Charlie’s Country
Australie – 2014
Titre original : –
Réalisateur : Rolf De Heer
Scénario : Rolf De Heer
Acteurs : David Gulpilil, Peter Djigirr, Luke Ford
Distribution : Nour Films
Durée : 1h48
Genre : Drame , Biopic
Date de sortie : 17 décembre 2014
Note : 4/5
Un plan fixe sur le visage de David Gulpilil. Des traits sévères de son ami, Rolf de Heer tire un film lent et malicieux, perdu dans l’immensité du Bush. Ce qui aurait pu être un banal conte mi-rédemption mi-tolérance se révèle au contraire bien plus pugnace dans sa description de l’intervention incessante du gouvernement australien dans les affaires aborigènes. Décryptage de ce film systémique.
Synopsis : Charlie est un ancien guerrier aborigène. Alors que le gouvernement amplifie son emprise sur le mode de vie traditionnel de sa communauté, Charlie se joue et déjoue des policiers sur son chemin. Perdu entre deux cultures, il décide de retourner vivre dans le bush à la manière des anciens. Mais Charlie prendra un autre chemin, celui de sa propre rédemption.
Charlie est un guerrier, un alcoolique, un marginal. Il est comme l’homme qui l’incarne. Tentant de retrouver ce qu’il estime avoir perdu, un lien à la terre de ses ancêtres, l’homme s’isole dans le bush, fabrique des lances, chasse. Mais la philosophie du monde qui l’entoure semble vouloir l’en empêcher. De manière complaisante, insidieuse, la police le prive de ce qui le caractérise tant: son identité. Dans ce film pleinement australien, de Heer est à la fois ami et ennemi, de son acteur et du système qui bride celui-ci. L’hommage à ce que représente David Gulpilil pour lui est palpable dans chaque plan où apparaît la face dure et creusée de l’ancien taulard. Charlie danse, boit, vit ; il nous emmène avec lui au travers de cette nature dans laquelle il semble s’insérer à la perfection. Il est la fureur et la perdition à Darwin, la paresse et la malice dans son village, la mélancolie et la douleur dans le bush. Il représente une génération totalement inscrite dans le processus de passation des traditions aborigènes à l’occidentalisation effective de ce peuple autochtone. Voilà pourquoi, alors qu’il est seul et perdu dans cet immense espace, essayant en vain de se rapprocher de ses ancêtres, il se raccroche à ce souvenir : lui, dansant, avec ses camarades, devant la Reine Elisabeth II pour l’inauguration de ce grand bâtiment blanc, dans cette grande ville. Charlie est mélancolique, il pleure son peuple décrépis, mais jamais il n’oubliera qu’il a dansé pour elle.
Le poids sur l’homme d’un système de privation
La véritable force de l’exercice auquel se livre le réalisateur de Charlie’s Country est par ailleurs plus mécanique que ce tournoiement émotionnel porté par l’amitié. Durant les presque deux heures qui composent le film, le personnage principal est précipité dans les méandres d’un système mis en place dans les Territoires du Nord australiens au cours des années 2000. La « politique d’intervention » du gouvernement de Canberra est ici décryptée par de Heer avec une dureté sans pareil. La répression est le plus souvent silencieuse en apparence, sans réelle violence, elle est pourtant fer de lance d’une privation constante des individus visés. Sans cesse tentant de dévier ou de contrecarrer ce qu’on lui impose, Charlie est ramené à son point de départ par les forces de l’ordre, jusqu’à se retrouver seul parmi les « long grassers » de Darwin. Isolé par ce système qui le voit comme un élément déviant, dangereux, il n’en est que plus violent et révolté. La brisure se poursuivra tout au long du film, sur le chemin de la rédemption, sorte de rupture avec ce qui l’entoure et de retour à ses origines. Un cheminement qui peu rappeler celui de THX 1138 dans le film éponyme (d’une maîtrise effarante), description d’un homme affrontant un ordre social restrictif et sécuritaire. Le héros se heurte ainsi à des dogmes puissants qui en viennent à contredire instincts et désirs via des privations multiples et une intervention systématique sur la vie des individus aux différences trop prononcées.
Conclusion
Mettre en parallèle ces deux genres, anticipation et drame social, c’est ainsi souligner l’universalité du propos que nous tiennent les réalisateurs qui font le choix de montrer, de manière simple et parfois répétitive, les rouages de l’aliénation individuelle. Film d’amitié, complainte mélancolique, mise en accusation des politiques d’intervention, Charlie’s Country reste surtout l’un des film à dimension humaine les plus précieux que nous a offert le cinéma indépendant de l’année passée.
[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=8ACCfT09HJc[/youtube]