Le 14ème Carrosse d’or vient d’être attribué au cinéaste finlandais Aki Kaurismäki par la SRF, la Société des Réalisateurs de Films. Le trophée, qui honore «un cinéaste choisi pour les qualités novatrices de ses films, pour son audace et son intransigeance dans la mise en scène et la production» est remis dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs.
C’est l’un des plus grands noms du cinéma européen qui est ainsi honoré et contrairement à bien de ses pairs, son palmarès n’est pas si riche en récompenses prestigieuses. Il a surtout obtenu le Grand Prix du jury à Cannes en 2002 pour L’Homme sans passé (« J’adresse avant tout des remerciements à moi-même, ensuite aux jurés« , avait-il alors dit) qui lui a permis d’être cité à l’Oscar du meilleur film étranger et le Prix Louis-Delluc pour Le Havre pour lequel il fut nommé au César du meilleur film français et du meilleur réalisateur. Il a été en compétition à Cannes à deux autres reprises, pour Au loin s’en vont les nuages (1996) et Les Lumières du Faubourg (2006) et a été sélectionné à deux reprises à la Quinzaine, pour Shadows in Paradise (1987) et Tiens ton foulard, Tatiana (1994).
Aki Kaurismaki est un maître de la captation de nos petits et grands bonheurs et malheurs dans un registre parfois léger, parfois bien moins, la magnifique tragédie La Fille aux allumettes restant un chef d’oeuvre de noirceur. Soutenu par des acteurs fétiches tels que les finlandais Kati Outinen, Matti Pellonpää, Kari Väänänen ou Elina Salo, les français André Wilms, Jean-Pierre Léaud et Evelyne Didi mais aussi les cinq générations de la chienne Laika, il a su transcender les réalités sociales difficiles de notre temps avec son regard poétique, tendre et néanmoins parfois caustique. Son œuvre, engagée sur le fond, très travaillée dans la forme (les décors si bien travaillés créant une atmosphère unique, l’image de son éternel complice Timo Salminen), est riche en grands moments de cinéma comme en témoignent les situations, les mouvements, les cadres, les acteurs de Shadows in Paradise, J’ai engagé un tueur, La Vie de bohème ou Juha, entre autres, en plus de ceux précédemment cités.
Ce prix n’est certainement pas un hasard, quelques mois après avoir appris son retour sur un plateau, surtout lorsque l’on précise qu’il évoquera un sujet terriblement d’actualité, la crise des migrants, dans son nouveau projet, Le Réfugié, deuxième volet d’une trilogie basée sur les villes portuaires. Le rôle principal sera tenu par un syrien ou un irakien. «La situation à la ville frontalière de Tornio, au nord-est de la Finlande, a éveillé quelque chose en moi» avait-t-il expliqué à l’hebdomadaire TV-Maailma en décembre dernier. Tournage cette année pour une présentation en 2017, si tout va bien.
Dans un courrier envoyé au réalisateur, la SRF tient ces propos : « Vos histoires sont des fables inspirées qui racontent les oubliés, les laissés pour compte, les excessifs, ceux qui n’ont pas le mode d’emploi. Vous les filmez à chaque fois avec économie, précision et grandeur, sans jamais renoncer à la fiction, à la poésie, voire au burlesque. En mettant en scène ces personnages vous leur donnez une place et vous les sauvez, car ceux qui ne sont pas racontés n’existent pas. Vos films, souvent mélancoliques mais jamais accablants, finissent toujours par trouver un combustible qui éclaire les nuits les plus noires et les penchants les plus sombres. Alcool, amour, amitié, gratuité ou hasard sauvent parfois vos personnages de l’ennui, du désespoir ou de la mort comme vos films sauvent les spectateurs de trop de normalité. Pour cela, pour la langueur et l’insolence de vos films, pour leur salutaire et tranquille subversion, nous voulons vous mettre à l’honneur, au moment même où se tient le plus grand événement cinéphile au monde. »
Le Conseil d’Administration de la SRF à l’origine de ce choix est formé de Luc Battiston, Stéphane Brizé, Thomas Cailley, Laurent Cantet, Malik Chibane, Catherine Corsini, François Farellacci, Léa Fehner, Pascale Ferran, Denis Gheerbrant, Fabienne Godet, Stéphanie Kalfon, Cédric Klapisch, Héléna Klotz, Thomas Lilti, Paul Marques Duarte, Anna Novion, Katell Quillévéré, Christophe Ruggia, Pierre Salvadori, Céline Sciamma et Jan Sitta.
Le Carrosse d’or lui sera remis le jeudi 13 mai 2015 le soir de l’ouverture de la 48ème édition de cette section parallèle avant la projection du film d’ouverture qui n’a pas encore été annoncé. Dans l’après-midi, il devrait présenter l’un de ses films suivi d’un dialogue. Aki Kaurismaki n’est que le troisième européen (non français) à recevoir ce prix, voir précédents lauréats en fin d’article.
Les précédents lauréats du Carrosse d’Or
2002 : Jacques Rozier (France)
2003 : Clint Eastwood (Etats-Unis)
2004 : Nanni Moretti (Italie)
2005 : Ousmane Sembene (Sénégal)
2006 : David Cronenberg (Canada)
2007 : Alain Cavalier (France)
2008 : Jim Jarmusch (Etats-Unis)
2009 : Naomi Kawase (Japon)
2010 : Agnès Varda (France)
2011 : Jafar Panahi (Iran)
2012 : Nuri Bilge Ceylan (Turquie)
2013 : Jane Campion (Nouvelle-Zélande)
2014 : Alain Resnais (France) (posthume)
2015 : Jia Zhangke (Taïwan)
Cette annonce arrive quelques jours après la révélation de l’affiche officielle du Festival de Cannes ainsi que de celle de la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs à nouveau signée Michel Welfringer sur une photo de Cécile Burban. Édouard Waintrop, le délégué général, a publié ce mystérieux communiqué à cette occasion :
«Il était une fois une rencontre. Une femme, un homme… Leur souvenir s’est presque effacé. Il reste une image… déchirée, à moitié gommée. Le cinéma n’est pas éternel mais survit parfois à l’oubli. Et il est possible de restaurer une image. Qu’y aura-t-il alors entre ces deux personnages, sortis peut être d’une comédie anglaise ou italienne, ou d’un film d’Éric Rohmer ? Face à une telle affiche, l’imagination remplit les trous de la représentation, comme au cinéma.»
Un de mes réalisateurs préférés reçoit le 14ème Carrosse d’or : heureux !