Argylle
États-Unis, 2024
Titre original : Argylle
Réalisateur : Matthew Vaughn
Scénario : Jason Fuchs
Acteurs : Bryce Dallas Howard, Sam Rockwell, Henry Cavill et Bryan Cranston
Distributeur : Universal Pictures International France
Genre : Comédie d’espionnage
Durée : 2h19
Date de sortie : 31 janvier 2024
2,5/5
En matière de films d’espionnage, le haut du panier est constitué soit de spectacles à l’élégance luxurieuse et à la capacité d’adaptation bluffante en fonction des époques, bref de l’univers James Bond, soit de plongées moins étincelantes dans la grisaille quotidienne d’un métier sans gloire, croisées ces dernières années chez Tomas Alfredson (La Taupe) et Steven Spielberg (Le Pont des espions). Et puis, bien plus bas, nous avons affaire à des œuvres qui tentent avec plus ou moins d’adresse de surfer sur l’une ou l’autre de ces modes parallèles.
Dans le cas de Argylle, il s’agit d’un film en surchauffe permanente, atteint du syndrome du revirement à tout prix et dépourvu de la moindre étincelle d’humanité ou de spontanéité. Tout y est parfaitement calculé, jusqu’aux traits d’humour forcés et aux effets spéciaux abondants, à tel point que la nature foncièrement artificielle de ce produit filmique peut poser de sérieux problèmes d’adhésion.
Difficile à croire en effet que le réalisateur Matthew Vaughn ait également été responsable, il y a une quinzaine d’années, de Kick-Ass, un film en symbiose parfaite avec son temps et truffé d’idées irrévérencieuses, alors que son huitième long-métrage en est l’antithèse absolue, à savoir une épopée aussi superficielle et synthétique que tonitruante. Certes, vous y chercherez en vain d’éventuels temps morts. Ce qui ne veut pas dire que l’intrigue vous emportera dans sa course effrénée. Bien au contraire !
A force de vouloir épater son public, le scénario de Argylle installe un climat de méfiance grandissant envers ces bifurcations de plus en plus improbables, qui égarent irrémédiablement l’intrigue, au lieu de la mener tôt ou tard à bon port. Et même le volet romantique du récit ne fonctionne que modérément, le charme décontracté de Sam Rockwell ne produisant guère d’alchimie amoureuse avec le personnage névrosé que Bryce Dallas Howard campe avec peu de conviction.
Synopsis : L’écrivain à succès Elly Conway vient de publier son quatrième roman autour des exploits de l’agent secret Argylle. Au retour d’une rencontre-dédicace pour le présenter au public, elle fait une nuit blanche afin de boucler le cinquième tome. Dans la foulée, elle le renvoie à sa mère au vu d’un premier avis. Celui-ci est plutôt mitigé, à cause de la déception provoquée par la fin ouverte. En panne d’idées, Elly décide de prendre le train pour rejoindre ses parents. Or, dans son compartiment, ce qui commence en tant que simple échange avec un fan intrusif se termine en pugilat et massacre. Les capacités d’anticipation de l’autrice auraient mis sur leurs gardes les plus puissants services secrets du monde, impatients d’apprendre quel sera le prochain événement aux répercussions planétaires qu’elle couchera sur papier. Seul l’agent à l’esprit indépendant Aidan Wilde serait en mesure de lui venir en aide.
A quoi rime tout cela, Alfie ?
De la fiction à l’état pur, l’intrigue de Argylle ne réussit pourtant à aucun moment à nous intéresser à ses enjeux dramatiques. La liberté de pouvoir tout inventer, en créant des mondes qui n’ont quasiment rien à voir avec les grands (dés)équilibres internationaux de ce siècle, ne sert pas à grand-chose au scénario de Jason Fuchs. Ce dernier préfère s’engager sur la voie hasardeuse de la caricature, de moins en moins probante, au fur et à mesure que des affrontements musclés remplacent le peu de potentiel de relecture ironique dont disposait initialement la prémisse.
