Critique : Empire du soleil

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Empire du soleil

États-Unis, 1987
Titre original : Empire of the Sun
Réalisateur : Steven Spielberg
Scénario : Tom Stoppard, d’après le roman de J.G. Ballard
Acteurs : Christian Bale, John Malkovich, Miranda Richardson et Nigel Havers
Distributeur : Warner Bros. France
Genre : Guerre
Durée : 2h33
Date de sortie : 16 mars 1988

4/5

Dans la filmographie des années 1980 de Steven Spielberg, Empire du soleil occupe une place à part. Nullement aussi populaire que les deux œuvres phares du début de la décennie que sont Les Aventuriers de l’Arche perdue et E.T. L’Extraterrestre, cette épopée de guerre a néanmoins su préserver au fil du temps une base solide de fans inconditionnels. En tout cas auprès du public français, qui sollicite ce film magistral à intervalles réguliers.

Comme par exemple lors de cette séance en plein après-midi en semaine, dans la plus belle salle de cinéma parisienne – le Max Linder, évidemment ! – qui était plutôt bien remplie par des spectateurs souhaitant voir ou revoir le trésor caché de Steven Spielberg dans les meilleures conditions imaginables. Pour notre part, c’était la première fois que nous le voyons sur grand écran, notre âge n’étant de justesse pas assez avancé pour que nous ayons pu le découvrir lors de sa sortie initiale en 1988.

De toute façon, il est fort probable que, à l’époque, nous soyons passés à côté du sens profond de cette tragédie d’une enfance perdue. Car au même titre que La Couleur pourpre, sorti à peine deux ans plus tôt, il s’agit du film au propos le plus adulte et mature du réalisateur de cette période-là, voire de sa filmographie toute entière. Pour une fois, Steven Spielberg n’y cherche pas de solution facile, ni de pirouette finale pour nous laisser un arrière-goût amer par excès de message sirupeux. La dureté de la vie par temps de guerre n’y est guère sublimée à travers des efforts héroïques surhumains, comme cela avait pu être reproché à l’incursion suivante du réalisateur dans cette époque historique trouble avec La Liste de Schindler.

Non, tout ce que Empire du soleil nous raconte, c’est le quotidien rocambolesque, digne de Dickens, d’un fils unique de bonne famille, pourri-gâté jusqu’à l’os, que la pénurie matérielle et affective de la captivité ne transforme point en petit saint exemplaire.

© 1987 Murray Close / Amblin Entertainment / Warner Bros. France Tous droits réservés

Synopsis : En 1941, le jeune Jamie Graham vit de manière plutôt préservée dans la colonie britannique de Shanghai. Alors que l’étau de l’armée japonaise se resserre autour de la ville, les parents de Jamie ignorent pendant trop longtemps les signes d’avertissement de la catastrophe à venir. Leur départ dans la précipitation se solde par la séparation de leur fils. Dès lors abandonné à lui-même, Jamie ne tarde pas à souffrir de la faim. Sa rencontre avec le marchand américain Basie lui donne cependant un mince espoir de s’en sortir.

© 1987 Murray Close / Amblin Entertainment / Warner Bros. France Tous droits réservés

L’université de la vie

Quelques noms ayant fait fortune à Hollywood par la suite apparaissent également au tout début de leur illustre carrière dans Empire du soleil. Christian Bale, bien sûr, dans l’interprétation magnifique d’un garçon à la façade sophistiquée qui n’est au plus profond de lui-même qu’un enfant horriblement apeuré et traumatisé par la mort qui rôde autour de lui pendant des années. Et aussi Ben Stiller, dans un rôle sensiblement plus anecdotique, sans impact notable sur la dernière partie de l’histoire. Or, le dixième long-métrage de Steven Spielberg se distingue par des qualités plus substantielles que ces simples faits de culture cinématographique. Il réussit haut la main à refléter les dégâts irrémédiables causés par la guerre sur l’esprit d’un enfant qui, au début, ne rêvait que de devenir un aviateur.

