Critique : Emilia Pérez (Deuxième avis)

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Emilia Perez

France, Mexique, Etats-Unis : 2024
Titre original : –
Réalisation : Jacques Audiard
Scénario : Jacques Audiard, Thomas Bidegain, Léa Mysius, Librement adapté du roman « Ecoute » de Boris Razon
Interprètes : Zoe Saldaña, Karla Sofía Gascón, Selena Gomez, Ariana Paz
Distribution : Pathé
Durée : 2h10
Genre : Drame, Comédie musicale, Thriller
Date de sortie : 21 août 2024

4/5

Bons ou mauvais, il y a des réalisateurs qui, peu ou prou, font sans arrêt le même film. A l’inverse, certains réalisateurs arrivent à se débrouiller pour que chaque nouveau film arrive à surprendre les spectateurs. Indéniablement, Jacques Audiard fait partie de cette famille de réalisateurs qui ne cesse d’innover tout au long de leur carrière.  Avec Emilia Perez, son dixième long métrage, récompensé au dernier Festival de Cannes par le Prix du Jury et un prix d’interprétation féminine obtenu collectivement par les 4 têtes d’affiche du film, il s’est écarté encore plus que d’habitude de tout ce qu’il avait déjà réalisé dans le passé tout en restant fidèle aux thèmes qui lui sont chers, la paternité et la transmission de la violence.

Synopsis : Surqualifiée et surexploitée, Rita use de ses talents d’avocate au service d’un gros cabinet plus enclin à blanchir des criminels qu’à servir la justice. Mais une porte de sortie inespérée s’ouvre à elle, aider le chef de cartel Manitas à se retirer des affaires et réaliser le plan qu’il peaufine en secret depuis des années : devenir enfin la femme qu’il a toujours rêvé d’être.

Manitas devient Emilia

Avocate particulièrement brillante, Rita n’en est pas moins exploitée par son patron qui se contente le plus souvent de lire les plaidoiries qu’elle a écrites sans faire le moindre effort pour que son talent soit reconnu, un talent qui, pourtant  permet presque toujours d’obtenir la relaxe des clients du cabinet, un cabinet spécialisé dans la défense de grands criminels. Quelle n’est pas la surprise de Rita d’être un jour enlevée et de se retrouver face à face avec Juan « Manitas » Del Monte, le chef d’un cartel mexicain particulièrement violent ! Toutefois, sa surprise est encore plus grande lorsque Manitas lui fait part de la mission qu’il veut lui confier : en fait, il ne s’est jamais senti à l’aise dans son corps d’homme et il voudrait que, moyennant une importante rétribution, Rita trouve un chirurgien qui lui permette de devenir la femme qu’il a toujours rêvé d’être. Une exigence importante vient s’ajouter à cette demande : il faut trouver ce chirurgien en dehors du Mexique et des Etats-Unis. Après avoir tenté sa chance en Thaïlande, c’est en Israël que Rita va trouver le chirurgien et la clinique qui vont transformer Manitas en Emilia Perez. Même si, en tant que chef de cartel, Manitas ne faisait pas dans le sentiment, il était un bon père et, devenu Emilia Perez, elle va charger Rita d’organiser une nouvelle vie qui lui permette, Manitas ayant été déclaré mort, de rester en contact avec ses deux enfants, ainsi qu’avec Jessi, leur mère.

