Critique : A beautiful day

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A beautiful day

Etats-Unis, 2017
Titre original : You Were Never Really Here
Réalisateur : Lynne Ramsay
Scénario : Lynne Ramsay, d’après l’oeuvre de Jonathan Ames
Acteurs : Joaquin Phoenix, Ekaterina Samsonov, Alessandro Nivola
Distribution : SND
Durée : 1h25
Genre : Thriller
Date de sortie : 8 novembre 2017

Note : 4,5/5

Six années séparent We need to talk about Kevin, le précédent long métrage de Lynne Ramsay, du film présent. Ce délai inhabituellement long, mais habituel chez la cinéaste écossaise, s’explique par le perfectionnisme dont elle peut faire preuve, tant dans le choix de ses sujets, que dans la façon dont elle envisage la mise en scène. N’ayant pu voir pour le moment ses deux premiers longs, Ratcatcher (1999) et Le voyage de Morvern Callar (2002), il sera difficile de se prononcer sur la qualité d’ensemble de sa filmographie, mais une chose est certaine, il est tout à fait aisé de voir, à travers ses deux derniers travaux, une personnalité forte du cinéma contemporain, du genre à provoquer des réactions extrêmes chez le spectateur, par sa radicalité formelle autant que thématique. Là où le précédent décrivait l’explosion d’une cellule familiale, par un adolescent ayant décidé, et ce dès son plus jeune âge, de littéralement pourrir la vie de sa mère campée par une exceptionnelle Tilda Swinton, jusqu’à commettre un acte irréparable, le film qui nous intéresse ici a tout l’air, sur le papier, du revenge movie mettant en scène cette fameuse figure du justicier chère à un tout un pan du cinéma américain, et popularisée par le vigilante incarné par Charles Bronson dans la série mythique tout autant que décriée des Death Wish. Mais bien évidemment, les cinéphiles connaissant un peu le travail de cette cinéaste se doutaient bien qu’elle ne ferait pas les choses comme tout le monde, en livrant un simple thriller racoleur flattant les bas instincts du spectateur. Depuis sa présentation triomphale à Cannes, l’excitation était de mise, et certains n’hésitaient pas à sortir LA référence en la matière, celle à même de convaincre les plus sceptiques, à savoir le chef d’oeuvre de Martin Scorsese, Taxi Driver. Évidemment, il s’agit presque du seul film « prestigieux » du genre, à savoir que même les plus bien pensants des critiques cinéma, exécrant la morale jugée nauséabonde de la plupart des représentants de ce sous genre, n’osent la remettre en cause idéologiquement, l’ambiguïté du personnage l’exemptant, du moins aux yeux de cette critique, de toute dérive condamnable. Mais cette comparaison un peu facile, tout comme celle à Drive, autre thriller tendance présenté avec grand bruit au festival de Cannes il y a quelques années, risque au final de nuire plus qu’autre chose au film, qui se suffit à lui-même,  trouvant son propre ton, grâce à la personnalité artistique hors normes de son instigatrice. Il faut donc y aller avec un esprit vierge de toute attente, et prêt à se laisser transporter par son ambiance si particulière …

Synopsis : La fille d’un sénateur disparaît. Joe, un vétéran brutal et torturé, se lance à sa recherche. Confronté à un déferlement de vengeance et de corruption, il est entraîné malgré lui dans une spirale de violence…

