Cannes 2014 : Mr Turner

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mr turner afficheMr Turner

Grande Bretagne, 2014
Titre original : Mr Turner
Réalisateur : Mike Leigh
Scénario : Mike Leigh
Acteurs : Timothy Spall, Dorothy Atkinson, Marion Bailey
Distribution : The Jokers / Le Pacte
Durée : 2h29
Genre : Biopic, drame
Date de sortie : 10 décembre 2014

Note : 4/5

Avec ce nouveau long-métrage auquel il pensait depuis 25 ans, Mike Leigh revient sur les dernières années de la vie du peintre anglais J.W. Turner pour ce qui est le deuxième biopic de sa carrière après Topsy Turvy sur les duettistes de l’opérette Gilbert & Sullivan.

Synopsis : Mr. Turner évoque les dernières années de l’existence du peintre britannique, J.M.W Turner (1775-1851). Artiste reconnu, membre apprécié quoique dissipé de la Royal Academy of Arts, il vit entouré de son père qui est aussi son assistant, et de sa dévouée gouvernante. Il fréquente l’aristocratie, visite les bordels et nourrit son inspiration par ses nombreux voyages. La renommée dont il jouit ne lui épargne pas toutefois les éventuelles railleries du public ou les sarcasmes de l’establishment. A la mort de son père, profondément affecté, Turner s’isole. Sa vie change cependant quand il rencontre Mrs Booth, propriétaire d’une pension de famille en bord de mer.

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Un tableau de maître

Le résultat de cette longue réflexion est un double portrait, celui d’un artiste à cheval sur les XVIIIème et XIXème siècles qui donnait de la vie à ses aquarelles maritimes et celui d’un cinéaste d’aujourd’hui qui transforme ses plans en tableaux dignes du maître auquel il rend hommage. Ils prennent vie devant sa caméra et ce dès ce premier plan qui semble n’être dans un premier temps qu’une captation d’une œuvre picturale avant de se révéler être un plan de fiction dirigé avec une grande rigueur impressionniste/impressionnante. Mike Leigh nous fait vivre un joli exemple de syndrome de Stendhal. Grâce au soin apporté à sa mise en scène, soutenue par la riche photo de Dick Pope, le spectateur entre ainsi dans les toiles de Turner et elles-même prennent vie devant nos yeux. Le film est un éloge graphique plus que verbal à ce grand peintre illustrant ainsi son ambition de saisir quelque chose de la réalité de son époque, sans pour autant être illustratif. Un même compliment peut être adressé à cette biographie filmée qui évite adroitement l’académisme que l’on pouvait craindre d’un tel sujet.

Lorsque Mike Leigh a débarqué à cannes en 1993, son travail était moins connu. De lui on connaissait à peine Life is sweet qui n’était que son cinquième long-métrage de cinéma. Sa carrière était surtout télévisuelle et le DVD qui réunit cette œuvre télévisuelle et édité par Doriane Films en France rappelle que ce pan de sa carrière n’est pas moins une grande œuvre que son travail pour le cinéma. Depuis son prix de la mise en scène pour Naked, doublé par un prix d’interprétation masculine (pour David Thewlis), il a bâti une œuvre marquante de l’Histoire du cinéma . Ses films sont comme autant de tableaux qui pourraient orner les murs d’une galerie et accompagner les créations de Turner. Ses toiles de cinéma se ressemblent sans être les mêmes, et resteront autant d’œuvres d’un auteur avec son style et ses obsessions.

 

Cannes 2014: Mr Turner

 

Le double parfait d’un cinéaste

Les grognements de Timothy Spall, entre mutisme pudique et misanthropie involontaire, dans le rôle-titre ne sont pas sans évoquer ceux de Clint Eastwood dans Gran Turino. L’artiste refermé sur lui-même sait se montrer généreux et sensible, comme lorsqu’il défend le travail d’un autre artiste, Claude Lorrain, victime du bon mot d’un critique amateur dans un salon mondain. Son humanité se révèle encore dans ses échanges avec son père (Paul Jesson), ancien barbier devenu son assistant dévoué. Avec les femmes de sa vie, il est plus… maladroit.

Le comédien retrouve le metteur en scène qui lui a offert ses plus beaux rôles dont celui du photographe qui explose de colère dans sa détestation des Secrets et Mensonges de la Palme d’or de son auteur. Il restera comme l’un des interprètes emblématiques de l’édition du Festival de Cannes 2014 avec sa belle prestation, notamment lorsqu’il chante Dido’s lament de Henry Purcell. Sa voix éraillée évoque celle de Tom Waits, peut-être un peu plus douce et touchante malgré le manque de justesse de son filet de voix. La sensibilité contenue de Turner, double à peine voilé de Leigh, passe aussi grâce à son jeu exempt d’artifice verbal.

La personnalité complexe de Turner s’éclaire aussi par la belle galerie de personnages féminins qui accompagnaient sa vie. Personnage d’abord presque invisible, l’aubergiste radieuse Mrs Booth (Marion Bailey) s’éclaire lorsque leur rencontre inattendue se vire à la passion. Leur histoire d’amour est dépeinte comme une jolie évidence dans une série de scènes touchantes et pudiques. Le dernier plan où elle apparaît est émouvant par ce que l’on peut imaginer dans le léger sourire sur son visage. Mais c’est surtout Dorothy Atkinson qui porte l’émotion la plus forte de ce film dans le rôle d’Hannah, domestique fidèle et effacée, qui semble porter le poids du monde sur ses épaules, et dont la peau de femme délaissée par l’homme de sa vie se craque comme une croûte à l’agonie. Ce personnage taiseux, presque muet, ne sait pas exprimer sa douleur et elle s’étiole comme une toile oubliée dans un recoin, face à l’oubli grandissant de son compagnon.

Les deux femmes n’ont pas le même rapport au monde et toutes deux sont à leur manière très émouvantes. On retrouve d’autres actrices familières dans la filmographie de Mike Leigh : Lesley Manville (bouleversante dans Another year) ici en scientifique à la pointe de la modernité – beau portrait féministe – ainsi que Ruth Sheen, mère de ses deux filles et rejetée avec indifférence par Turner.

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Résumé

Autant un autoportrait de Mike leigh que ce celui de ce peintre du XIXème siècle, Mr Turner est une nouvelle belle collaboration entre un auteur en pleine maîtrise de son art et sa fidèle troupe de comédiens, à commencer par Timothy Spall dans le rôle-titre, justement primé par un prix d’interprétation masculine. Le film devrait sortir en salles au mois de décembre prochain.

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