Critique : 200 mètres

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200 mètres

 Palestine, Jordanie, Qatar, Italie, Suède : 2020
Titre original : 200 meters
Réalisation : Ameen Nayfeh
Scénario : Ameen Nayfeh
Interprètes : Ali Suliman, Anna Unterberger, Lana Zreik
Distribution : Shellac
Durée : 1h36
Genre : Drame
Date de sortie : 9 juin 2021

4/5

Né à Tulkarem, en Palestine, il y a 33 ans, Ameen Nayfeh a d’abord obtenu, en 2010, une licence en sciences infirmières à l’université Al-Quds de Jérusalem-Est puis, en 2012, une maîtrise en beaux-arts de l’Institut des arts cinématographiques de la mer Rouge en Jordanie. Il a réalisé plusieurs court-métrages qui témoignent de ce qui se passe en Palestine. 200 mètres est son premier long métrage, un film pour lequel sept années ont été nécessaires pour développer le scénario et trouver des producteurs. Ce film a été présenté dans de nombreux festivals et il a été presque toujours été retenu dans les palmarès avec, en particulier, un Prix du public lors de la Mostra de Venise 2020.

Synopsis : Mustafa d’un côté, Salwa et les enfants de l’autre, une famille vit séparée de chaque côté du Mur israélien à seulement 200 mètres de distance. Ils résistent au quotidien avec toute la ruse et la tendresse nécessaires pour « vivre » comme tout le monde, quand un incident grave vient bouleverser cet équilibre éphémère. Pour retrouver son fils blessé de l’autre côté, le père se lance dans une odyssée à travers les checkpoints, passager d’un minibus clandestin où les destins de chacun se heurtent aux entraves les plus absurdes.

Le quotidien d’un palestinien face au mur de l’apartheid

Depuis sa terrasse, Mustafa contemple la vue qui s’étend devant lui : au premier plan, un jardin ; puis un mur, un mur à perte de vue, un mur très laid ; de l’autre côté du mur, le village voisin. Voisin, car distant de 200 mètres, mais, pour Mustafa, cette distance devient 200 kilomètres depuis qu’a été construit ce mur de l’apartheid. Un mur dont la construction a été initiée en 2002, un mur empiétant dans le territoire cisjordanien pour pouvoir englober des colonies israéliennes, un mur coupant des paysans palestiniens de leurs terres, une construction jugée illégale par la Cour Internationale de Justice de La Haye, une construction condamnée dès 2003 par l’Assemblée générale des Nations Unies par 144 voix contre 4 (Etats-Unis, Israël, Micronésie et Iles Marshall).

Pour Mustafa, le problème est à la fois très simple et très compliqué : lorsque le mur a coupé son environnement en deux, Salwa, sa femme s’est retrouvée côté Israël et elle a la nationalité israélienne alors que lui n’a jamais accepté de prendre cette nationalité. Conséquences : Mustafa vit avec sa mère d’un côté du mur, Salwa et les 3 enfants du couples, un garçon et deux filles, vivant de l’autre côté, juste en face, à 200 mètres de distance. La nuit venue, le père et ses enfants dialoguent par téléphone et se souhaitent bonne nuit en allumant et en éteignant des lumières. Ce père aimant, ce mari aimant, reçoit régulièrement la visite de sa femme et de ses enfants, la réciproque étant beaucoup plus difficile. Pour arriver à passer de l’autre côté du mur, il faut, pour Mustafa, un permis de travail en bonne et due forme et que sa carte magnétique soit à jour. Si c’est le cas, ne reste plus pour lui, pour se rendre sur un lieu de travail ou pour visiter sa famille, qu’à vivre l’enfer humiliant des check-points. Mais, que voulez-vous, Mustafa, comme la plupart des palestiniens, est tellement habitué à devoir s’adapter en permanence aux désidératas israéliens que, bon gré mal gré, il se résout toujours à obtempérer. Toujours ? Lorsqu’il apprend que son fils Majd a été heurté par un véhicule et qu’il est dans un hôpital israélien alors que, sa carte magnétique n’étant pas à jour, il ne peut se rendre « légalement » de l’autre côté du mur, il se voit contraint de faire connaissance avec les moyens détournés permettant ce passage de l’autre côté du mur, des moyens payants bien sûr, environ 100 euros par personne, et, surtout, très risqués : quiconque se fait prendre doit payer une amende d’environ 2500 Euros et devient banni de l’Etat d’Israël.

