El silencio del viento
Porto Rico, République Dominicaine, France, 2017
Titre original : El silencio del viento
Réalisateur : Álvaro Aponte Centeno
Scénario : Álvaro Aponte Centeno
Acteurs : Israel Lugo, Amanda Lugo, Kairiana Nuñez Santaliz
Distribution : –
Durée : 1h24
Genre : Drame
Date de sortie : –
Note : 3/5
Ce n’est pas uniquement en Europe que le thème des réfugiés fait polémique, comme le montre bien ce film porto-ricain, présenté en compétition au Festival Cinélatino de Toulouse. Partout où l’opportunité et la nécessité se présentent d’aller chercher une vie meilleure dans un autre pays, des hommes et des femmes font des efforts considérables pour se rapprocher de ce paradis sur terre aux pieds d’argile. Car bien évidemment, l’odyssée à travers des étendues d’eau aux profondeurs mortelles ne se solde que dans de très rares cas par une réelle amélioration des conditions de vie. Jusqu’ici, nous n’avons rien écrit de particulièrement original, susceptible de mettre à part El silencio del viento. Le premier long-métrage de Álvaro Aponte Centeno se distingue cependant par l’approche habilement détournée pour tenir compte de ce sujet brûlant d’actualité. En fait, il n’y fait longtemps référence qu’en tant qu’univers cadre dans lequel se déroule un drame plus intimiste. Que le scénario confère in extremis une importance croissante à cette source d’opportunisme plus ou moins pertinente n’enlève alors pas grand-chose à la qualité globale du film, une lente descente aux enfers dans un monde qui en est d’ores et déjà un.
Synopsis : Carmen et son frère Rafito gèrent ensemble un trafic d’immigrés clandestins venus en Porto Rico depuis la République Dominicaine. Ils viennent les chercher en bateau, puis les accueillent et les nourrissent un temps, avant de les remettre à leurs contacts respectifs en échange d’une somme d’argent importante. Un soir, Carmen est sauvagement assassinée. Il appartient alors à son frère de prévenir sa propre fille Wally, ainsi que sa mère et de persévérer désormais seul dans les sinistres combines entreprises auparavant avec sa sœur.
Pendant le deuil, le magasin reste ouvert
Au stress de la traversée dans des embarcations de fortune, filmée à peu de choses près avec les mêmes images que celles du corpus de films sans cesse grandissant sur ce fléau de notre époque, succède un calme trompeur. L’entrée en la matière a beau nous impliquer affectivement, ce n’est point après un attendrissement aux accents mielleux que la mise en scène semble courir ici. Au contraire, une fois que les réfugiés sont parqués presque comme des animaux chez la famille de Rafito, la narration s’emploie avant tout à montrer sans états d’âme superflus le fonctionnement de cette usine à chair humaine, de la procuration illicite des vivres pour ces locataires accueillis sans la moindre bienveillance jusqu’à la livraison de ces mêmes personnes, privées de leur identité individuelle à la fois par leur nombre et par le nihilisme de leurs passeurs. Ce n’est donc nullement une grande opération de chantage sentimental que Álvaro Aponte Centeno met en œuvre pour nous faire entrer dans ce monde passablement glauque. Et pourtant, il réussit à créer une intensité sourde entre les personnages, qui gravitent initialement tous autour de Carmen, capable de déclencher chez nous cette envie de spectateur primaire de vouloir en savoir plus sur eux. Grâce au revirement majeur du début du film, lui aussi évoqué avec une froideur clinique qui relève plus du réalisme que de l’indifférence, la visée dramatique s’éloigne encore un peu plus du sort des pauvres réfugiés, afin de mieux mettre en place une structure parallèle des plus probantes.
En panne de bouée de sauvetage
Rafito, interprété avec un naturel fascinant par Israel Lugo, vaque alors à ses occupations illicites avec le flegme de quelqu’un qui ne sait pas du tout comment faire le deuil d’un proche. Là aussi, le film contourne savamment les pistes les plus évidentes et par conséquent les plus ennuyeuses, toujours dans un souci de mettre en avant les tourments intérieurs du protagoniste, au détriment de quelque considération bassement policière que ce soit. Savoir qui a tué Carmen et si le meurtrier sera puni n’y importe que de façon très périphérique, tandis que la routine du trafic d’hommes est explorée en détail, parfois sur un ton doux-amer comme par exemple avec ces deux Chinois échoués et également à travers des morceaux de bravoure isolés, tel que ce plan pris depuis un drone qui accompagne le personnage principal au cours d’une transaction en voie de capoter. Dommage alors que la conclusion de cette tragédie intimiste ressente le besoin de boucler à tout prix la boucle, de revenir sur les lieux du crime initial contre l’humanité – même si le film ne se complaît dans aucune posture morale édifiante –, selon la volonté manifeste de mettre le bourreau sur un pied d’égalité avec ses victimes. A la limite, la fin constitue la partie la moins convaincante de El silencio del viento, à cause de cet empressement de se conformer à la dernière minute au motif de l’impasse associé à la crise des réfugiés, au lieu de se contenter de poursuivre l’observation par moments saisissante du désarroi de cet homme, en quelque sorte abandonné à lui-même après la disparition brutale de sa sœur.
Conclusion
L’activité hautement honorable de juré dans un festival de cinéma peut aussi comporter le danger de ne pas savoir quel film primer, faute d’options viables. Même s’il n’est pas parfait, El silencio del viento nous paraît toutefois comme un candidat respectable, investi à la fois d’un projet formel exprimé avec conviction, quoique sans barber le spectateur, et d’un lien vers l’actualité tissé avec plus ou moins d’adresse.