Brutal… il peut l’être

La force principale du cinéma de Lynne Ramsay se situe dans sa puissance expressive, à savoir que tout passe essentiellement par les sensations et le montage, plus généralement par la mise en scène. C’était le cas de We need to talk… qui fonctionnait par des effets de montage audacieux, aux raccords particulièrement travaillés, associant par exemple des couleurs de façon quasiment indétectable. Cette envie de cinéma comme art avant tout visuel explose tout autant ici, en nous plongeant littéralement dans la psyché de son personnage central, ce vétéran visiblement hanté par un paquet de traumas, tout autant liés à son enfance qu’à son expérience au front. Incarné par un Joaquin Phoenix totalement renversant qui n’a pour le coup pas volé son prix d’interprétation à Cannes, ce personnage taiseux, pouvant faire preuve d’une hargne redoutable dans le cadre de ses activités de détective privé, est pourtant écrit avec beaucoup de nuances, ce qui nous le rend instantanément attachant, et ce sans qu’il n’y ait besoin de beaucoup de dialogues. Car il s’agit véritablement, un peu d’ailleurs comme le récent Mother !, d’un film-cerveau, ou film-monde, même si les traitements diffèrent grandement. Car au bruit et à la fureur du film de Aronofsky, la cinéaste britannique préfère nous faire ressentir, et comprendre les enjeux par ses choix de montage, fonctionnant par rimes visuelles, en associant au sein d’une même séquence des bribes de situations séparées temporellement, mais se rejoignant de façon subtile, par des inserts traumatiques presque subliminaux, nous faisant tout assimiler, là encore, sans qu’il n’y ait besoin de dialogues explicatifs qui ne serviraient qu’à alourdir l’ensemble. Car il aurait été facile de tomber dans la parodie grotesque, tant le scénario joue la carte du psychanalytique sans se soucier du qu’en dira-t-on. Et c’est dans cette façon qu’a la cinéaste de jouer avec les clichés, sans jamais y tomber, que le film trouve sa raison d’exister.

 

Ferme les yeux

Comme dit plus haut, la prestation de Joaquin Phoenix porte littéralement le film, avec sa mise en scène bien entendu, et lui apporte une véritable charge émotionnelle, sans donner l’impression d’être dans une quelconque recherche de performance. Avec sa barbe et son regard d’animal blessé, constamment dans un état de semi somnolence, il apporte à la fois beaucoup d’humanité et une violence sourde prête à exploser à n’importe quel instant. Et lorsqu’il la laisse s’exprimer, c’est à coups de marteau qu’il se fraye un chemin parmi ses ennemis. Mais loin de faire dans la stylisation de la violence à la manière d’un Nicolas Winding Refn ou du polar coréen moderne, la cinéaste préfère jouer la retenue, du moins un certain temps. Car la violence graphique est bien évidemment présente, mais esquivée dès que possible par de subtils artifices, par exemple lorsqu’elle capte son personnage massacrant ses adversaires par l’intermédiaire de caméras de surveillance, ou lorsqu’elle utilise subtilement le hors champ, comme lors de cette scène intense où le justicier dit à la très jeune fille qu’il vient délivrer « Close your eyes » avant de tuer l’un des criminels, la caméra restant rivée sur le visage impassible de la jeune victime, comme sonnée par tout ce qu’elle a vécu, et pourtant seul symbole du film de cette innocence souillée par la perversion d’adultes dépravés.

Le film pourrait être sordide ou complaisant, il n’en est rien, la cinéaste ne s’attardant par sur les aspects les plus tendancieux de son histoire, préférant filmer, et à merveille, son acteur, évitant soigneusement tout excès spectaculaire qui rendrait la dégueulasserie trop plaisante à regarder. Et pourtant, à aucun moment son film ne paraît malaisant ou désagréable, car son personnage, malgré sa brutalité, fait preuve de toute la compassion du monde à l’égard des victimes d’un monde cruel, de plus en plus difficile à comprendre. Il faut également saluer le score audacieux et obsédant composé par Johnny Greenwood, guitariste et compositeur presque au même titre que Thom Yorke, de Radiohead. Ses sonorités à la fois bruitistes et très atmosphériques, vont de pair avec les images puissamment sensorielles que nous a perfectionnées avec passion Lynne Ramsay.

Conclusion

Si l’on pourra chipoter sur le curieux prix du scénario accordé au festival de Cannes, un prix de la mise en scène paraissant bien plus approprié, le film reste particulièrement impactant, par la profonde intuition de cinéma de sa cinéaste, faisant tous les bons choix, et se servant de la simplicité de son argument comme simple base pour nous offrir une expérience de cinéma peu commune, faisant partie à n’en pas douter des films les plus marquants de cette année 2017. En espérant que pour son prochain, elle n’attende pas encore autant d’années. Mais si c’est pour atteindre cette quasi perfection, l’attente en vaut largement la peine.

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