La Cinémathèque Française fête cette année ses 80 ans ! En guise de cadeau d’anniversaire, le programme de la saison 2016/17 a été annoncé en début de semaine, le premier qui porte l’empreinte du nouveau directeur général Frédéric Bonnaud, qui a succédé à Serge Toubiana. Mais à bien y regarder, il n’y a pas de bouleversements majeurs à craindre – ou à espérer – dans ce large éventail de rétrospectives et de cycles thématiques, qui rend hommage aux types de cinéma chers depuis longtemps à la vénérable institution du côté de Bercy.
Le plus grand changement a lieu au niveau des expositions. Alors qu’il y aura toujours deux grandes expositions temporaires, la première d’octobre à janvier, la deuxième de mars à juillet, aucune d’entre elles ne sera dédiée à une personnalité précise du cinéma. Ce seront davantage des thématiques sur la technique du cinéma et sur son contenu qui régneront sur le cinquième étage de l’American Center. Sous le titre « De Méliès à la 3D : la Machine Cinéma », la Cinémathèque montrera du 5 octobre 2016 au 29 janvier 2017 les trésors de sa collection qui refléteront les métamorphoses successives de l’image animée. Parrainée par le réalisateur Roman Polanski, l’exposition se déclinera également à travers un catalogue par Laurent Mannoni, un cycle de films témoins de changements techniques majeurs, ainsi qu’une série de conférences dans le cadre du Conservatoire des Techniques Cinématographiques, dont la première, le 7 octobre, sera une master class du chef opérateur Pierre-William Glenn. Enfin, fin novembre se tiendra un colloque international intitulé « Voyage au centre de la Machine Cinéma » auquel seront conviés les invités d’honneur et légendes vivantes du cinéma le chef opérateur Caleb Deschanel, le monteur Walter Murch et le créateur d’effets spéciaux Douglas Trumbull.
La deuxième grande exposition, qui se tiendra du 29 mars au 31 juillet 2017, aura pour thème « Les Enfants au cinéma ». Cette cure de jouvence – certainement pas de refus pour une institution qui est principalement fréquentée par des spectateurs presque aussi âgés que la Cinémathèque Française elle-même – passera par un voyage à la découverte des liens entre le monde de l’enfance et celui du cinéma. Une programmation jeune public des films de l’exposition l’accompagnera pendant quatre mois. Enfin, la Galerie des Donateurs accueillera dès le 14 septembre et jusqu’au mois de juin 2017 une troisième exposition, qui pourrait bien s’avérer plus intéressante que ses deux grandes sœurs. Les collections de la Cinémathèque Française y seront une fois de plus mises à contribution, cette fois pour un tour d’horizon de « L’Ecran japonais 60 ans de découvertes ». De nombreux documents précieux et rares y retraceront à la fois l’Histoire du cinéma japonais et sa réception très progressive en France à partir des années 1950. Tout au long de l’année, une programmation de films issus des collections de la Cinémathèque Française prolongera le dépaysement, tout comme l’édition par Carlotta d’un coffret livre/DVD sur « L’Âge d’or du cinéma japonais ».
Or, on va surtout à la Cinémathèque pour voir des films. De ce côté-là, le programme est une fois de plus des plus alléchants. Sous réserve des changements à moyen ou long terme, qui donnent plus souvent droit à des décalages qu’à des annulations pures et simples, voici donc les plus de vingt rétrospectives et cycles qui rythmeront cette saison 2016/17 :
Après la fermeture estivale pendant pratiquement tout le mois d’août, le premier réalisateur à avoir droit à une rétrospective intégrale de ses films est l’Allemand Josef von Sternberg (1894-1969), l’un des plus grands esthètes d’Hollywood. Le metteur en scène du mythique Ange bleu part aux Etats-Unis au début des années ’30 et y tourne entre autres cinq films supplémentaires avec sa muse Marlene Dietrich. Deux conférences accompagneront ce cycle qui dure pendant tout le mois de septembre, la première s’intéressera à l’érotisme selon Sternberg et la deuxième se penchera sur le dernier film du réalisateur, l’œuvre sublime et maudite Fièvre sur Anatahan.
Le mois de septembre sera également placé sous le signe du polar, par le biais d’une rétrospective à l’occasion des trente ans de l’éditeur Rivages/Noir. Pas moins de trente films viendront saluer la célèbre collection dirigée par François Guérif. Parmi eux les adaptations de romans de James Ellroy (L.A. Confidential de Curtis Hanson et Cop de James B. Harris), James Grady (Les Trois jours du condor de Sydney Pollack), Charles Willeford (Miami blues de George Armitage) et Elmore Leonard (Paiement cash de John Frankenheimer et Jackie Brown de Quentin Tarantino), tous édités en France par Rivages/Noir. L’écrivain James Ellroy participera à une rencontre le jeudi 8 septembre.
Puis pour accompagner la phase chaude de la campagne électorale aux Etats-Unis, qui devrait en toute probabilité voir Hillary Clinton affronter Donald Trump pour le poste politique suprême, la Cinémathèque Française a conçu un cycle thématique sous le titre « Elections à l’américaine ». Pendant quatre semaines, du 29 septembre au 23 octobre, de nombreux films de fiction et documentaires donneront un aperçu parfois tragique, parfois comique du cirque politique en Amérique.
