Critique : En fanfare (Deuxième avis)

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En fanfare

France, 2023
Titre original : –
Réalisateur : Emmanuel Courcol
Scénario : Emmanuel Courcol, Irène Muscari, Oriane Bonduel et Marianne Tomersy
Acteurs : Benjamin Lavernhe, Pierre Lottin, Sarah Suco et Jacques Bonnaffé
Distributeur : Diaphana Distribution
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h43
Date de sortie : 27 novembre 2024

3/5

Non, il n’y a pas eu d’applaudissements spontanés à l’issue de notre séance matinale d’En fanfare ! Néanmoins, pour un film qui est désormais à l’affiche depuis cinq semaines, la salle du multiplexe était tout de même remplie d’une vingtaine de spectateurs, dont certains étaient visiblement émus aux larmes par la fin de ce succès populaire indéniable. C’est que le troisième long-métrage de Emmanuel Courcol manie avec une efficacité redoutable les hauts et les bas des sentiments qui font de ce récit d’une rencontre fraternelle un mélodrame des plus touchants. L’adresse de la narration a beau y primer sur de quelconques considérations esthétiques, il s’en dégage quelque chose de profondément réaliste et donc humain de ce conte sur la valeur de l’échec.

En effet, malgré l’optimisme aussi omniprésent que communicatif dégagé par le film, au fond, ses personnages titubent de mise en question en échec cuisant. Dès lors, c’est grâce au jeu appliqué, voire parfois virtuose, des comédiens que cette histoire, où tout le monde ou presque campe sur ses positions, prend vie. Que ce soit Benjamin Lavernhe en maestro dépourvu de vie privée et au seuil de la mort ou Pierre Lottin en frère frustre, mais pas dépourvu de talents cachés, la mécanique des opposés sociaux ne manque pas d’alimenter une intrigue qui aurait aisément pu être fâcheusement banale.

Or, la force insoupçonnée de la mise en scène consiste justement à transformer ces clichés sur les ouvriers en province en force désarmante. En cela, elle est considérablement aidée par l’interprétation de Sarah Suco, le maillon indispensable pour que cette fratrie découverte sur le tard puisse prendre son envol, ainsi que, dans une moindre mesure, par Jacques Bonnaffé en bonne âme de la fanfare.

© 2023 Agat Films / France 2 Cinéma / Diaphana Distribution Tous droits réservés

Synopsis : De renommée internationale, le brillant chef d’orchestre Thibaut Désormeaux apprend soudainement qu’il est atteint d’une leucémie. Son seul espoir de guérison serait une greffe de la part de sa petite sœur. Hélas, non seulement elle n’est pas compatible, mais en plus, Thibaut doit apprendre qu’il avait en fait été adopté. Il a un jeune frère, Jimmy, d’origine modeste, qui vit dans une petite ville dans le Nord. Grâce au don de Jimmy, la santé de Thibaut s’améliore progressivement. Quand il retourne dans la bourgade pour le remercier, il se rend compte qu’il a curieusement d’autres choses en commun avec son frère, initialement renfermé sur lui-même.

© 2023 Agat Films / France 2 Cinéma / Diaphana Distribution Tous droits réservés

Mieux vaut s’accrocher pendant les premières minutes d’En fanfare. En effet, les informations et autres coups de tonnerre y fusent sans arrêt, avec une formidable économie narrative basée sur l’ellipse. C’est comme si Emmanuel Courcol cherchait à s’y débarrasser au plus vite des aspects les plus encombrants de son scénario (la maladie, le mensonge sur l’adoption, les retrouvailles), afin de pouvoir désormais se concentrer sur ce qui lui tient réellement à cœur. A savoir la relation tortueuse, mais aucunement glauque, entre deux frères en quelque sorte séparés à la naissance dont le chemin de vie respectif n’aurait pas pu être plus différent.