Un pari audacieux, gagné haut la main

En réalisant Emilia Perez, c’est un pari audacieux que s’était lancé Jacques Audiard : risquer de se voir accuser d’opportunisme en s’attaquant à un thème très actuel, la transidentité, et développer ce thème dans le cadre d’un film qui soit tout à la fois un drame tournant au mélo, un thriller et une comédie musicale. Excusez du peu ! Ce pari, Jacques Audiard l’a gagné haut la main, tellement ce film audacieux et exubérant s’avère brillant, chaleureux et émouvant tout en étant également beaucoup plus profond que ce qu’une approche superficielle pourrait laisser penser. En effet, mine de rien, Emilia Perez, en plus de traiter la transidentité avec empathie, aborde au moins deux questions qui n’ont rien de futiles : d’abord, si on admet que le monde masculin est plus violent que le monde féminin, le fait que les hommes deviennent des femmes pourrait il arriver à éradiquer le trop plein de violence qui pourrit la planète ? Ensuite, Manitas/Emilia a réussi par une action radicale à sortir du chemin que la nature semblait lui avoir assigné mais, d’une manière générale, est-il si facile de sortir du chemin que les origines familiales et l’environnement ont tracé pour vous et qui ne correspond pas forcément à votre « moi » intime ? Il est frappant de constater que le jour de la sortie en salle de Emilia Perez, sort un autre film, comme par hasard mexicain, Hijo de sicario, qui s’empare lui aussi, presque aussi brillamment, de cette question : est-ce inéluctable qu’un fils de tueur à gages devienne également tueur à gages ou peut-il arriver à échapper à cette aliénation et s’orienter vers des études universitaires ? 

Une distribution éblouissante

Les repérages effectués au Mexique n’ayant pas donné satisfaction (tous les décors paraissant trop réels, trop solides, trop grands, trop petits, trop compliqués, dixit le réalisateur), c’est en studio, à Paris, que la plus grande partie des scènes d’Emilia Perez ont été tournées. Pas franchement adepte d’un long travail de répétition en amont du tournage mais plutôt enclin à procéder à tout moment à des changements de dernière minute, Jacques Audiard a dû tenir compte des spécificités de son film, telles que des chorégraphies demandant un gros travail de préparation et des mouvements de caméra faisant partie de cette chorégraphie. En fait, Jacques Audiard et Damien Jalet, le chorégraphe, ont dû apprendre à travailler l’un avec l’autre, ce qui a pris du temps mais a permis d’arriver à un résultat admirable. Pour la photographie, magnifique, Jacques Audiard a de nouveau fait appel à Paul Guilhaume, déjà présent sur Les Olympiades, son film récédent. La musique et les chansons sont l’œuvre d’un duo, ensemble à la scène comme dans la vie,  Clément Ducol et la chanteuse Camille. Ni lui, ni elle ne sont de véritables spécialistes des musiques mexicaines mais le résultat, en général, sonne bien même si la partie musicale la plus réjouissante et la plus émouvante vient d’une autre source que le duo : sur le générique de fin, la reprise par une fanfare mexicaine de la chanson « Les Passantes » de Georges Brassens. La plupart du temps, les chansons commencent au sein d’un dialogue parlé et se transforment petit à petit en véritables chansons, mettant en quelque sorte Emilia Perez dans la famille de l’opéra-comique français ou du singspiel allemand.

On terminera par la distribution, éblouissante, les 4 comédiennes qui illuminent ce film ayant à juste titre reçu conjointement le Prix d’interprétation féminine de Cannes 2024. Parmi elles, seule Zoe Saldaña, l’interprète de Rita, avait une grande expérience de la danse et du chant, Selena Gomez, l’interprète de Jessi,  n’étant elle « que » chanteuse. Quant à Karla Sofía Gascón, l’interprète de Manitas et d’Emilia, elle n’avait d’expérience ni dans la danse ni dans le chant, mais elle avait une qualité rare : elle avait été acteur avant sa transition et était actrice depuis. Le travail qu’elles ont accompli pendant des mois a donné un résultat exceptionnel et Karla Sofía Gascón a marqué l’histoire à jamais en devenant la première actrice trans a recevoir un prix d’interprétation féminine à Cannes.

Conclusion

Avec Emilia Perez, son dixième long métrage, tout à la fois drame, thriller et comédie musicale, Jacques Audiard prouve une fois de plus, s’il en était besoin, qu’il est un des réalisateurs les plus importants du cinéma français et même mondial. Et n’oublions pas que, grâce à son film, une comédienne trans a, pour la première fois, obtenu un prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes.

 

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