De son vivant
France, 2021
Titre original : –
Réalisatrice : Emmanuelle Bercot
Scénario : Emmanuelle Bercot et Marcia Romano
Acteurs : Catherine Deneuve, Benoît Magimel, Cécile De France et Gabriel Sara
Distributeur : Studiocanal
Genre : Drame de maladie
Durée : 2h03
Date de sortie : 24 novembre 2021
3/5
Y a-t-il un genre plus casse-gueule que celui du drame de maladie ? D’entrée de jeu, l’issue en est certaine, puisque peu importe la pathologie, elle s’avère toujours plus forte en fin de compte que toutes les bonnes volontés réunies. Dès lors, il ne s’agit que d’aménager la peine des proches qui voient leur bien-aimé périr à petit feu et de rendre la peur de mourir du principal intéressé à peu près soutenable. Bref, Emmanuelle Bercot ne s’est pas rendue la tâche facile avec son sixième long-métrage en tant que réalisatrice. Pourtant, De son vivant ne plombe pas autant le moral qu’on aurait pu le craindre. Et il ne s’évertue pas non plus à célébrer joyeusement la vie, au fur et à mesure que l’avancement imperturbable du cancer et la chimiothérapie vident le personnage principal de sa force de vie.
C’est déjà davantage un grand numéro d’acteur, qui avait valu à Benoît Magimel le deuxième de ses trois César et dans lequel Catherine Deneuve fait vibrer tout en retenue le cœur meurtri d’une mère, incapable de maintenir son fils en vie. De surcroît, on y assiste à quelques séances de thérapie de groupe fascinantes, à la fois à l’hôpital pour le personnel soignant et sur scène, où le protagoniste cherche à transmettre une dernière fois à ses élèves sa passion de l’art dramatique. Sans oublier les deux volets partiellement moins réussis de l’intrigue, avec Cécile De France en infirmière qui finit par succomber au charme et à la candeur du mourant et une histoire annexe autour d’un fils illégitime parti vivre en Australie, qui n’est guère prêt à admettre in extremis dans sa vie cette figure paternelle moribonde.
Bref, la mise en scène est pleinement occupée à réconcilier ses fils narratifs plutôt disparates. Contre toute attente, elle y parvient globalement, grâce à une délicatesse et un optimisme en sourdine qui touchent plus qu’ils s’adonnent à la technique douteuse du chantage à la larme facile.
Synopsis : Diagnostiqué depuis peu d’un cancer incurable du pancréas, l’acteur raté Benjamin Boltanski consulte en compagnie de sa mère Crystal le spécialiste docteur Eddé. Il espère que la cancérologue pourra le guérir, afin qu’il puisse préparer séreinement ses élèves à l’examen d’entrée au conservatoire. Or, le médecin préfère la vérité au mensonge réconfortant. Il annonce à son patient qu’il ne lui reste plus longtemps à vivre et que seule sa qualité de vie demeure comme enjeu médical pour ses derniers mois de vie. D’abord incrédule, Benjamin finit par accepter la proposition de soins palliatifs du docteur.
Des médicaments contre la peur
Le cadre hospitalier décrit dans De son vivant a beau relever de l’utopie douce – en tout cas en France – avec son médecin toujours de bon conseil et ses infirmières nullement usées par leur cadence infernale de travail, il participe pour beaucoup à la force tranquille du film. Certes, il y a de rares écarts de ton, qui font par exemple basculer la belle séquence d’expression d’impuissance existentielle du malade auprès de sa soignante préférée vers quelque chose de plus platement érotique.
Dans l’ensemble, le calvaire de Benjamin trouve cependant un écho des plus constructifs dans cette proposition d’un lieu à taille humaine, où l’on peut mourir à peu près paisiblement. On y souffre, bien sûr. Mais cette épreuve est partagée sans fausse pudeur par le personnel soignant. Ce dernier n’a point réponse à tout. Sa vulnérabilité et sa lucidité de ne pas devoir être constamment maître d’une situation intenable s’expriment par contre avec une fraîcheur désarmante, lors des sessions de thérapie de groupe que le Docteur Patch de la vie réelle mène avec une bienveillance paternelle à toute épreuve.
