Cornélius Le Meunier hurlant
France, 2018
Titre original : –
Réalisateur : Yann Le Quellec
Scénario : Yann Le Quellec, David Elkaïm, Jean-Luc Gaget & Gladys Marciano, d’après un roman de Arto Paasilinna
Acteurs : Bonaventure Gacon, Anaïs Demoustier, Gustave Kervern, Christophe Paou
Distribution : Ad Vitam Distribution
Durée : 1h47
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 2 mai 2018
Note : 2,5/5
Une comédie bucolique, un conte pour adultes, un trip chamanique, un western, une tragédie romantique, une énième occasion d’admirer à petites doses le génie fou de Denis Lavant : Cornélius Le Meunier hurlant est tout cela à la fois. Projeté au Festival d’Albi dans le cadre de divers dispositifs pédagogiques, le premier long-métrage de Yann Le Quellec peine malheureusement à s’approprier pleinement ces influences complémentaires, à en faire une œuvre cohérente et unique, plutôt que l’enchaînement cabossé de variations de ton aiguës. Car en face de quelques moments d’émerveillement cinématographique, on se retrouve avec des séquences complètement ratées. La fièvre des débutants exerce d’une certaine façon son emprise sur cette histoire à première vue hors des sentiers battus, qui affiche pourtant par intervalles une fâcheuse tendance à se conformer à une notion plus consensuelle de l’amour impossible entre la belle et la bête. Ce zigzag des sentiments et de la virtuosité formelle n’est au moins pas à mettre sur le compte des deux acteurs principaux, Bonaventure Gacon à la vigueur indomptable et Anaïs Demoustier dans la conjugaison pas sans charme de la femme la plus futée du village, qui rêve de conquérir un jour le monde aux côtés de son amoureux mal assorti.
Synopsis : Le meunier Cornélius Bloom a parcouru tout le pays à la recherche de l’endroit avec la meilleure exposition au vent, afin d’y construire son moulin. Il l’a trouvé sur les hauteurs d’un village reculé, qui attend depuis des années qu’un vaillant artisan lui produise à nouveau de la farine. L’accueil de Cornélius par les villageois est par conséquent des plus chaleureux, l’inauguration du moulin devenant une véritable fête populaire. Seulement, d’étranges hurlements nocturnes inquiètent les habitants. Quand ils apprennent que c’est Cornélius qui pousse ces cris atroces, lorsqu’il ne peut plus contenir ses convulsions intérieures, ils cherchent par tous les moyens à lui interdire cette nuisance sonore pénible. Carmen, la fille du maire qui s’occupe également des parcs et jardins du village, est la seule à prendre sa défense.
Les Hauts de hurlement
On aurait tant aimé être entièrement subjugué par ce film et pas uniquement pour accomplir un séjour festivalier sans fausse note ! Il y avait d’emblée de quoi faire, avec ces premiers plans magistraux, où l’on voit d’abord des crustacés, puis le personnage principal s’extraire laborieusement du sable au bord de la mer. Tout y est déjà, la contradiction entre la nature et l’homme, entre sa dimension mythique proche du Golem, l’homme fait d’argile, et la nécessité plus banale de subvenir à ses besoins vitaux. Même la quête d’un endroit où se poser conserve encore la poésie de l’environnement sauvage, l’outil de mesure du vent faisant office de baguette de sourcier, faite pour braver les éléments. Les choses se compliquent, dès qu’il faut faire preuve de volonté d’intégration, quitte à être jeté accidentellement par dessus le mur par le maire ou à être chassé jusqu’à ses derniers retranchements dans l’eau par une meute d’enfants peut-être pas si innocents que cela. La description de l’opposition farouche entre la magie à l’œuvre pour construire et faire tourner le moulin proche du ciel et des considérations plus bassement matérielles dans la vallée, où seul l’assistant du commerçant a su garder son goût pour l’acrobatie par dérobade, elle commence à montrer trop vite des signes de fatigue caricaturale pour pouvoir prétendre au statut de raison d’être exclusive du récit.
A la tombée de la nuit, au bout du monde
Vient alors l’heure des hurlements, un prétexte comme un autre pour symboliser la différence et simultanément rapprocher Cornélius de la sphère bestiale. Sauf qu’il existe bien sûr un raisonnement médical simpliste pour expliquer ses crises proches de l’épilepsie, exposé lors de la parenthèse peu réussie à l’asile psychiatrique. Auparavant, le diagnostic établi par le médecin du village, forcément ivrogne, forcément interprété par un Denis Lavant survolté qui arrive un peu comme un cheveu sur la soupe, n’était guère plus probant. En somme, personne ne sait vraiment quoi faire de ce géant bruyant. Ni les autres personnages qui, dans leur monde préservé et coupé du monde, ont besoin du produit de son travail, ni la mise en scène qui le balade dès lors au fil d’une odyssée bancale, ponctuée de rencontres spirituelles dans la forêt et d’un retour au bercail assez peu logique, qui se solde de surcroît par l’apparition déplaisante d’un trait romantique trop forcé. En effet, notre décrochage est devenu définitif au moment de la confrontation finale, atrocement tragique et en même temps rendue complètement distante par l’emploi de l’esthétique douteuse de la nuit américaine. Autant de cafouillage pour conclure une intrigue aux fils disparates nous fait donc presque amèrement regretter que les quelques idées ingénieuses antérieures n’y aient pas trouvé davantage de place, afin de s’imposer durablement.
Conclusion
Cela aurait été trop beau de terminer notre troisième séjour à Albi sans le moindre faux pas cinématographique ! Cornélius Le Meunier hurlant en est certes un, mais il serait abusif de notre part de ne pas lui reconnaître de même quelques qualités indéniables. A l’image de cet artisan téméraire, parti conquérir les airs pour s’écrouler lourdement par terre, Yann Le Quellec nous paraît être un réalisateur intéressant, qui ose beaucoup et ne réussit pas tout, mais dont l’ambition formelle et narrative est riche en promesses, hélas que partiellement tenues ici.