Critique : Blade Runner 2049

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Blade Runner 2049

Etats-Unis, 2017
Titre original : –
Réalisateur : Denis Villeneuve
Scénario : Michael Green, Hampton Fancher, d’après l’oeuvre de Philip K. Dick
Acteurs : Ryan Gosling, Harrison Ford, Jared Leto
Distribution : Sony Pictures Releasing France
Durée : 2h44
Genre : Science-fiction
Date de sortie : 4 octobre 2017

Note : 5/5

Lorsque les lumières s’éteignent et que le logo de Sony apparaît, avec une bande son immédiatement immersive, le spectateur est fébrile. Car on ne s’attaque évidemment pas au monument de Ridley Scott sans susciter quelques attentes du genre démesurées. Avec un cinéaste tel que Denis Villeneuve à la barre, tous les espoirs les plus fous étaient permis, et c’est donc un mélange d’excitation intense et de doute qui nous envahit. Pourtant, dès les premiers plans et cet univers si fascinant qui se déploie sous nos yeux, l’inquiétude s’évanouit, pour ne laisser place qu’à un plaisir qui ira grandissant durant toute la projection.

Synopsis : En 2049, la société est fragilisée par les nombreuses tensions entre les humains et leurs esclaves créés par bioingénierie. L’officier K est un Blade Runner : il fait partie d’une force d’intervention d’élite chargée de trouver et d’éliminer ceux qui n’obéissent pas aux ordres des humains. Lorsqu’il découvre un secret enfoui depuis longtemps et capable de changer le monde, les plus hautes instances décident que c’est à son tour d’être traqué et éliminé. Son seul espoir est de retrouver Rick Deckard, un ancien Blade Runner qui a disparu depuis des décennies…

De longues plages atmosphériques

Que les fans du film matriciel de 1982 se rassurent immédiatement, l’ambiance atmosphérique, si singulière, de celui-ci, qui en faisait tout le charme, est bel et bien maintenue ici, dans une proposition de cinéma totalement à contre courant de ce à quoi les studios américains ont habitué le public depuis pas mal d’années maintenant. Lorsque l’on peut lire que Denis Villeneuve a eu droit à son director’s cut pour la version salles, c’est totalement perceptible devant le résultat, tant le rythme planant est conservé, pour le plus grand bonheur des fans de science-fiction existentielle, loin des délires pyrotechniques habituels à Hollywood. Si cette ambiance sera donc du goût de ceux ayant érigé le film original en œuvre culte, elle sera peut-être à même de déstabiliser une partie du public, qui s’attendrait à un film au rythme un peu plus nerveux. Autant le dire tout de suite, hormis quelques fulgurantes scènes d’action à la violence sèche et percutante, 99% du film se consacre à ces longues plages atmosphériques hypnotisant le spectateur et le laissant extatique durant toute la projection.

Bien entendu, si le film fonctionne à ce point, c’est parce que Villeneuve s’est une fois de plus entouré d’une équipe technique particulièrement compétente, à commencer par son fidèle chef opérateur Roger Deakins, accomplissant ici l’un de ses plus grands exploits, en réussissant à ne jamais singer l’esthétique du film de Ridley Scott, avec un travail colorimétrique d’une précision et d’une beauté à nul autre pareil, dont les teintes ocre et orange qu’il affectionne tant chez les frères Coen ont vraiment de quoi sidérer, tant elles sont poussées ici à un degré de perfection qui continue à obséder bien après la projection. La mise en scène élégante fait le reste, avec des plans tranchants comme des lames de rasoir, ou au contraire, des mouvements d’appareils, comme toujours chez ce metteur en scène, à la lenteur permettant d’apprécier réellement les stupéfiantes trouvailles visuelles pullulant à chaque coin de l’écran.