Trêve partielle du penchant prononcé des programmateurs pour le cinéma hollywoodien au mois d’octobre, grâce à la rétrospective intégrale des films du réalisateur danois Carl Theodor Dreyer (1889-1968). Déjà projetés en ce moment au Festival de La Rochelle, ses films font preuve de son goût pour l’invisible et l’envers du réel comme dans Vampyr et l’émotion pure captée sur le visage de Maria Falconetti dans La Passion de Jeanne d’Arc. Une conférence animée par l’éminent historien du cinéma Bernard Eisenschitz aura lieu le jeudi 20 octobre.
En novembre, le réalisateur indien sans doute le plus connu en occident aura droit, lui aussi, à une rétrospective intégrale de son œuvre. Certains films de Satyajit Ray (1921-1992) ont été rendus accessibles récemment au public français, à travers une reprise de six de ses films par les Acacias en 2014 sous le titre « Le Poète bengali » et de celle de sa célèbre trilogie d’Apu l’année suivante. A la Cinémathèque Française, tous ses films seront visibles, grâce à un partenariat avec l’ambassade de l’Inde et les archives de l’Académie du cinéma américain.
La rétrospective du maître de l’animation française Jean-François Laguionie (*1939) ne durera que quatre jours à la mi-novembre. Principalement un prétexte pour soutenir la sortie de son dernier film Louise en hiver le 23 novembre, elle permettra néanmoins de (re)voir les films précédents de l’ancien assistant de Paul Grimault, comme Gwen ou le livre des sables, Le Château des singes, L’Île de Black Mor ou encore Le Tableau. Le réalisateur sera présent pour accompagner ce bref coup de projecteur.
Le compositeur argentin Lalo Schifrin (*1932) n’aura guère droit à plus de temps pour se faire ovationner à la Cinémathèque Française. De passage dans l’Hexagone à l’occasion du Festival du Cinéma & Musique de Film de La Baule, il fera escale à Bercy le mercredi 9 novembre pour signer un coffret de cinq CDs que Universal Music édite en son honneur fin octobre et pour présenter Bullitt de Peter Yates.
La deuxième moitié du mois de novembre sera consacrée à une rétrospective intégrale des films du réalisateur français Patrice Chéreau (1944-2013). Alors que le Festival d’automne à Paris reviendra sur le travail théâtral de Chéreau, la Cinémathèque Française projettera ses films, de La Chair de l’orchidée jusqu’à Persécution, en passant entre autres par L’Homme blessé, La Reine Margot, Ceux qui m’aiment prendront le train et Intimité. Une table ronde, le samedi 19 novembre à 14h30, réunira les collaborateurs du réalisateur, tels que Danièle Thompson, Vincent Perez et Pierre Trividic.
Un nouveau regard sur le cinéma indépendant américain aura lieu, là encore sur une durée brève de trois jours, fin novembre sous le titre « American Fringe ». Loin du cinéma officiellement labellisé « indépendant », neuf programmes de travaux récents seront projetés en présence de leurs réalisateurs. Cela permettra au public parisien de découvrir un échantillon représentatif de ce champ passionnant et méconnu du cinéma américain contemporain.
Le programme d’hiver devrait s’ouvrir sur une rétrospective intégrale des films du réalisateur italien Marco Bellocchio (*1939). Déjà honoré dans le passé plus ou moins lointain aux festivals de Bobigny et de La Rochelle, il reviendra en France pour présenter son nouveau film Fais de beaux rêves avec Bérénice Bejo, dont la sortie est prévue pour l’instant pour le 14 décembre. Alors que son premier film, Les Poings dans les poches avec Lou Castel, va ressortir en France la semaine prochaine, les autres films de Marco Bellocchio se distinguent par la même sérénité rageuse qui fait de lui un cinéaste hautement politique.
Un autre cycle thématique sur le cinéma hollywoodien se penchera sur la décadence qui y était à l’œuvre à partir de la fin des années ’50. Entre la fin du système des studios et l’avènement du Nouvel Hollywood, l’usine à rêves peinait en effet à s’y retrouver dans une société américaine aux mœurs en pleine révolution. Les ultimes films de réalisateurs qui étaient autrefois les ambassadeurs de la fiction hollywoodienne éclatante, comme George Cukor, John Ford et Otto Preminger, portent la marque de ce bouleversement inéluctable.
Un réalisateur parti à la retraite – de gré ou de force – avant que les choses ne se gâtent était l’Américain Frank Capra (1897-1991). La rétrospective intégrale de ses films permettra de revoir des classiques comme New York Miami, Mr. Smith au sénat et La Vie est belle, mais aussi de découvrir des films moins connus de ce conteur d’un idéal américain irrémédiablement rattrapé par la brutalité de la réalité.
