Cannes 2018 : Entretien avec Ognjen Glavonić (La charge)

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Ognjen Glavonić est né en 1985 à Panečevo, Yougoslavie. Après deux courts-métrages remarqués dans de nombreux festivals, Živan Makes a Punk Festival (2014) et Depth Two (2016), il signe son premier long-métrage de fiction avec La charge, présenté à La Quinzaine des Réalisateurs. En plein pendant le conflit qui oppose des séparatistes du Kosovo et des nationalistes Serbes (1998-1999), un homme, Vlada, est chargé de conduire un camion jusqu’à un camp militaire de Belgrade. Si la guerre n’est pas directement montrée, quasiment abstraite en dehors des colonnes de bombes qui illuminent à quelques reprises un ciel lointain, elle transpire de chaque rencontre que Vlada fait, de chaque paysage qu’il traverse. Un long-métrage dont l’auteur a cherché des financements pendant des années, s’accrochant cette volonté de faire un film éminemment personnel, parlant autant d’un conflit encore tabou que de ses ressentis pendant cette guerre qui ne dit pas son nom …

 Après la séance, vous avez expliqué avoir voulu réaliser un film sur la transmission entre les générations, qui d’une certaine façon, est lié à votre histoire personnelle.

Je savais que ce que j’ai pu ressentir pendant mon enfance – face aux bombes par exemple – devait faire partie du film, même s’il traite d’une autre génération. D’ailleurs, le nom du film, « la charge », n’évoque pas seulement ce qui est dans le camion, mais aussi le poids de la transmission d’une génération à l’autre, ce que la génération précédente ne veut pas ou ne sait pas. Je pense aussi à ce que nos parents ont hérités de leurs parents : si j’ai hérité une idée de mes parents, qu’ont-ils hérité des leurs ? Dans La Charge, je veux parler de deux choses connectées : les histoires qui étaient cachées et celles que j’ai découverte par mes recherches. Bien sûr, en écrivant le film, je pensais aux gens qui étaient proches de moi et ont pu participer à une des guerres (comme mon père). Je pense que tous les gens de ma génération devraient demander à leurs parents « Qu’avez-vous fait dans ces guerres ? ». Cela pose la question de la responsabilité, non pas d’un point de vue collectif, mais d’une manière plus personnelle.

Au délà de la transmission générationnelle, j’interprète le film comme une transmission culturelle, face à un manque de connaissance de ces évènements. Avez-vous déjà projeté le film à un public Serbe ?

Non, c’est vraiment la première projection. Quand on parle de ce genre de sujets, de choses très dures, il peut être facile de devenir sentimental, de vouloir choisir un camp, de vouloir donner des leçons de vie ou de morale. Je pense que montrer cette perte d’empathie entre les nations lors de la dissolution de mon pays est un point important à montrer :  malgré les frontières, je pense que la Yougoslavie existe encore d’un point de vue culturel.

D’ailleurs, un des personnages, Paja, explique à un moment « avec mon groupe, on est maintenant séparés. C’était une autre époque … ». Il s’agit d’une référence à la fragmentation de la Yougoslavie ?

En n’essayant pas d’expliquer le contexte, je veux offrir au spectateur la possibilité d’interpréter certaines choses. Je veux respecter leurs imagination, curiosité et connaissance.

On peut dire pareil pour les paroles de la chanson de fin, qui évoquent quelqu’un qui se retrouve seul, sans aide, mais qui ne perd pas espoir.

J’ai souvent été accusé avec le scénario de traiter de responsabilité collective. Je ne crois pas à un tel concept : la responsabilité est toujours individuelle, de même que la culpabilité. Je ne veux pas donner de leçons de morale, simplement que le spectateur se demande ce qu’il aurait fait dans une pareille situation. Les paroles de la chanson sont pour moi une référence à la nouvelle génération, qui je pense va être capable de parler et de réfléchir à la notion de vérité, ce qui est selon moins d’une grande importance à notre époque.

On voit d’ailleurs beaucoup d’enfants ou d’adolescents dans le film – chacun d’eux semblant d’ailleurs obsédé par le feu.

Je voulais montrer des enfants vivre leurs propres histoires, comme par exemple voler un briquet ou allumer un feu, pour les faire apparaître indépendants de leurs parents, de leurs aînés, alors qu’a lieue la guerre. Quand je repense à cette période, c’était horrible, effrayant, mais on au bout de quelques jours on se disait « ok, la plus grande rébellion que je peux avoir est juste de vivre ma vie ». Je me rappelle avoir eu peur des bombes, mais aussi d’avoir découverte ma passion pour la musique. Je veux donc montrer au spectateur que tous les problèmes qui vont avec la situation – les crimes, la « charge » … – ne peuvent pas définir quelqu’un en tant qu’être humain. Montrer ces histoires parallèles, pas forcément visibles au premier abord, me permet d’appuyer ce côté de transmission d’une génération à l’autre, et de préparer le spectateur à la fin du film.

Même si c’est votre premier long-métrage de fiction, vous avez réalisé deux documentaires : Živan Makes a Punk Festival (2014) et Depth Two (2016), le dernier abordant déjà les mêmes crimes.

Ces documentaires ont vu le jour par hasard car je n’obtenais pas de financement pour La charge, la partie production devenant très compliquée, et que je voulais m’occuper en réalisant, pas en produisant. Le premier, réalisé sans argent, est centré sur un ami, Živan, qui organise un festival punk. Si le tournage a pris quatre jours, le montage a duré un an et demi. Le documentaire traite de « l’enthousiasme dans la folie » : je me reconnais en Živan, qui investit tout ce qu’il a pour créer, pour offrir un événement aux gens de son village, alors qu’au final personne ne viendra ! Cela me faisait penser à ma position de réalisateur, essayent de financer un film qui au final ne sera vu par personne [rires] !

Deux ans plus tard, j’avais réuni énormément d’histoires en lien avec La Charge, qui avait un script minimaliste : un jour, un homme, un camion. J’ai commencé à faire des repérages sur les lieux où les crimes avaient eu lieu, à écouter des témoins. Le premier script venait de retranscriptions de témoignages récoltés pendant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, soit 400h de témoignages, auxquels j’ai ajouté des images que j’ai filmé en une dizaine de jours. A la fin, c’est devenu un film séparé de la fiction, à laquelle je suis revenu une fois le documentaire fini (en un an de montage).

Et votre prochain projet traitera des mêmes crimes ?

Non, de toute façon il n’était déjà pas prévu d’en faire deux films, seulement La Charge. Maintenant, il y a beaucoup d’idées auxquelles j’aimerais me consacrer après 7 ans sur ce sujet. En tout cas, il s’agira d’un plus gros film, surement en lien avec la pratique de Black Metal dans un petit village de Serbie …

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