Un roadmovie en Palestine

Devenu « Roadmovie » couvrant le long périple entrepris par Mustafa pour aller voir son fils à l’hôpital, le film élargit son propos en introduisant de nouveaux personnages, compagnons de voyage dans le véhicule qui traverse les paysages arides de la Palestine. Il y a là, en particulier, Rami, un jeune homme palestinien de 18 ans qui rêve de pouvoir travailler en Israël et le couple formé par Kifah et Anne. Un couple très récent, de toute évidence, le palestinien Kifah se rendant au mariage d’un cousin et Anne étant une touriste allemande qui ne cesse de filmer tout ce qui se passe autour d’elle. Une activité pas franchement conseillée quand la situation demande plutôt une grande discrétion ! Et puis, est-elle vraiment allemande, alors qu’il s’avère qu’elle comprend et qu’elle parle l’hébreu ? Le roadmovie prend des allures de film à suspense.

Des familles séparées par le mur, des paysans qui habitent d’un côté du mur et qui ne peuvent plus cultiver leur champ situé de l’autre côté, les exigences israéliennes lors des passages aux checkpoints, face à ces situations souvent ubuesques, Ameen Nayfeh n’a pas cherché, au travers de son film, à fournir des solutions clé en main : cela fait plus de 70 ans qu’on en cherche et il aurait pu postuler au Prix Nobel de la Paix s’il en avait fourni de bonnes. Quant aux conséquences de ces situations, les peuples palestiniens et israéliens sont, une fois de plus, en train de les vivre dans leurs chairs, en ce moment même ! Non, Ameen Nayfeh s’est contenté, sans manichéisme, de montrer ces situations, de faire, en quelque sorte, un état des lieux, et c’est déjà beaucoup. En plus, il montre ces situations en faisant preuve de beaucoup d’habileté dans l’écriture du scénario et d’un très bon savoir-faire quant à la mise en scène. C’est ainsi que, sans appuyer lourdement, il nous montre comment se déroule le passage dans un checkpoint ainsi que le comportement vindicatif de colons israéliens croisés lors du périple. Il nous apprend aussi que l’idolâtrie de tout un peuple envers les chanteuses Oum Kalsoum et Fairuz semble, aujourd’hui, s’être détournée vers le footballeur égyptien Mo Salah.

Un très bonne distribution

Le personnage de Mustafa étant présent dans presque tous les plans du film, le choix de son interprète était très important. Réussir à obtenir la participation de Ali Suliman a représenté un grand atout pour Ameen Nayfeh : il s’agit un des meilleurs acteurs arabes israéliens, un acteur qu’on a vu, entre autres, chez Elia Suleiman, chez Eran Riklis, chez Ziad Doueiri et qu’on verra prochainement chez Terrence Malick. Coproduction italienne oblige, le rôle de l’ « allemande » Anne est (bien) tenu par la comédienne italienne Anna Unterberger, dont la mère est danoise et qui est originaire de Bolzano, ville du nord de l’Italie dont le quart de la population est de langue allemande. Quant à l’actrice arabe israélienne Lana Zreik, l’interprète de Salwa, tout à la fois comédienne et danseuse, elle interprétait son propre rôle de juré dans le remarquable Dancing in Jaffa et elle avait déjà partagé l’affiche avec Ali Suliman dans Les citronniers de Eran Riklis.

 

Conclusion

il y a peu, Le « feu » s’est rallumé entre Israël et la Palestine, et 200 mètres vient à point pour nous donner, de façon non manichéenne, des exemples des difficultés rencontrées par les palestiniens pour avoir un semblant de vie normale. Alors qu’il est très difficile de réaliser des films en Palestine, ce premier long métrage d’un jeune réalisateur palestinien, inspiré de son propre vécu, combine un intérêt presque documentaire avec une bonne dose de suspense et une mise en scène sobre et efficace.

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