Sans jamais perdre de vue la composante sociale, essentielle, le réalisateur n’en fait guère une histoire édifiante, à l’arrière-goût sirupeux. Bien au contraire, si Thibaut et Jimmy finissent par s’aimer fraternellement du mieux qu’ils le peuvent, c’est parce que cette confrontation de deux mondes antagonistes produit au moins autant d’échecs que de réussites.

Ainsi, le fils d’une famille riche ne débarque point auprès de son frère démuni tel un messie, grâce auquel tous ses problèmes matériels et affectifs seraient résolus en un coup de baguette magique. Il s’y emploie, certes, à travers des cadeaux onéreux et des conseils censés valoir leur pesant d’or. Sauf que le rythme soutenu de la narration empêche le récit de tanguer du côté problématique du conte de fées socialement condescendant.

L’échange entre ces deux milieux se fait davantage à double sens, c’est-à-dire que le snob de la musique classique apprend à s’investir corps et âme dans des représentations moins élitistes et que le prolétaire au sens social défaillant ose rêver de sphères culturelles qui devaient lui sembler jusque là hors d’atteinte. Le tout conté avec une agilité et une adresse permettant largement au récit de contourner les écueils les plus consensuels et manipulateurs.

© 2023 Agat Films / France 2 Cinéma / Diaphana Distribution Tous droits réservés

Pourtant, est-ce que cela signifie que Emmanuel Courcol aurait fait abstraction de tout propos tendancieux ? Ou bien, pour le dire autrement, cette belle histoire n’est-elle pas, après tout, qu’une énième version des opposés qui s’attirent, serait-ce avec une subtilité cinématographique tout à fait appréciable ? Seul le fait d’adopter une temporalité très ramassée, plutôt réaliste dans sa façon d’accorder une même valeur et une même durée aux événements qui se succèdent à vive allure, la distinguerait alors d’un amas de clichés sans finesse. Une hypothèse qui se laisse vérifier vers la fin, quand tout le poids tragique de l’intrigue refait surface in extremis. Au moins jusqu’à ce point, nous avons été préservés de pareil chantage aux sentiments, grâce à une description sociale des plus justes et individuelles.

Placé au carrefour recommandable entre l’univers de Philippe Lioret, pour qui Emmanuel Courcol avait écrit ses quatre premiers scénarios, et celui de Robert Guédiguian, producteur sur ce film-ci, le réalisateur d’En fanfare réussit haut la main le grand écart entre différents styles de musique et – plus important encore – entre des styles de vie que tout oppose. Que les représentants de ces derniers tentent quand même sans cesse de se rapprocher, tout en restant lucides sur leurs différences et immobiles au sein de leur périmètre social, c’est peut-être là le véritable point fort de cette histoire. Elle a par ailleurs l’air de résonner particulièrement auprès d’un public français amplement désabusé par toutes sortes de démagogie politique.

Ici, c’est un certain réalisme social qui prévaut. Certes, celui-ci s’avère impuissant face aux injustices qu’il enregistre stoïquement. En même temps, son discours se montre suffisamment optimiste pour alimenter le genre de bonne humeur, qui ne peut faire que du bien au creux de l’hiver !

© 2023 Agat Films / France 2 Cinéma / Diaphana Distribution Tous droits réservés

Conclusion

Le coup de cœur incontestable des spectateurs de la fin de l’année dernière, En fanfare a en fait plus d’une corde à son arc. Le film de Emmanuel Courcol se distingue par la franchise avec laquelle il constate la nature immuable des rapports humains. Simultanément, il ne baisse jamais les bras, quand il s’agit de réunir des hommes et des femmes, interprétés de manière admirable par tous les comédiens du film, au delà du fossé social qui aimerait tant les voir rester étrangers les uns aux autres. Bien que chaque brève séquence y fasse mouche, il ne résulte par contre aucune récompense dramatique de cette histoire familiale atypique, plombée de surcroît un peu par un dénouement des plus bêtement sentimentaux.

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