule mais ceux qui accepteront de se laisser emporter par son souffle romanesque, exempt de toute esbroufe, au plus proche de ses magnifiques personnages, en ressortiront profondément touchés par sa beauté simple et son humanité. Le plan final pourra, comme le dit le réalisateur, être interprété de deux façons, une des deux rejoignant le titre du film. On n’en dira pas plus et il vous faudra aller voir le film pour savoir si vous êtes de nature optimiste ou plus amère …

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici