La rivalité entre les trois grands festivals européens, Berlin, Cannes et Venise, n’a rien de nouveau. A intervalles réguliers, les directeurs de ces rendez-vous incontournables du cinéma mondial cherchent à tirer la couverture médiatique à eux, alors que leurs confrères d’en face viennent de faire une annonce importante. Le cas d’école parfaitement exemplaire s’est produit la semaine dernière, le jeudi 14 décembre au matin, à travers le communiqué sur la présidente du jury du 77ème Festival de Cannes : la réalisatrice et actrice américaine Greta Gerwig. Ceci moins de trois jours après une annonce similaire de la part de la Berlinale qui avait opté pour l’actrice kényane Lupita Nyong’o à ce poste prestigieux. Vive la solidarité entre festivals … !
En dehors de l’emploi du temps pour le moins douteux de cette annonce, on la comprend parfaitement, voire on peut féliciter la présidente du festival Iris Knobloch et son délégué général Thierry Frémaux pour leur choix parfaitement dans l’air du temps. Car Greta Gerwig prendra ses fonctions le mardi 14 mai et jusqu’au samedi 25 mai 2024, c’est-à-dire moins d’un an après avoir dominé le box-office de l’été passé et les conversations entre cinéphiles par le biais de son film phénomène Barbie. Les films sur lesquels son jury aura à délibérer pour trouver le digne successeur de Anatomie d’une chute de Justine Triet, la Palme d’or du jury sous la présidence du réalisateur suédois Ruben Östlund, autrement dit la sélection officielle de la 77ème édition cannoise, seront dévoilés à la mi-avril 2024.
Une égérie du cinéma indépendant américain depuis les années 2010 en tant qu’actrice, Greta Gerwig (* 1983) s’est davantage concentrée sur sa carrière de réalisatrice depuis 2017. Après un premier long-métrage passé inaperçu en 2008, Nights and Weekends coréalisé avec Joe Swanberg, elle s’était imposée avec son premier film en solo : Lady Bird avec Saoirse Ronan et Laurie Metcalf. Deux ans plus tard, en 2019 donc, elle avait de nouveau marqué les esprits grâce à son adaptation du célèbre roman de Louisa May Alcott Les Filles du docteur March. Toutefois, ces deux succès d’estime étaient sans commune mesure avec le raz-de-marée commercial de Barbie, qui a rapporté plus d’un milliard de dollars dans le monde cet été et qui devrait figurer en bonne position sur la liste des nominations aux Oscars au mois de janvier.
La plupart des rôles de Greta Gerwig devant la caméra sont étroitement liés à l’univers du réalisateur et accessoirement son compagnon Noah Baumbach. Elle a collaboré avec lui sur quatre de ses films : Greenberg, Frances Ha, Mistress America et White Noise, présenté en compétition au Festival de Venise en 2022. Au cours des années 2010, on a également pu la voir chez les frères Duplass (Baghead), Ti West (The House of the Devil), Ivan Reitman (Sex Friends), Whit Stillman (Damsels in Distress), Woody Allen (To Rome with Love), Barry Levinson (The Humbling), Mia Hansen-Løve (Eden), Rebecca Miller (Maggie a un plan), Todd Solondz (Le Teckel), Pablo Larrain (Jackie), Mike Mills (20th Century Women) et Wes Anderson (L’Île aux chiens).
Nommée pour l’instant à trois reprises à l’Oscar – pour les scénarios de Lady Bird et Les Filles du docteur March, ainsi que pour la réalisation du premier –, Greta Gerwig a déjà une certaine expérience festivalière puisqu’elle avait siégé au jury de James Schamus à Berlin en 2014. A l’époque, l’Ours d’or était revenu à Black Coal de Diao Yinan. Par ailleurs, elle a quasiment le même âge que sa consœur Lupita Nyong’o, fraîchement annoncée comme présidente à Berlin, qui n’est son aînée que de cinq brefs mois.
A Cannes, le choix de Greta Gerwig établit quelques lignes de tradition qu’on croyait déjà bien installées depuis longtemps. Ainsi, elle n’est que la deuxième réalisatrice nommée à ce poste prestigieux, après Jane Campion en 2014. Ses prédécesseuses Jeanne Moreau et Liv Ullmann étant plus connues pour leur travail de comédienne que pour les films réalisés par elles. Encore plus surprenant, Gerwig n’est que la deuxième femme d’origine américaine, près de soixante ans après l’actrice Olivia De Havilland en 1965. Elle aurait pu être la troisième, si Jodie Foster ne s’était pas désistée en février 2001, quelques jours à peine après avoir été désignée, afin de tourner Panic Room de David Fincher.
Finalement, côté âge, elle fait partie des plus jeunes présidents de jury sur la Croisette, proche des 41 ans de Luc Besson en l’an 2000 et de Quentin Tarantino en 2004 et la deuxième plus jeune après l’actrice italienne Sophia Loren. Celle-ci n’avait que 32 ans quand son jury avait voté la Palme d’or ex æquo à Un homme et une femme de Claude Lelouch et Ces messieurs dames de Pietro Germi en 1966.