Son exploit peut-être encore plus considérable consiste dès lors à nous faire suivre sans réservé ce périple aux côtés d’un protagoniste passablement antipathique. Malgré sa voix d’ange, le petit Jamie est en réalité un manipulateur né, égoïste et parfaitement imbu de son statut privilégié de citoyen britannique dans une Chine en plein cataclysme. Les nombreux événements qu’il devra traverser ensuite pour sauver sa peau ne font pas pour autant de lui un enfant de chœur, prêt à tout pour aider ses compagnons d’infortune. Sa stratégie de survie est bien plus fourbe et calculée que cela, quitte à s’emmêler irrémédiablement les pinceaux en termes d’allégeance aux camps antagonistes de la guerre. Son flou idéologique, il le doit au moins partiellement à sa nouvelle figure paternelle par défaut. John Malkovich sait néanmoins conférer à ce survivant débrouillard une très vague bienveillance, mêlée d’étonnement à l’égard de ce gamin, aussi pénible qu’attachant.

© 1987 Murray Close / Amblin Entertainment / Warner Bros. France Tous droits réservés

Une histoire de godasses

Dans ce brouillard des repères, Steven Spielberg multiplie les symboles forts. A commencer par l’image de l’eau, à trouver dès le premier plan et ses cercueils à la dérive, balayés stoïquement par un navire de guerre japonais, puis à nouveau à la fin, lorsque les restes matériels des aventures de Jamie reviennent à leur point de départ par voie de valise jetée à la mer. De même pour la valse des chaussures, qui deviennent tour à tour objet de convoitise et signe de la réussite sociale un brin morbide dans le microcosme du camp de prisonniers de guerre.

Ces attributs extérieurs opèrent par contre principalement en tant qu’images visibles de la déchéance sous forme de cercle vicieux à laquelle le jeune protagoniste doit faire face. Peu importent ses bonnes actions, il risque sans cesse de se retrouver au point zéro de l’intégration sociale, faute d’attaches suffisamment solides pour projeter l’illusion d’un foyer aussi protecteur que l’a été celui auprès de ses parents au début du film.

Sauf que même ce paradis enfantin, il avait montré assez tôt des indicateurs de malaise, voire de mensonge. Ainsi, les domestiques de la famille Graham agissent en parfaits larbins, dans la continuité des rapports de force de l’ère coloniale, jusqu’à ce que le retournement de situation radical leur permette de se défaire de leurs frustrations. Plus tard, le lien qui unit Jamie et Basie est à peine plus sain, l’adulte se jouant sans gêne de la naïveté de son disciple. Celui-ci reste presque pathologiquement loyal envers son bienfaiteur conditionnel, en dépit des nombreux tours tordus qu’il lui a joués au cours du récit épique.

En effet, la photographie resplendissante de Allen Daviau sert avant tout de contrepoids ici à la pourriture généralisée des âmes, malmenées par la rudesse d’un conflit hélas à tant d’autres pareil. La même chose vaut pour les quelques thèmes euphoriques de la bande originale de John Williams, lui aussi de mèche dans ce projet artistique sophistiqué sur la laideur extrême de la guerre.

© 1987 Murray Close / Amblin Entertainment / Warner Bros. France Tous droits réservés

Conclusion

Classer Steven Spielberg parmi les réalisateurs à la filmographie inégale serait sans doute aller un peu trop loin. Il n’empêche qu’au cours de cinquante ans de carrière, même le roi temporaire d’Hollywood n’était pas à l’abri de quelques échecs. Empire du soleil n’en fait certainement pas partie ! Bien au contraire, c’est l’un des très rares films de Spielberg a persister et signer son propos d’une noirceur sans appel. Grâce à l’interprétation encore empreinte d’une belle innocence juvénile de Christian Bale, tout le malheur psychologique de son jeune héros y devient visible sans trop forcer le trait. Le scénario brillant de Tom Stoppard lui permet de jouer constamment sur des émotions contradictoires, fournissant par la même occasion un traité formidable sur l’adolescence, rendue encore plus insupportable par les privations de la guerre.

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