Cannes 2021 : Le palmarès commenté par Jean-Jacques

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Un gros coup de gueule

Enfin ! 28 ans après  La leçon de piano de Jane Campion, la Palme d’or a de nouveau été décernée à une femme, à une réalisatrice française, pour un film qui montre la situation dramatique de l’hôpital public français avant même l’arrivée de la pandémie ainsi que les brutalités policières face au mouvement des gilets jaunes, un film qui réunit tout ce que le public attend du cinéma, le rire, l’émotion, l’intelligence, une prestation XXL de la part des acteurs et, surtout, des actrices. L’expérience montrant que certains jurys aiment avant tout se distinguer par des décisions incompréhensibles, on avait vraiment peur que cette Palme aille à une autre réalisatrice française, Julia Ducournau, pour un film, Titane, qui n’est ni drôle, ni émouvant et qui, surtout, pue la bêtise du début jusqu’à la fin. Heureusement, la Palme d’or 2021 a bien été attribuée à Catherine Corsini pour son film La fracture et c’est tout à fait mérité !

Clap de fin pour ce rêve éveillé. Rembobinons : la Palme d’or a malheureusement été attribuée au film puant de bêtise et le film drôle, émouvant et intelligent n’a rien eu du tout, même pas le Prix d’interprétation féminine pour Valeria Bruni Tedeschi, superbe dans son rôle de femme lesbienne larguée par sa compagne. Que voulez vous, un film où l’on rit à plusieurs reprises à gorge déployée n’a pas sa place dans le palmarès cannois, c’est comme cela et le risque est grand que cela ne change jamais. Heureusement, un jury a remonté le niveau des palmarès, le jury de la Queer Palm qui récompense  un film pour son traitement des thématiques LGBTQIAA+  (relations homosexuelles, bisexuelles, ou représentation de personnes transgenres, intersexes) parmi tous les films présentés dans une des  sélections cannoises : cette année, la Queer Palm a été attribuée à … La fracture. Quant à Titane, ce film avait été largement « vendu » avant le festival comme étant un film qui allait choquer par ses scènes appartenant à la panoplie des films gore. En fait, ces scènes sont peu nombreuses et elles ne durent pas très longtemps, pas de quoi en faire des tonnes et très probablement une déception pour tous les amateurs de ce genre. Non, ce qui choque dans ce film c’est son incommensurable bêtise qui en fait le film le plus médiocre, le plus creux, le plus ennuyeux de l’histoire des Palmes d’or.

Le défoulement par le trémoussage

Cette année, la plupart des films présentés dans les sélections cannoises nous ont rappelé que, partout dans le monde, la société, de nombreux couples, les rapports sociaux sont en phase avancée de déliquescence, de décomposition. C’est sans doute la raison d’un phénomène lié à un fort besoin de défoulement et qui a totalement envahi la bonne quarantaine de films vus durant la dizaine de jours que dure le festival : en entrant voir un film, on pouvait être certain qu’à un moment donné, ou à plusieurs moments, un ou plusieurs protagonistes se mettraient à danser, à se trémousser, parfois pour des raisons tout à fait en phase avec l’histoire racontée, par exemple dans un film sur une école de rap au Maroc, souvent sans aucune raison, par exemple un individu seul à un carrefour de routes complètement désertes dans la campagne. On peut voir dans ce phénomène la version ultime de la trop fameuse scène de la boite de nuit, cette scène que, depuis des années, on voyait de plus en plus souvent, cette scène qui casse le rythme d’un film au point que, si elle est trop longue, le spectateur peine à reprendre le fil du récit. Eh bien, à Cannes 2021, plus besoin de boite de nuit pour se trémousser, pas besoin d’une raison quelconque pour danser, pour se dandiner, le défoulement par l’agitation est devenue la norme. On notera également, dans le même ordre d’idée, le retour en force de la cigarette dans les films de Cannes 2021.

Et sinon ?

Oui, la Palme d’or octroyée à Julia Ducournau est particulièrement discutable. Mais quid du reste du palmarès ? Le jury qui s’est couvert de honte avec sa Palme d’or, a-t-il eu par ailleurs des choix plus intelligents  ? Oui, et on se félicite par exemple du Grand Prix du Jury attribué à Un héros du réalisateur iranien Asghar Farhadi, un film qui voit le retour du réalisateur dans son pays et qui nous fait rencontrer un personnage qui est peut-être un héros à moins qu’il s’agisse d’un habile manipulateur. Une récompense attribuée ex æquo avec Compartiment n°6 du finlandais Juho Kuosmanen, un film beaucoup moins convaincant sur un voyage en train vers Mourmansk, la plus grande ville au monde au nord du cercle Arctique.

Même si on a trouvé le film totalement creux, même si on a tendance à ne sauver que la première minute du film, très drôle, et les 10 dernières minutes, où perce enfin une émotion totalement absente jusque là, on ne peut pas être vraiment scandalisé par le Prix de la mise en scène attribué à Annette de Leos Carax, le film étant filmé avec virtuosité et se révélant visuellement splendide. N’ayant pas vu Drive my car de Ryusuke Hamaguchi, le réalisateur japonais des Senses et de Asako, on ne se prononcera pas sur la pertinence du Prix du scénario qui lui a été attribué. On se contentera de préciser que ce film qui dure 2 heures 59 et qui sortira le 18 août semble avoir été unanimement apprécié par toutes celles et tous ceux qui l’ont vu.

De nouveau 2 films ex æquo pour le Prix du Jury, Memoria du réalisateur thaïlandais Apichatpong Weerasethakul et Le genou d’Ahed de l’israélien Nadav Lapid. 2 bonnes surprises en ce qui me concerne : ayant été scandalisé par la Palme d’or attribuée au médiocre Oncle Boonmee en 2010, je m’attendais au pire avec Memoria et ma surprise a été grande de m’apercevoir que les recettes dues à cette récompense avaient sans doute permis à Apichatpong Weerasethakul de prendre des leçons de réalisation, peut-être auprès du réalisateur philippin Lav Diaz. En tout cas, les plans de Memoria sont absolument parfaits et même si, parfois, il ne s’y passe rien, la tension qu’on ressent est permanente, cette tension étant d’autant plus maintenue que le réalisateur a eu l’intelligence de ne pas mettre de musique sur ces plans, une musique qui, quelle qu’elle soit, n’aurait eu comme résultat que d’anéantir la magie qui s’en dégage. Quant à Nadav Lapid, son film L’institutrice m’était resté au travers de la gorge et même si Le genou d’Ahed est loin d’être enthousiasmant du début jusqu’à la fin, on a droit à une dernière demi-heure d’une exceptionnelle férocité envers la politique de l’état d’Israël, tempérée par l’ambigüité de celui qui émet cette charge.

Le Prix d’interprétation féminine attribué à la comédienne norvégienne Renate Reinsve pour sa prestation de jeune femme qui se cherche dans Julie (en 12 chapitres), le film inégal de son compatriote Joachim Trier, pourquoi pas, même si on continue de penser que Valeria Bruni Tedeschi le méritait davantage. Le Prix d’interprétation masculine attribué au comédien américain Caleb Landry Jones pour son interprétation d’un schizophrène dans Nitram, le film australien de Justin Kurzel, pourquoi pas, là aussi, d’autant plus que si la plupart des prestations masculines étaient de bonne qualité, voire de très bonne, aucune ne se détachait vraiment des autres.

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