Au cœur des volcans
Royaume-Uni, Suisse, France, 2022
Titre original : The Fire Within A Requiem for Maurice et Katia Krafft
Réalisateur : Werner Herzog
Scénario : Werner Herzog
Narration : Werner Herzog
Distributeur : Potemkine Films
Genre : Documentaire
Durée : 1h24
Date de sortie : 18 décembre 2024
3/5
La terre hostile, où une personne avant tout attaché à son petit confort et à sa sécurité ne s’aventurerait jamais, est en quelque sorte l’habitat naturel de Werner Herzog. Plus l’endroit est reculé et imperméable à l’influence humaine, plus le réalisateur allemand semble adorer y prendre ses quartiers. Ce constat vaut autant pour bon nombre de ses films de fiction, comme par exemple Fitzcarraldo au tournage légendaire, que pour ses documentaires. Ainsi, nous avons gardé un très bon souvenir de deux moyens-métrages, sortis il y a dix ans en France – déjà chez le même distributeur – dans lesquels Herzog accompagnait l’alpiniste Reinhold Messner dans ses ascensions périlleuses, avant d’être le témoin de l’attente de l’éruption du volcan La Soufrière en Guadeloupe.
Cette soif du danger, cette envie irrépressible d’être au cœur de l’action et d’emmener le spectateur avec lui, Werner Herzog les partage avec les volcanologues Maurice et Katia Krafft, disparus en juin 1991 dans une coulée pyroclastique du Mont Unzen au Japon. A travers Au cœur des volcans, il a souhaité leur rendre un ultime hommage par voie d’images d’archives prises par le couple sur fond de musique classique. Or, comme souvent dans les documentaires du réalisateur, ce serait presque plus son commentaire qui intrigue ici que les vestiges visuels de spectacles naturels époustouflants.
A noter que la première projection de ce film-ci en juin 2022 avait eu lieu quelques mois à peine après celle de Fire of Love de Sara Dosa, un documentaire à la démarche formelle et au sujet très proches de celui de Herzog.
Synopsis : Originaires d’Alsace, les volcanologues Maurice et Katia Krafft parcourent le monde depuis des décennies afin de filmer au plus près l’éruption des volcans, quand ils tombent victimes de celle du Mont Unzen en 1991. Trente ans plus tard, le réalisateur Werner Herzog leur dédie un requiem filmique en montant quelques unes de leurs prises les plus spectaculaires, mais également en évoquant les circonstances de leur décès et les raisons de leur passion pour les volcans.
Feu de la passion
En règle générale, on ne monte pas jusque dans le cratère d’un volcan en bikini et en escarpins à talon aiguille. Pareille amateurisme n’était certes nullement le mode d’emploi des Krafft, des scientifiques à l’expertise plus que solide. Cependant, leur démarche de vulgarisation des merveilles à double tranchant des volcans s’inscrivait quand même un peu dans une mise en avant opportuniste de ces événements cataclysmiques. Pendant un temps, ils s’enorgueillissaient d’être les premiers sur place pour filmer les éruptions. De même, une partie conséquente des images retenues dans Au cœur des volcans jongle avec plus ou moins de franchise entre la promotion du spectacle de la nature et l’émerveillement face à lui.
Ces aspects-là, Werner Herzog les accentue encore – à notre humble avis un peu trop – en accompagnant des images qui se suffiraient à elles-mêmes par un enchaînement quasiment ininterrompu de chants sacrés issus de la musique classique.
En même temps, le réalisateur procède à la mise en ordre hautement prodigieuse de cette foule abondante de films d’expéditions. Tandis que le suspense – qui n’en est pas vraiment un – jusqu’à la mort du couple vedette rythme le récit du documentaire, celui-ci est composé de chapitres informels revenant sur les grandes périodes du travail de Maurice et Katia Krafft. A commencer par la recherche progressive du point de vue personnel, aux rôles bien établis, qui conférera leurs lettres de noblesse aux aventures du couple aux quatre coins du monde. En effet, par son commentaire à l’intonation singulière, à mi-chemin entre l’admiration sincère et une mise en abîme plus ironique des subterfuges pour obtenir des images époustouflantes, Werner Herzog nous livre une interprétation guère hagiographique des activités de ces pionniers en matière volcanique.
Feu de la destruction
Car les très belles images de coulée de lave et autres jaillissement de la même matière létale ont beau abonder ici, tôt ou tard le réalisateur saisit quand même l’occasion pour revenir sur l’immense malheur que ces éruptions font subir aux personnes n’ayant pas pu évacuer les alentours à temps. Le couple des scientifiques en fait partie, soit. Mais c’est presque autant sur les victimes dans la population civile que le documentaire a le bon goût de revenir. Des corps d’hommes et de femmes calcinés et convulsés, des vaches et autres bêtes qui mourront une mort aussi lente qu’inextricable dans leur prison de boue suite à des écoulements catastrophiques : les exemples ne manquent pas pour évoquer la cruauté intrinsèque de ce spectacle que nous avons le privilège d’observer depuis la sécurité de notre fauteuil de cinéma.
Au même niveau ou presque, Werner Herzog consacre quelques minutes pertinentes aux efforts surhumains que les Krafft ont dû fournir avant d’arriver au plus près de la fournaise volcanique. Les terrains accidentés, voire dévastés, ont ainsi dû mettre à rude preuve leur détermination d’être au bon endroit au bon moment. Toute la philosophie du spectacle, au sens large, est dès lors condensée dans ces traversées de rivière laborieuses – surtout pour les pauvres bêtes de somme ! – ou bien dans cette manœuvre en apparence longue et complexe afin de sortir une voiture du ravin dans lequel elle était tombée. C’est visiblement le genre de sacrifice que ces explorateurs des temps modernes étaient ravis de consentir, en échange de la place de choix qu’ils occupent jusqu’à présent dans le cœur des admirateurs et des connaisseurs du microcosme risqué des volcans.
Conclusion
C’est la multitude des cordes à son arc de cinéaste téméraire qui nous a depuis toujours rendu Werner Herzog si sympathique. Notre adhésion à son univers personnel se poursuit, même si Au cœur des volcans affiche certains choix qui auraient tendance à nous paraître discutables. Sans conteste, les images prises par Maurice et Katia Krafft méritent de passer à la postérité, tant elles témoignent à la fois du pouvoir de fascination de ces paysages en ébullition à des centaines de degrés et du courage des scientifiques de s’en approcher de si près. Or, la décision de montrer presque exclusivement des images d’archives dans ce documentaire nous prive du plaisir de découvrir le monde à travers le regard souvent passionnant du réalisateur.
Cette petite réserve, ainsi que l’emploi trop systématique du fond musical, appartiennent aux seuls légers bémols que l’on ose émettre envers ce documentaire sinon tout à fait passionnant !