Critique : Brooklyn secret

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Brooklyn secret

Etats-Unis, Philippines : 2019
Titre original : Lingua franca
Réalisation : Isabel Sandoval
Scénario : Isabel Sandoval
Interprètes : Isabel Sandoval, Eamon Farren, Ivory Aquino, Lynn Cohen
Distribution : JHR Films
Durée : 1h34
Genre : Drame
Date de sortie : 1er juillet 2020

3.5/5

En 2011, le film philippin Señorita avait été programmé dans de nombreux festivals. Son réalisateur : Vincent Sandoval. En 2013, Aparisyon, du même réalisateur avait obtenu le Prix du public au Festival du cinéma asiatique de Deauville. Voici maintenant Brooklyn secret, le 3ème long métrage de ce réalisateur devenu réalisatrice sous le nom d’Isabel Sandoval. En effet, depuis Aparisyon, Vincent Sandoval a émigré aux Etats-Unis et il/elle a opéré sa transition. Brooklyn secret faisait partie de la sélection Venice Days 2019, l’équivalent de la Quinzaine des réalisateurs cannoise.

Synopsis : Olivia travaille comme soignante auprès d’Olga, une grand -mère russe ashkénaze de Brighton Beach à Brooklyn. Fragilisée par sa situation d’immigrante philippine, elle paie secrètement un Américain pour organiser un mariage blanc. Alors que celui-ci se rétracte, elle rencontre Alex, le petit fils d’Olga, avec qui elle ose enfin vivre une véritable histoire d’amour…

Transgenre et immigrée dans l’Amérique de Trump

Tout à la fois transgenre et immigrée dans l’Amérique de Trump, il était difficile pour Isabel Sandoval de ne pas réaliser  un film qui, pour son premier long métrage dans sa nouvelle patrie, ne soit pas politique. Par ailleurs elle entendait se démarquer des deux figures tutélaires du cinéma philippin contemporain, Brillante Mendoza le réaliste, et Lav Diaz, l’homme des longues chroniques. Sans aller jusqu’au récit autobiographique, elle a choisi de raconter l’histoire d’Olivia, une femme transgenre philippine émigrée aux Etats-Unis, et de s’attribuer le rôle de cette femme. Toutefois, le travail d’Olivia est beaucoup moins glamour que celui de réalisatrice de cinéma : elle est aide-ménagère et elle doit prendre soin d’Olga, une vieille femme aux origines russes ashkénazes qui vit à Brooklyn dans le quartier de Brighton Beach. Etant sans-papiers dans l’Amérique de Trump, la situation d’Olivia est particulièrement précaire. C’est pourquoi, en dehors de son travail, elle poursuit inlassablement un but précis : contracter un mariage blanc qui lui ouvrirait pour de bon les portes des Etats-Unis. Ce besoin de stabilité et de sécurité, bien compréhensible, ne va pas toutefois jusqu’à  répondre de façon favorable à la proposition d’un homme qui a trahi sa confiance.

Une construction efficace

Pour la réalisation des différentes scènes de Brooklyn secret, Isabel Sandoval a choisi de ne pas s’enfermer dans un mode opératoire exclusif. C’est ainsi que son film comporte aussi bien des scènes tournées en plan fixe, d’autres faisant l’objet de champs-contrechamps, d’autres, enfin, avec des plans séquences tournés à la steadicam, le plus souvent avec un personnage que l’on suit dans ses déplacements. On voit là un des moyens que la réalisatrice a utilisés pour se démarquer de Brillante Mendoza, au rythme toujours très tendu, et de Lav Diaz, le champion des longs plans séquences. La construction du début du film est très efficace, avec le montage en parallèle du travail d’Olivia auprès d’Olga et le retour à New-York d’Alex, petit fils d’Olga, après un long séjour dans l’Ohio. Une construction qui, bien sûr, nous permet de deviner que ces deux-là ne manqueront pas de se rencontrer et qu’il se passera quelque chose entre eux. En même temps, avec ses coups de téléphone et les rapports qu’elle entretient avec ses amies, on comprend très vite ce que recherche Olivia, et, tout aussi vite, on voit en Alex un homme hâbleur et beau parleur, un homme cherchant vainement à combattre une addiction à l’alcool, en résumé un homme auquel il est difficile d’accorder un crédit quelconque. On comprend aussi que l’immigrée de longue date Olga a de gros problèmes de mémoire, à l’image de l’Amérique de Trump qui oublie son histoire de l’immigration.

Visuellement, le film nous offre de très belles images nocturnes du quartier de Brooklyn dans lequel il a été tourné. Par ailleurs, il est probable qu’Isabel Sandoval a cherché à nous donner sa vision de la relation amoureuse entre Olivia et Alex en nous proposant une scène de lutte entre deux hommes juste après une scène de sexe entre les deux amants. Quant à la politique de Trump envers les immigrés, de brefs regards jetés sur des informations télévisées nous en disent finalement davantage que de longs discours.

Réalisatrice et interprète principale

On considère souvent qu’il est difficile d’être à la fois réalisateur ou réalisatrice d’un film et son interprète principal. Isabel Sandoval ne partage pas cet avis : pour elle, au contraire, cela fait une personne de moins à diriger ! Ayant fait d’Olivia un personnage qui, comme elle, est plutôt introverti et qui arrive à communiquer ses sentiments autrement que par des mots, l’interprétation de ce personnage lui était d’autant plus facile et, au final, le résultat est particulièrement probant. Eamon Farren, l’interprète d’Alex, est un comédien australien qu’Isabel Sandoval avait particulièrement apprécié dans la série Twin Peaks: The return dans laquelle il interprétait le rôle de Richard Horne. Bien que la première rencontre entre la réalisatrice et Eamon Farren n’ait eu lieu que deux semaines avant le début du tournage, on sent une grande complicité entre les deux interprètes. Quant à Lynn Cohen, l’interprète d’Olga, elle avait 86 ans au moment du tournage. Elle est décédée il y a peu, le 14 février 2020.

Conclusion

Il a fallu une bonne dose de courage à Isabel Sandoval pour réaliser un tel film dans l’Amérique de Trump. Elle dispose certes de la fameuse « Green card », laquelle prend bien compte son nouveau prénom et le sexe féminin qui est dorénavant le sien, mais, par contre, son passeport date toujours de l’époque où elle était un homme. Que pourrait-il se passer au retour d’un voyage à l’étranger ? En tout cas, même si on peut regretter une ou deux scènes un peu complaisantes, Brooklyn secret augure bien de l’avenir de cette nouvelle réalisatrice.

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