Un survol du palmarès
Depuis le 54ème film vu dimanche 28 mai en début d’après-midi, le palmarès a été dévoilé, un palmarès qu’on ne peut s’empêcher de commenter quand bien même on n’a vu que 14 des 19 films en compétition, quand bien même on n’a pas vu 2 des films qui y figurent. Pour une fois, le sport local consistant à égratigner systématiquement le jury et à contester ses choix ne sera pas de mise ici, le jury ayant fait à peu près au mieux à partir d’une matière qui, reconnaissons le, était assez loin d’être de toute première qualité : une fois de plus, de nombreux films qui auraient beaucoup gagné à être raccourcis, remarque qui vaut d’ailleurs, malgré toutes leurs qualités, à la Palme d’Or, au Grand Prix du Jury et, surtout, au Prix du Jury.
La Palme d’Or attribuée à The Square du réalisateur suédois Ruben Östlund n’a rien de scandaleuse, même si, à ce film qui, avec pas mal d’humour, fustige la lâcheté de la bourgeoisie bien pensante, on peut préférer, du même réalisateur, Snow Therapy, sorti en salles début 2015 et Play, jamais sorti en salles dans notre pays mais présent dans le coffret DVD sorti fin 2015 par Bac Films, coffret reprenant l’intégrale, à ce moment, de Ruben Östlund (voir ici le test DVD de ce coffret).
Rien de scandaleux non plus concernant le Grand Prix du Jury attribué à 120 battements par minute de Robin Campillo : un beau film, un film fort, le film à qui beaucoup prédisaient la Palme d’Or, avec une première partie consacrée à la naissance d’Act Up en 1989, avec des AG filmées de façon remarquable, les actions militantes, les manifestations, les slogans et une deuxième partie s’introduisant dans l’intimité du couple formé par Nathan et Sean, ce dernier étant de plus en plus rongé par le Sida.
Plus discutable s’avère le Prix du Jury accordé à Faute d’amour du russe Andrey Zvyagintsev, même si ce film a été très apprécié par un grand nombre de spectateurs : une photo très souvent magnifique, mais un film trop long, décevant par rapport aux œuvres précédentes de ce réalisateur, en particulier Leviathan.
Le Prix du scénario à Mise à mort du cerf sacré, film irlandais, tourné à Cincinnati, du réalisateur grec Yórgos Lánthimos, peut être considéré comme un prix de consolation tellement ce film pouvait prétendre à une distinction plus élevée dans la hiérarchie. Le Prix d’interprétation féminine attribué à Diane Kruger pour sa prestation dans In the Fade de Fatih Akin s’apparentait à une évidence tellement le talent de la comédienne se manifeste tout au long de ce film passionnant mais dont la fin peut apparaître très contestable dans le contexte actuel.
N’ayant vu ni Les proies de Sofia Coppola, ni You were never here de Lynne Ramsay, impossible de donner un avis sur les 3 Prix récoltés par ces 2 films. Tout juste peut-on dire que l’on a le droit d’avoir un a priori favorable concernant Lynne Ramsay, tellement son film You need to talk about Kevin tutoyait les sommets du cinéma contemporain.
Survol des autres films en compétition
Quand bien même on ne souhaite pas égratigner le jury pour les choix qu’il a faits et qui ont abouti à un palmarès qu’il est difficile d’attaquer frontalement, on peut regretter l’absence de deux films pour lesquels on aurait aimé voir la réalisatrice et le réalisateur venir recevoir leur récompense : la japonaise Naomi Kawase pour le magnifique Vers la lumière, un des rares films en compétition ne souffrant d’aucune longueur inutile, Palme d’Or évidente pour de nombreux spectateurs, et l’ukrainien/biélorusse Sergei Loznitsa pour Une femme douce, un film qui peut rebuter par sa longueur mais qui, après My Joy et Dans la brume, montre les très grandes qualités de ce réalisateur lorsqu’il se confronte à la fiction.
Parmi les autres films en compétition, il y avait les deux « fameux » films Netflix qui ont tellement fait parler avant même le début du Festival. Franchement, si les films Netflix sont tous du même tonneau, on peut souhaiter bien du plaisir aux abonnés de la plateforme : The Meyerowitz Stories de Noah Baumbach s’apparente à du très mauvais Woody Allen ; Okja, du coréen Bong Joon-ho, aurait pu convaincre par son approche de l’écologie et de la cause animale, tout à fait dans l’air du temps, mais, après un début charmant et réussi, le film s’enfonce dans la lourdeur et le manque de subtilité. Dommage !
La lune de Jupiter du réalisateur hongrois Kornél Mundruczó (Delta, White God) fait partie du haut du panier de cette sélection très inégale. On n’en dira pas autant concernant Good Time de Benny Safdie et Joshua Safdie, un film d’une grande niaiserie destiné aux ados attardés. De même, Happy End de Michael Haneke est une énorme déception, même si la dernière demi-heure relève un peu l’intérêt qu’on peut avoir pour ce film. Il n’y avait rien à attendre de Le jour d’après, le 545 ème film en 10 ans du coréen Hong Sang-soo : eh bien, ce réalisateur s’avère en progrès, son film n’étant pas mauvais mais seulement médiocre ! Quant à Rodin, de Jacques Doillon, on aurait pu porter un véritable jugement si on avait compris, sinon l’intégralité, du moins plus que le quart de la moitié des dialogues. Tout juste peut-on estimer que la représentation de la passion amoureuse entre le sculpteur et Camille Claudel semble bien plate et qu’elle manque de chair, celle de l’artiste au travail prenant largement le dessus. Quant à L’amant double de François Ozon, Wonderstruck de Todd Haynes et Le redoutable de Michel Hazanavicius, pas vus, pas commentés !
Deux gros coups de cœur dans les autres sélections
Dans les autres sélections du Festival, on pouvait trouver un nombre relativement important de films qui, sans bouleverser l’histoire du cinéma, présentaient un intérêt certain. Nous en parlerons au fur et à mesure de leurs sorties. Par contre, il y en a deux qui méritent qu’on s’y attarde dès maintenant. Deux films qu’on doit à trois réalisatrices ! Après la Palme d’Or qu’on aurait attribué à Naomi Kawase, on peut considérer que ce 70ème Festival de Cannes, par ailleurs plutôt moyen, a été en grande partie sauvé par des femmes.
Tout d’abord Ôtez-moi d’un doute, de Carine Tardieu, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, un film qui a toutes les qualités pour faire un gros, un très gros succès : il est drôle, il est émouvant, il traite avec une grande intelligence de sujets très sérieux (la paternité, que faire lorsqu’on apprend que le « père » qui vous a élevé n’est pas votre père biologique ?), la qualité des comédiens est remarquable avec, en particulier, une Cécile de France et un François Damiens exceptionnels. Retenez la date du 6 septembre : c’est le jour de sa sortie en salles.
Autre coup de cœur, cette fois ci à Un Certain Regard, La fiancée du désert, un premier film argentin de Cecilia Atan et Valeria Pivato avec la comédienne chilienne Paulina Garcia. Miracle : ce film a une durée de 78 minutes. Il est plein d’émotion, il est plein de fraîcheur, il est dans la veine de Les acacias, autre film argentin, caméra d’or en 2011. Un très joli petit film, comme disait un voisin dans une queue !