Critique : Carmen & Lola

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Carmen & Lola

Espagne : 2018
Titre original : Carmen y Lola
Réalisation : Arantxa Echevarría
Scénario : Arantxa Echevarría
Interprètes : Rosy Rodriguez, Zaira Romero, Moreno Borja
Distribution : Eurozoom
Durée : 1h43
Genre : drame, romance
Date de sortie : 14 novembre 2018

4/5

Après de nombreux courts métrages et documentaires, la réalisatrice, productrice et scénariste basque Arantxa Echevarría a franchi le pas du long métrage l’année de ses 50 ans. Un pas franchi avec succès, son film, Carmen & Lola ayant été retenu dans la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes 2018 et, surtout, s’avérant profondément juste sur un sujet délicat.

Synopsis : Carmen vit dans une communauté gitane de la banlieue de Madrid. Comme toutes les femmes qu’elle a rencontrées dans la communauté, elle est destinée à reproduire un schéma qui se répète de génération en génération : se marier et élever autant d’enfants que possible, jusqu’au jour où elle rencontre Lola. Cette dernière, gitane également, rêve d’aller à l’université, fait des graffitis d’oiseaux et aime les filles. Carmen développe rapidement une complicité avec Lola et elles découvrent un monde qui, inévitablement, les conduit à être rejetées par leurs familles.

 

Deux jeunes gitanes de Madrid

C’est sur un marché de la banlieue de Madrid que Carmen et Lola vont se rencontrer pour la première fois : lorsqu’une bonne averse risque de détériorer les livres et les meubles proposés à la vente par la famille de Carmen, cette dernière se met à la recherche d’une bâche en plastique et elle finit par la trouver auprès de Lola, dont la famille vend des fruits et des légumes. Carmen et Lola ont à peu près le même âge, 16 ou 17 ans, et elles font partie de la communauté gitane de Madrid. Alors que Carmen a tout l’air de suivre sans vraiment rechigner le chemin tracé pour elle par sa famille, fiançailles, mariage, lequel implique soumission à son époux, grossesses à répétition, Lola, elle, est plutôt du genre rebelle : elle souhaite poursuivre ses études, devenir institutrice, elle tague les murs de sa cité et ne veut pas entendre parler du mariage. En fait, Lola s’est déjà aperçue qu’elle est attirée par les filles, mais elle se contente de pratiquer sur des sites de rencontre cette homosexualité latente. Les fiançailles de Carmen vont amener les deux jeunes filles à se rencontrer à nouveau, son fiancé étant un cousin de Lola. Une amitié va naître, qui, petit à petit, va  se transformer en autre chose.

A priori, un amour improbable

C’est avec beaucoup de respect, de sensibilité, de pudeur et énormément de talent que Arantxa Echevarría nous raconte l’histoire de cet amour improbable : un amour lesbien dans une communauté gitane espagnole ! Même si un premier mariage entre deux femmes gitanes a eu lieu à Grenade en 2009, l’homosexualité féminine représente la pire des abominations, le plus gros des pêchés dans cette population très pieuse et particulièrement machiste. Au point que le dégoût est ce que, dans un premier temps, ressent Carmen quand elle s’aperçoit du penchant de Lola pour les filles. « Si tu n’as jamais embrassé une fille, comment tu peux savoir que ça te plaira ? », demande-t-elle à Lola. Laquelle rétorque aussitôt : « Et toi ? Si tu n’en as jamais embrassé, comment tu sais que ça ne te plaira pas ? ». Imparable dans le contexte de leur relation du moment ! Quant aux familles de Carmen et de Lola, le rejet apparait comme étant la seule réponse possible, ce qui, reconnaissons le, n’est pas une exclusivité gitane.

Pas facile !

Dans la réalisation de Carmen & Lola, Arantxa Echevarría a su agréger un grand sens du rythme à son expérience de documentariste, ce qui fait de Carmen & Lola un film tonique, très coloré, avec beaucoup de gros plans sur les visages. Comme on peut s’en douter, la réalisation du film a présenté un certain nombre de difficultés, les plus importantes étant de trouver le budget et de trouver les interprètes, particulièrement celles de Carmen et de Lola. La difficulté à trouver une autre société de production prête à investir sur un tel sujet a poussé la réalisatrice et son associée (et Directrice de la photographie)  Pilar Sánchez Diaz à produire elles-mêmes le film au travers de leur société de production Tvtec. Quant aux interprètes, l’absence de comédiens et de comédiennes professionnel(le) parmi les gitan(ne)s et le caractère artificiel de l’utilisation de comédiens non gitans a obligé Arantxa Echevarría à rechercher ses interprètes dans les rues, les marchés, les quartiers et les associations. Pour trouver les interprètes de Carmen et de Lola, la tâche était particulièrement difficiles, la grande majorité des candidates partant en courant quand elles entendaient parler d’amour entre deux filles. Pour tester celles qui restaient, la réalisatrice procédait par petits pas : serais tu prête à apparaître à l’écran en train de fumer, serais tu prête à …, jusqu’au test ultime : serais tu prête à embrasser une autre fille ? Au bout du compte, le choix de Rosy Rodriguez et de Zaira Romero s’est imposé et il s’avère totalement adéquat.

Conclusion

Sur ce sujet délicat d’un amour lesbien dans une communauté gitane espagnole, on pouvait s’attendre à tout, même au pire. C’est avec une énorme satisfaction qu’on prend très vite conscience que Arantxa Echevarría a réussi le meilleur : un film très juste et d’une grande sensibilité, un film très tonique et très coloré, magnifiquement interprété par deux comédiennes non professionnelles.

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