Cette même quête d’une vérité qui peut blesser, mais qui à elle seule rend la vie vibrante, on la retrouve sous forme de réverbération filmique dans les ateliers des comédiens aspirants auxquels Benjamin consacre toute la force qu’il lui reste. Là aussi, il est question d’insuffler de la vie et des émotions écorchées à vif dans un cadre qui se prête sinon à l’éternel subterfuge du faire-semblant. La maladresse et la gêne des jeunes acteurs y sont transcendées par la volonté de creuser au plus profond de leurs tripes, quitte à s’exposer face à un professeur parfaitement convaincu de l’utilité de les bousculer dans leurs derniers retranchements.
Est-ce qu’ils seront toutes et tous un jour des actrices et des acteurs accomplis, investis de la présence digne d’un Robert De Niro ? Sans doute pas. Mais Lou Lampros dans le rôle de l’élève ambitieuse, qui en redemande en termes d’enseignement sans complaisance, y fait figure de symbole saisissant d’une jeunesse plus si innocente par rapport au caractère éphémère de la vie.
Regards de souffrance
En dehors de ces intrigues parallèles, la maladie du protagoniste avance sans discontinuer vers sa fin inéluctable. Sans avoir recours au misérabilisme du déclin physique et mental sous sa forme la plus crue, la mise en scène de Emmanuelle Bercot arrive quand même à nous faire ressentir l’étau qui se resserre autour du patient atteint d’une maladie incurable. Elle évite assez adroitement l’écueil du rangement exemplaire du bureau de vie du principal intéressé, tout en laissant entendre que les personnes dans son entourage ont eu le temps de se préparer tant soit peu à sa mort certaine.
Ainsi, le dilemme impossible à résoudre pour une mère qui ne paraît exister à l’écran que pour son fils trouve une caisse de résonance appréciable dans le jeu savamment hagard de Catherine Deneuve. Tandis que l’infirmière interprétée par Cécile De France constitue l’un des rares points faibles du film. Ceci principalement en raison de son discours de réconfort calqué sur les paroles infiniment plus crédibles de son supérieur et de cette séquence déjà citée plus haut, qui avait nul besoin de dérailler de la sorte.
La subtilité avec laquelle la réalisatrice a abordé le sujet redoutable de la fin de vie se cristallise avant tout dans cette énième intrigue parallèle autour du fils en panne de reconnaissance paternelle. Alors qu’elle a initialement l’air d’arriver comme un cheveu sur la soupe, au moment où la trajectoire funeste de Benjamin paraît parfaitement tracée et déjà passablement surchargée, les hésitations multiples qui l’accompagnent sont tout à l’honneur d’un propos fortement réticent aux solutions faciles. En faisant abstraction du prétexte d’effusion de larmes par excellence, le récit se montre à la hauteur d’une philosophie de vie et de mort, qui cherche à faire de son mieux, tout en sachant pertinemment qu’une conclusion de vie orchestrée à la perfection relève de l’illusion à l’état pur.
Certes, on soupçonne le scénario d’avoir expatrié la descendance de Benjamin dans un pays anglophone dans le seul but de permettre à son fils de connaître intégralement les paroles d’une chanson emblématique de Sinéad O’Connor. Mais cette ultime séquence se distingue par le même sens de tact et de douce impuissance qui nous avait déjà majoritairement séduit au cours des deux heures de film précédentes.
Conclusion
N’ayez pas peur, De son vivant est un film sensiblement moins déprimant que l’on pourrait le croire. Son personnage principal, campé sans apitoiement excessif sur soi par Benoît Magimel, n’avance pas stoïquement vers sa fin préprogrammée, soit. Mais la fibre de vie vibrante qui anime son entourage permet d’éviter les pièges les plus bassement morbides d’un tel sujet. Évidemment, ce n’est pas en deux heures de film que se dissipera comme par miracle notre hantise de la mort. Néanmoins, Emmanuelle Bercot s’emploie vaillamment à dédramatiser ce stade ultime de chaque vie, tout en lui rendant une certaine noblesse sans fard.