Cannes 70 : la nouvelle vague coréenne

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70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Écran Noir, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd’hui, J-23. Retrouvez nos précédents textes du dossier en cliquant sur ce lien.

Deux des meilleurs films de l’année dernière nous venaient tout droit de Corée et sont passés sur la Croisette. Dernier train pour Busan de Yeon Sang-ho, avec son train rempli de zombies, en séance de minuit et Mademoiselle, récit à tiroirs de Park Chan-wook, en compétition officielle mais reparti bredouille, comme les meilleurs films de la sélection diront les mauvaises langues. On retrouvait en même temps à Cannes, hors-compétition, un autre film coréen plutôt bien reçu : The Strangers, dans lequel Na Hong-Jin mêlait vampires, exorcismes et thriller.

Cette année, ce ne seront pas moins de quatre cinéastes coréens qui seront présents en sélection officielle à Cannes. En séance spéciale, Hong Sang-soo retrouve Isabelle Hubert, cinq ans après In another country, avec La Caméra de Claire, un film tourné pendant … le Festival de Cannes 2016. Dans un registre plus violent, nous auront droit en Séance de minuit à deux longs-métrages de réalisateurs inconnus dans nos contrées : The Merciless, « film de prison » de Byun Sung-hyun et The Vilainess, « film de vengeance » de Jung Byung-gil. Bong Joon Ho lui fait partie des 18 aspirants à la Palme d’or grâce à son Okja, production Netflix qui vraisemblablement n’aura pas l’honneur de sortir en salle, en tout cas pas en France.

Cannes a d’ailleurs été une rampe de lancement pour ce qu’on appelle « la nouvelle vague coréenne ». Comme pour la française (et les innombrables déclinaisons dans d’autres pays), cette vague ne se définit pas tant par une période précise que par le nouvel élan permis par une poignée de réalisateurs, aux préoccupations plus ou moins semblables. Des cinéastes par ailleurs extrêmement populaires au pays du matin calme et qui ont été accueillis à bras ouverts par la critique française tout au long des années 2000.

 

 

 

 

 

 

 

Ha ! Si j’avais un marteau …

Il nous faut revenir quelques années avant l’éclosion de cette « nouvelle vague » pour en comprendre les obsessions. De 1961 à 1979, la Corée du Sud subit la dictature de Park Chung Hee, et le cinéma national est, comme on peut s’en douter, fortement censuré et contrôlé par le pouvoir. Pendant les années 1980, la transition démocratique est en marche (n’y voyez aucun slogan politique), ce qui permet à l’industrie cinématographique d’être plus ou moins libre à partir des années 1990. Une décennie pendant laquelle les futurs grands cinéastes vont se former, faire leurs premiers pas avant de débarquer en trombe au début des années 2000. On peut même prendre une date charnière : 2004. Cette année-là, ce sont deux films coréens qui vont être unanimement acclamés. Non seulement deviennent-ils des classiques instantanés mais, surtout, ils vont révéler en France deux réalisateurs qui vont devenir des sortes d’ambassadeurs de ce cinéma coréen. Old Boy et Memories of murder vont, chacun dans leur style même, caractériser la nouvelle vague coréenne.

Dans Old Boy, deuxième film de la « trilogie de la vengeance » de Park Chan Wook, il est question d’un homme enfermé pendant 15 ans pour une raison qu’il ignore qui va traquer ses malfaiteurs. Bong Joon Ho, lui, dans Memories of murder, signe aussi un thriller (quoiqu’il s’agisse d’un terme plutôt générique) dans lequel deux policiers enquêtent sur un tueur en série. Les deux films sont d’une grande violence et leurs récits prennent le spectateur aux tripes du début à la fin. Ils partagent une critique, plus ou moins explicite, de la société coréenne et exorcisent un passé à coup de marteau ou de coups de pieds sautés. D’un côté, nous avons un homme enfermé sans raison pendant plus de quinze ans, de l’autre c’est autant la société elle-même qui devient folle que ses rouages. Les policiers de Memories of murder sont en effet aussi violents que Oh Dae-soo, le protagoniste d’Old Boy qui est prêt à tout pour avoir sa revanche. Surtout, les deux long-métrages sont des claques visuelles : le plan-séquence du couloir de Park Chan-wook en aura marqué plus d’un, tandis que Bong Joon-ho nous plonge pendant plus de deux heures dans une atmosphère aussi crasse que belle. Si ce dernier triomphe au Festival international du film policier de Beaune, Old Boy est lui présent à Cannes et repart avec un Grand Prix amplement mérité.

Quelques Jeunes Turcs coréens (vous suivez ?)

Park Chan Wook reviendra sur la croisette, repartant même avec un Prix du Jury pour Thirst en 2009, et Bong Joon Ho est à la Quinzaine des réalisateurs avec The Host en 2006, à Un Certain Regard avec Mother en 2008 et sera donc pour la première fois en compétition officielle cette année. Un autre cinéaste de la même génération qui aime bien la violence et les anti-héros, Kim Jee Won, est lui aussi passé par la Riviera à deux reprises hors-compétition :en 2005 pour A bittersweet life et en 2008 pour le génial et déjanté western mandchourien Le bon, la brute et le cinglé.

Il ne faudrait cependant pas réduire la nouvelle vague coréenne à des films ultra-violents, ni aux quelques noms cités au-dessus. On retrouve en effet parmi ses rejetons des cinéastes plus intimistes. Hong Sang Soo, qui aime les femmes et l’alcool de soja, est ainsi devenu un habitué de Cannes, et ce dès son deuxième film, Le pouvoir de province Kangwon. En moins de vingt ans, il est ainsi passé quatre fois par la case Un certain regard et quatre autres fois en sélection officielle. Il a d’ailleurs côtoyé Old boy en 2004 avec La femme est l’avenir de l’homme. Deux figures importantes de la nouvelle vague coréenne ont eux aussi été accueillies à Cannes, mais assez tardivement, en tout cas bien après d’autres festivals de renom. Kim Ki Duk, remarqué à la Mostra de Venise pour L’île en 2000, et acclamé pour Printemps, été, automne, hiver… et printemps en 2003, est présent à Un certain regard en 2005 (L’Arc) et 2011 (Arirang), et en compétition officielle en 2007 (Souffle). Im Sang Soo se fait connaître internationalement pour Une femme coréenne à la Mostra de Venise de 2003 et c’est sans surprise qu’il débarquera sur la Croisette les années suivantes. À la Quinzaine des Réalisateurs, en 2005, il traite de l’assassinat du dictateur Park Chung Hee, puis en 2010 et 2012 il concourt pour la Palme avec d’abord The Housemaid, remake d’un classique coréen de 1961, puis avec L’ivresse de l’argent.

Et aujourd’hui ?

La nouvelle vague coréenne a donc mis sur le devant de la scène toute un génération de cinéastes, encore plébiscitée aujourd’hui, à Cannes notamment. Il est peut être trop tôt pour choisir une date précise à laquelle arrêter ce « mouvement », mais à n’en pas douter il sera l’objet de plusieurs études dans un avenir proche. Qui sait, peut-être qu’un film coréen sera enfin palmé à Cannes cette année ? Park Chan-wook fait d’ailleurs partis du jury … De bonne augure ?

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