Les confins du monde
France, 2018
Titre original : –
Réalisateur : Guillaume Nicloux
Scénario : Guillaume Nicloux et Jérôme Beaujour
Acteurs : Gaspard Uliel, Guillaume Gouix, G. Depardieu
Distribution : Ad Vitam
Durée : 1h43
Genre : Guerre, Historique, Drame
Date de sortie : Prochainement
4/5
Présenté à la Quinzaine des réalisateurs
La Guerre du Vietnam a été une source d’inspiration conséquente pour de nombreux réalisateurs américains, et pas des moindres. D’ailleurs, le conflit est accompagné dans l’inconscient collectif par d’innombrables images clés, télévisuelles comme cinématographiques. Pour autant, les 20 ans d’intervention principalement nord-américaine sont la continuation de la Guerre d’Indochine, qui elle s’éternisa aussi, pendant près de 10 ans – mais semble être un sujet presque tabou au cinéma. Il faut dire que nous seulement la France y a un rôle peu glorieux, comme dans les autres guerres de décolonisations (lesquelles ne sont souvent appelées « guerre » qu’à demi-mot, aujourd’hui encore), mais de plus le conflit, lointain et seulement composé de volontaires, intéressait assez peu une France qui venait à peine de sortir d’une guerre … Le film de Guillaume Nicloux, lui, ne prend pas des pincettes et nous plonge en plein Indochine, après une offensive éclair japonaise sur le nord du pays, où nous retrouvons un sombre soldat français …
Synopsis : Indochine, 1945. Robert Tassen, jeune militaire français, est le seul survivant d’un massacre au cours duquel son frère a péri sous ses yeux. Aveuglé par la vengeance, Robert s’engage dans une quête solitaire à la recherche des assassins. Mais sa rencontre avec Maï, une jeune Indochinoise, va bouleverser ses certitudes.
Voyage au bout de l’enfer
Les premiers plans donnent le ton du film : un jeune soldat est assis l’air hagard un jeune soldat un militaire japonais abat une femme gisant dans un charnier, au milieu d’innombrables corps devenus écarlates. Dès que le premier a le dos tourné, une forme se meut entre les cadavres, extirpant de ce sinistre décor en rampant dans la boue. Il s’agit même soldat, un certain Robert Tassen, qui ressemble alors plus à un mort qu’à un vivant …
Tout le film semble immergé dans un fin brouillard, plongeant visuellement le spectateur dans le mental torturé du protagoniste. Un esprit tortueux et torturé, mais au contraire de ses compatriote sur place, Robert Tassen ne se ment pas à lui-même en expliquant agir pour la sécurité des dits « indochinois » : si il reste en pleine jungle, c’est mû par une volonté quasiment métaphysique, qui rapidement n’est plus seulement explicable par une volonté de vengeance. Rapprocher Les confins du monde du plus grand film sur la guerre du Vietnam (selon l’auteur de ces lignes tout du moins) peut certes paraître facile, mais sur certains point le film de Nicloux se rapproche inexorablement d’Apocalypse Now. On y retrouve la même fascination d’un homme en ce qu’il déteste, et qu’il finit par devenir : Kurtz dans l’un, les Viet-minh pour l’autre.
Au cœur des ténèbres
Nicloux ne se borne pas à filmer la guerre en tant que telle (qui d’ailleurs ne commence officiellement que l’année suivante), mais l’horreur qui l’entoure, l’angoisse qui la nourrit. Certains festivaliers ont ainsi reproché au film les quelques visions morbides qui surgissent çà et là, comme s’il s’agissait d’actes gores purement gratuit. Au contraire, en n’épargnant pas le spectateur de la vision des corps mutilés que découvrent les soldats, le cinéaste évoque avec d’autant plus de force le traumatisme de ces derniers. Têtes tranchées, cadavres démembrés : le traumatisme vécu par les forces françaises accentue d’autant plus le cercle vicieux qui les pousse lentement au cœur des ténèbres. Niveau interprétation, étonnamment il ne faut pas aller chercher la grande performance chez Gérard Depardieu. Assez peu présent à l’écran, son rôle semble d’ailleurs rajouté à la va-vite : on peut même dire que les scènes dans lesquels son personnage apparaît viennent casser le rythme de croisière du film – en imaginant une croisière sur un bateau qui coule et prend feu. Gaspard Ulliel, par contre, est totalement habité par son personnage, et nous offre une performance incroyable, fascinante de complexité, qu’il agisse en amant jaloux, en soldat au bout du rouleau ou en plein trip d’opium. Le tout capté sur pellicule, le film ayant été tourné en 35mm avec une photographie somptueuse, qui ne vient que renforcer le côté quelque peu hypnotique de cette virée au cœur d’une jungle infernale, à fleur de peaux et d’âmes écorchées …
Conclusion
Telle la guerre chez les soldats qu’il décrit, le film de Guillaume Nicloux s’infuse insidieusement chez le spectateur. Tout du moins faut-il que celui-ci soit prêt à vivre une expérience qui ne le ménage pas, mais le bouscule tout en lui offrant des images souvent sublimes. Surtout, le long-métrage arrive à décrire non pas narrativement, mais physiquement ce qu’a pû être le vécu de ces soldats français – et dans une moindre mesure des indochinois engagés auprès d’eux. Pour paraphraser un certain Francis Ford Coppola, on pourrait se risquer à dire que Les confins du monde n’est pas un film sur la guerre d’Indochine : c’est la guerre d’Indochine.