France, 2019
Réalisateur : Ladj Ly
Scénario : Ladj Ly, Giordano Gederlini, Alexis Manenti
Acteurs : Damien Bonnard, Djebril Didier Zonga, Jeanne Balibar
Distribution : Le Pacte
Durée : 1h42
Genre : Drame
Date de sortie : sans date de sortie
Note : 3,5/5
A chaque film sur la banlieue, ou presque, on évoque La Haine de Matthieu Kassovitz. Comme s’il s’agissait d’une référence indépassable, ou de la seule référence du genre. Il n’a pas fallu bien longtemps pour qu’on commence à entendre des comparaisons entre le film de Ladj Ly, et celui qui aura bientôt 25 ans. Pourtant, s’il s’inscrit dans ses pas, Les Misérables est bien plus qu’un énième « film de banlieue » loué à sortie et vite oublié. Au contraire, gageons qu’il va faire parler de lui, pour son regard perçant sur la situation contemporaine.
Synopsis : Stéphane, tout juste arrivé de Cherbourg, intègre la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil, dans le 93. Il va faire la rencontre de ses nouveaux coéquipiers, Chris et Gwada, deux « Bacqueux » d’expérience. Il découvre rapidement les tensions entre les différents groupes du quartier. Alors qu’ils se trouvent débordés lors d’une interpellation, un drone filme leurs moindres faits et gestes…
A l’origine des Misérables de Ladj Ly, il y a un court-métrage éponyme, avec les mêmes acteurs, sorti en 2017. En effet, le réalisateur vient de réaliser son premier long-métrage, mais est loin d’être débutant : documentariste, notamment pour Clique TV, il a fait parti du collectif Kourtrajmé, groupe pionnier auteur notamment de nombreux clips, et dont sont sortis des cinéastes tels Romain Gavras ou Kim Chapiron.
Cela va de soit, dès le titre : Les Misérables veut faire le portrait d’une frange de la France, comme Victor Hugo en son temps. Pendant une bonne demi-heure, le cinéaste nous emmène à la rencontre de différents groupes : les Gitans, les Frères Musulmans, le « Maire » et son adjoint, les enfants qui jouent … On s’entortille entre les bâtiments de la cité, au bord d’une voiture de la B.A.C., découvrant ce monde en même temps qu’une nouvelle recrue (le talentueux Damien Bonnard).
Un monde à la fois si proche, et si loin pour la majorité des festivaliers qui, comme nous, s’émeuvent de la misère de ses concitoyens le temps d’une séance dans une salle majestueuse, parfois lors d’une séance de gala. Mais après tout, c’est peut-être la grande force de Cannes : mêler ce qu’ont de plus vain les paillettes à des prises de conscience (en tout cas, on le souhaite fort). Les Misérables ne seront peut-être qu’une prise de conscience de plus sur la situation de certains quartiers, mais peut-être que cette goutte d’eau aura l’effet d’une vague. Difficile de le savoir, impossible de le prédire.
Comme dans Do The Right Thing, la majorité du film se déroule le temps d’une journée de canicule, qui ici est située juste après un évènement symbolique, sur lequel il démarre : la victoire de la France à la Coupe du monde. Il est question de la rencontre entre un membre de la Brigade Anti-Criminalité et un milieu qu’il ne connaît pas, mais aussi de ses relations avec des coéquipiers au comportement tout aussi borderline que ceux qu’ils arrêtent – ou plutôt, ceux avec qui ils cohabitent. Pas de manichéisme dans le récit : la situation est bien plus complexe qu’une simple émeute, qu’une simple violence policière, qu’un simple sujet de JT. La violence appelle la violence, c’est la seule morale du film, si en chercher une a du sens.
Et si jamais une légitimité était nécessaire pour traiter de certains sujets au cinéma, on peut dire Ladj Ly a toute la légitimité du monde, puisqu’il connaît ce(ux) qu’il filme. Sa grande force, c’est de nous faire de l’empathie pour à peu près tout ceux qu’on croise – même les plus haïssables, ou presque : au final, tout le monde est à la fois victime et bourreau, pris dans un cercle dont il semble difficile de sortir. Et si l’immersion est aussi réussie qu’un documentaire, on est bien face à un objet cinématographique. Il est passionnant notamment de voir comment le drone est inclus dans la narration elle-même, faisant de ce qui n’est parfois qu’un gadget un élément aussi important que les images qu’il filme – des images urbaines donc.
Le film aurait pu s’arrêter plus tôt, mais en continuant son récit, il lui fait prendre une toute autre dimension. On croit être libéré en ayant franchi, puis résolu, un point de non-retour, mais en s’étalant au-delà d’une fin classique, Ladj Ly hisse son film à la hauteur de grand brulôt. Pas parfait en tout point, mais rudement efficace.