Cannes 70 : Souvenirs d’un cinéphile espagnol sur la Croisette

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70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Écran Noir, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd’hui, J-58. Retrouvez nos précédents textes du dossier Cannes 70 en cliquant sur ce lien.

Je suis allé à Cannes pour la première fois en 2009. J’étais un étudiant barcelonais qui prenait la route avec quatre copains de classe pour se rendre au Festival. Nous avions juste une accréditation cinéphile qui nous avait été attribuée en raison de notre statut d’étudiants en cinéma. Quand je commence à écrire cet article, j’ai l’impression d’y aller à nouveau, encore une fois, et je pense à la voix de Joan Fontaine dans le début du film d’Hitchcock, Rebecca : “Last night, I dreamt I went to Manderlay again”.

Nous avions récupéré nos accréditations et essayé de rentrer dans plusieurs salles avec le culot de ceux qui ne connaissent pas la hiérarchie cannoise. La désillusion fut grande quand nous nous sommes fait refouler de la salle de la Soixantième, qui est normalement destinée aux journalistes et à une partie du Marché du film. Et si nous étions venus à Cannes pour rien ? Le responsable de Cannes Cinéphiles nous avait parlé du théâtre de la Licorne, du Studio 13… mais nous voulions être présents sur la Croisette. Nous regardions avec jalousie les accréditations qui défilaient devant nos yeux : jaunes, roses, bleues… Ils allaient passer devant nous même si ça faisait déjà trois heures qu’on attendait pour accéder à la salle de la Quinzaine, au Théâtre Croisette du JW Marriott. Les trois heures de rigueur, les trois dernières avant de découvrir un nouveau film, un de plus.

Je me demande quelle est ma première image du Festival de Cannes en arrivant. Le premier film à Cannes était Tetro (Francis Ford Coppola, 2009). J’ai failli me faire refouler de cette séance également. « Faites passer deux personnes en plus ». Ces deux dernières furent Sergi, un de mes amis proches, et moi. Les yeux de Vincent Gallo, fixés à jamais sur un papillon de nuit qui se bat pour sortir d’une ampoule allumée. Nous en avons parlé toute la nuit, dans des débats, une bière pas chère à la main et un sandwich en guise de repas, toujours achetés aux mêmes endroits, aux mêmes visages, aux mêmes « vous-avez-un-accent-vous-venez-d’où ? ». Nous ne savions pas exactement ce que nous faisions à Cannes, nous n’avions pas de réponse précise mais c’était excitant, très excitant.

Parfois on se séparait : « je vais voir le film de Ciro Guerra et tu vas voir le film de Hong Sang-soo ». Le film était merveilleux ! J’ai encore des frissons quand je repense à Los viajes del viento (Les Voyages du vent, Ciro Guerra, 2009) et à la présentation de l’équipe. Le film était présenté à Un Certain Regard et les acteurs du film se sont mis à jouer du Vallenato avec leurs accordéons. Je pensais juste à sortir de la salle pour en parler avec le reste de mes copains. En sortant de la salle, ils avaient aperçu Hong Sang-soo et avaient commencé à le suivre pour lui parler. Apparemment, Hong Sang-soo, pas d’humeur à discuter, commença à accélérer la marche. Finalement, ils l’avaient perdu de vue…

Scorsese’s surprise

Nous essayions pour la première fois de rentrer dans la salle Debussy, sur la Croisette. On percevait, de loin, les visages des journalistes espagnols, avec leurs accréditations respectives qui pendaient à leurs cous. Ces journalistes avaient contribué, sans le savoir, à encourager nos premières passions cinéphiles. « Gorina, som catalans. Què tal la nova de Lars Von Trier ? » (Gorina, nous sommes catalans. C’était bien le nouveau film de Lars Von Trier ?). Àlex Gorina, critique de cinéma, nous sourit et répondit : « Ah, salut. Bon, comme-ci comme ça. Ce n’est pas son meilleur film. Vous allez voir ». On souriait malgré notre déception. Pas question qu’un film aussi attendu qu’Antichrist ne soit pas excellent ! Il nous a fallu attendre le lendemain pour avoir la possibilité de le voir.

Entre temps, nous avons réussi à rentrer dans la salle Debussy, alors qu’on ne s’y attendait absolument pas. Les agents d’accueil nous demandèrent de nous installer au deuxième rang, histoire de remplir les sièges vides. Nous allions voir la restauration du film Red shoes (Les chaussons rouges, Michael Powell et Emeric Pressburger, 1948). Thierry Frémaux monta sur scène pour annoncer l’arrivée de Martin Scorsese, qui présenta la séance. Je crois bien que c’était une surprise. Martin Scorsese ! Quelqu’un dans le public cria : « We love you, Marty ! ». « Merci, merci. Speaking of love… », répondit-il. Juste derrière nous étaient assis Ang Lee, Tilda Swinton et Thelma Schoonmaker, la merveilleuse monteuse des films de Marty.

Le plus fascinant (et perturbant) de notre première visite à Cannes fut le plaisir complètement fétichiste qu’on expérimentait juste à être là. On ne faisait rien de particulier : on regardait des films, on mangeait, on parlait cinéma, on buvait. Au final, on se retrouvait seuls, face à l’écran, et on se laissait bercer par ces images désirées, ces bouts de mémoire qui sont ancrés en nous pour toujours.

Rêve de cinéma

Je me souviens de la projection de La Terre de la Folie de Luc Moullet à la Quinzaine. C’était la séance de 9h du matin, comme à l’école. Luc Moullet était présent dans la salle et je me souviens de ce film avec beaucoup de tendresse car c’est le premier film durant lequel je me suis assoupi pour me noyer dans un cauchemar. Je tombais du ciel pour me retrouver dans un siège au troisième rang. La sensation de me réveiller devant un écran dont jaillissaient des images en perpétuel mouvement me rassura. Je n’avais pas besoin de rester éveillé. Je pouvais continuer à dormir tranquille. Malgré mon sommeil, les bobines de la pellicule continuaient à tourner avec acharnement.

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