 

Des questionnements existentiels

Mais si le film n’était qu’esthétique, il pourrait facilement tomber dans le piège de la belle coquille dévitalisée de toute émotion, trop occupée à faire de la belle image au détriment du reste. Ce qui peut fonctionner chez certains grands formalistes du cinéma, mais ne pourrait convenir à l’univers si dense de Philip K. Dick. Comme avait prévenu Denis Villeneuve, il ne faut pas s’attendre à avoir les réponses aux questions que l’on se posait à l’issue du premier film, le film présent étant plus une extension parfaitement cohérente des thématiques du premier, en reprenant des motifs pour les réinjecter dans une intrigue pouvant fonctionner de façon indépendante, mais qui ne décevra pas ses fans impitoyables. Celle-ci fonctionne comme un bon film noir à l’ancienne, se concentrant sur une traque, mais qui, à la surenchère d’action, préfère les questionnements existentiels, réussissant l’impossible, à savoir l’émotion. Dans un univers aussi éloigné du nôtre, il est compliqué de nous faire éprouver de l’empathie pour des personnages à priori aussi froids, et pourtant, à travers le retour de Harrison Ford en Rick Deckard, il y parvient, de manière subtile, grâce à l’interprétation sobre et nuancée de ce dernier, que l’on n’avait pas vu aussi bon depuis pas mal de temps. Il faut croire que cet univers lui convient plus qu’un autre, et sa première apparition, de l’ombre à la lumière, fait un sacré effet, le personnage comme l’acteur étant parfaitement iconisés, et ce même si la bande annonce montrait malheureusement la scène. Mais la façon dont elle est amenée dans le film nous donne quelques frissons. On peut également trouver matière à réflexion et à s’émouvoir dans les thématiques principales du film qui évoquent directement le travail précédent de Denis Villeneuve, particulièrement son magnifique Premier contact, qui abordait déjà le thème de la mémoire et de l’Amour universel, celui que l’on peut éprouver pour sa famille.

Ici, et sans rien déflorer de l’intrigue, les Androïdes s’interrogent évidemment sur leur part d’Humanité, et si, comme dit plus haut, la grande question que se posait le public à l’issue du premier film concernant Rick Deckard ne sera pas résolue, celui-ci évolue quand même d’une façon plus que surprenante , et cela donne l’occasion d’un dernier plan pas loin d’être bouleversant. Les personnages féminins ne sont pas en reste, à commencer par celui incarné par la belle Ana de Armas, dont nous ne dirons rien, mais dont la relation avec le personnage de Ryan Gosling a de quoi émouvoir, notamment lors d’une scène charnelle particulièrement originale et troublante. C’est donc en ça que l’on peut affirmer que Denis Villeneuve est un grand cinéaste, et pas seulement un excellent technicien, car réussir à s’approprier de façon aussi personnelle un univers si identifié auprès d’un certain public, nécessitant une vraie cohérence thématique, relève véritablement du prodige, et nul doute que ce film, égalant en tous points le Ridley Scott, pourra se voir et se revoir au fil des ans jusqu’à devenir un véritable film culte comme ce dernier.

Tout, que ce soit la mise en scène, la photographie, ou les décors et objets, flatte la rétine au-delà de ce que l’on en attendait, provoquant un véritable vertige des sens. Les 2h30 passent toutes seules, malgré quelques passages dialogués paraissant un peu excessivement étirés, notamment les apparitions de Jared Leto qui provoquent certes un véritable trouble, pour ne pas dire malaise, mais dont il n’est pas certain que le film en aurait été diminué sans elles. C’est dans ces moments particulièrement, que l’on voit que le cinéaste a eu carte blanche, et peut-être que dans n’importe quel autre film, ils auraient fait partie des scènes ajoutées sur un futur director’s cut pour la vidéo. Mais on ne se plaindra pas d’avoir, pour une fois, un film tel que son instigateur l’a voulu, en salles. Certains pesteront d’ailleurs sur son aspect un peu verbeux, ce qui n’est pas faux, mais lorsque l’on aime cet univers et ses questionnements si fascinants, les dialogues se montrent passionnants, et ne tombent jamais dans un jargon trop abscons qui aurait tendance à devenir hermétique et pénible.

Conclusion

Au final, Denis Villeneuve a totalement réussi son pari fou, payant son tribut à Sir Ridley Scott, tout en continuant à développer son style, à l’intérieur d’une intrigue à la fois nouvelle et prolongeant parfaitement le film de base. Un grand film qui fera date à n’en pas douter, et que l’on espère voir fonctionner au box office, afin de pouvoir espérer d’autres prises de risques semblables à l’avenir. Car proposer aujourd’hui un blockbuster de 2h30, quasiment dénué de la moindre scène d’action, aux thématiques ne parlant pas forcément au plus grand nombre, et osant parfois une contemplation quasiment suicidaire (oserais-je parler de Tarkovski ? et oui, j’ose, c’est perceptible à certains moments), c’est ce qui s’appelle un sacré pari. Que l’on espère donc voir récompensé.

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