Déjà annoncé pour le programme 2015/16, le cycle sur les « Nouvelles voies du cinéma chinois » verra enfin le jour en 2017. Ce sera l’occasion – espérons le – de voir de façon rapprochée les films de réalisateurs majeurs de cette cinématographie où l’indépendance rime encore trop souvent avec l’obligation de produire clandestinement. Seront représentés entre autres par leurs films Jia Zhangke, Wang Bing, Jiang Wen et Han Jie.
Le Royaume-Uni quitte de sa propre volonté l’Union Européenne, mais nous voulons bien garder la plus française des Britanniques, la chanteuse et actrice Jane Birkin (*1946) ! Depuis le milieu des années ’60, elle a joué dans plus de 70 films, dont les plus marquants restent Blow up de Michelangelo Antonioni, La Piscine de Jacques Deray, La Pirate de Jacques Doillon, Daddy Nostalgie de Bertrand Tavernier, ainsi que La Belle noiseuse et 36 vues du pic St-Loup de Jacques Rivette. Elle sera présente pour accompagner ses interprétations passées, pleines de fantaisie singulière et de fragilité gracieuse.
Le producteur Pierre Chevalier (*1945) a surtout travaillé pour la télévision, notamment en tant que directeur de la fiction chez La Sept / arte. Quelques unes de ses productions ont emprunté le chemin d’une exploitation en salle, comme les moyens-métrages du programme « Tous les garçons et les filles de leur âge ». Bon nombre de jeunes cinéastes étaient passés dans les années ’90 par la case arte, tels que Claire Denis, Laurence Ferreira Barbosa, Patricia Mazuy, Olivier Assayas et Cédric Kahn.
Au printemps, les neuf longs-métrages du réalisateur Alain Jessua (*1932) seront a priori visibles à la Cinémathèque Française. Entre 1963 et 1996, il a notamment travaillé avec Charles Denner (La Vie à l’envers), Jean-Pierre Cassel (Jeu de massacre), Alain Delon (Traitement de choc et Armaguedon), Gérard Depardieu (Les Chiens), Patrick Dewaere (Paradis pour tous), Jean Rochefort (Frankenstein 90), Michel Serrault (En toute innocence) et Ruggero Raimondi (Les Couleurs du diable).
En guise de prolongation du partenariat avec l’Association Française des directeurs de la photographie, la Cinémathèque Française accueillera l’un des plus grands chefs opérateurs du cinéma contemporain en la personne de l’Iranien Darius Khondji (*1955). Récemment un collaborateur fidèle de Woody Allen (Minuit à Paris, To Rome with love, Magic in the moonlight et L’Homme irrationnel), il s’est surtout imposé sur la scène internationale pendant les années ’90 grâce à Delicatessen et La Cité des enfants perdus de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro, Seven de David Fincher, Evita de Alan Parker et La Neuvième porte de Roman Polanski.
Le cinéma de Jacques Becker (1906-1960) est représentatif d’une qualité française particulièrement saisissante pendant les années ’40 et ’50. Grâce à la rétrospective intégrale qui lui sera consacrée en 2017, on pourra donc revoir ses films majeurs comme Goupi mains rouges avec Fernand Ledoux, Falbalas avec Micheline Presle, Antoine et Antoinette avec Roger Pigaut et Claire Mafféi, Casque d’or avec Simone Signoret et Serge Reggiani, Touchez pas au grisbi avec Jean Gabin et Le Trou avec Michel Constantin.
L’intégrale des films du réalisateur géorgien Marlen Khoutsiev (*1925) constitue la partie la plus inattendue et exotique de l’année à venir à la Cinémathèque Française. Léopard d’honneur au dernier Festival de Locarno, ce metteur en scène et ses films sont largement méconnus en France. Une lacune que l’on rattrapera avec plaisir en découvrant des films comme La Porte d’Ilytch et C’était le mois de mai.
Difficilement visibles pour des raisons différentes, c’est-à-dire légales, les films de l’immense Jean Eustache (1938-1981) se dévoileront aux spectateurs de la Cinémathèque Française aux derniers mois du printemps 2017. L’occasion idéale pour revoir le chef-d’œuvre La Maman et la putain et pour plonger dans ses autres films, comme Une sale histoire et Le Père Noël a les yeux bleus.
Et le festival « Toute la mémoire du monde », il est passé où, me demandez-vous ? Pour sa cinquième édition, il a encore changé de période, puisqu’il est désormais prévu pour les premiers jours du mois de mars, du 1er au 5 pour être exact. La programmation hors les murs devrait être maintenue pour ce Festival International du Film restauré, mais il est évidemment encore trop tôt pour avoir plus de détails sur les films sélectionnés et les invités d’honneur.
Enfin, le programme estival de la Cinémathèque Française nous fait d’ores et déjà saliver, même si nous savons pertinemment que l’un ou l’autre de ses cycles sera déprogrammé. Tandis que la reprise de la Semaine de la critique est plutôt sure d’avoir lieu, nous croisons les doigts pour la rétrospective intégrale des films de l’Anglais John Boorman (*1933), les rétrospectives du Suédois Mauritz Stiller (1883-1928) et de l’Italien Vittorio Cottafavi (1914-1998), ainsi que pour le cycle thématique « Good cop, bad cop » sur les figures du policier dans le cinéma américain des années 1960 et ’70.
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