Le dispositif du poisson hors de l’eau est employé ici de la manière la plus basique imaginable : en gommant progressivement tous les attributs de fragilité qui auraient dû rendre Elly Conway attachante. Alors que Bryce Dallas Howard aurait pu y exceller sur les traces de Kathleen Turner dans A la poursuite du diamant vert de Robert Zemeckis, l’actrice nous fait de plus en plus penser à Marsha Mason dans ses rôles les moins dégourdis.
De même, la menace qui pèse sur cette pauvre demoiselle en détresse peine sérieusement à se matérialiser. Ni le cabotinage éhonté de Bryan Cranston et de Catherine O’Hara, ni l’intervention en cascade de sbires anonymes armés jusqu’aux dents et sans exception éliminés dans des chorégraphies au désagréable arrière-goût nihiliste n’y parviennent. Sans oublier que cette organisation nébuleuse au soi-disant pouvoir planétaire affiche tout de même de sérieuses difficultés à traquer, à surveiller et à appréhender leur proie sans défense. Le projet de maintien de son autorité dans un vide étonnant d’autres intervenants ne tarde pas à montrer ses vilains pieds d’argile, tant la narration chancelle au plus tard au bout d’une heure de film d’une improbabilité, voire d’une incohérence à l’autre.
Chacun cherche son McGuffin
Beaucoup d’agitation, donc, et très peu d’action ou de suspense palpables. Les personnages principaux traversent des décors plus ou moins exotiques, filmés sans exception en mode carte postale, sans que rien, ni personne ne les touche dans leur quête de quoi exactement ?
Ce qui aurait pu devenir un hymne en sourdine au pouvoir des femmes à se réapproprier leur destin dévie sans cesse vers un inventaire de tous les cas de figure, où le personnage féminin a terriblement besoin de l’expertise et de la force brute de son pendant masculin pour se tirer d’affaire. Le vague sous-entendu d’une relation plus que professionnelle entre les deux héros de fiction interprétés avec un minimum de charisme par Henry Cavill et John Cena ne donne pas non plus suite à une réinterprétation de la notion de virilité parmi les espions en général ou de celle dans la structure relationnelle globalement bancale dans ce film-ci en particulier.
Pas sûr que l’on puisse parler de gâchis dans le contexte d’une œuvre cinématographique d’entrée de jeu conçue sous de faux prétextes. Puisque rien ne sonne vraiment juste ou original ici, il serait exagéré de se lamenter sur l’occasion ratée d’un film à la mission de divertissement très mollement remplie. Cependant, l’emploi très lapidaire de bon nombre de comédiens de renom a déjà plus de quoi nous agacer. Cela commence avec les quelques secondes à peine dédiées au pauvre Richard E. Grant, en passant par l’apparition éclair de Ariana DeBose, jusqu’à l’emploi très peu valorisant de Samuel L. Jackson en lanceur d’alerte, vivant retiré dans une campagne française abusivement idyllique et réduit à suivre de loin, quoique sans recul lucide, le spectacle aussi navrant que creux que se livrent ses anciennes recrues à travers un univers foncièrement aseptisé.
Conclusion
Comme comédie d’espionnage, nous avons déjà vu beaucoup mieux et bien pire que Argylle. A force de tenter de rester sur le terrain éprouvé de ce genre trop souvent dépourvu de surprises, le film de Matthew Vaughn affiche une tendance récurrente de s’embourber dans un grand n’importe quoi. Hélas, contrairement à l’estime que nous avait inspirée jadis Kick-Ass du même réalisateur et sa facture casse-cou, ce film-ci ne provoque chez nous qu’un bâillement vaguement bienveillant. Que vous alliez le voir ou pas ne changera en toute probabilité strictement rien à votre vie, tant son degré de divertissement est passable et ses exploits techniques demeurent docilement dans les clous d’une production hollywoodienne contemporaine, bourrée à la testostérone synthétique et d’une anémie consternante en termes d’originalité réelle !