Mommy
Canada, 2014
Titre original : –
Réalisateur : Xavier Dolan
Scénario : Xavier Dolan
Acteurs : Antoine-Olivier Pilon, Anne Dorval, Suzanne Clément
Distribution : MK2 / Diaphana Distribution
Durée : 2h18
Genre : Drame
Date de sortie : 8 octobre 2014
Note : 4,5/5
Avec son quatrième film présenté à Cannes après J’ai tué ma mère en 2009 à la Quinzaine des Réalisateurs puis Les Amours imaginaires et Laurence Anyways en 2010 et 2011 à Un Certain Regard, Xavier Dolan faisait ses débuts dans la compétition officielle où il n’a obtenu que le modeste prix du jury ex-aequo avec le vétéran de la sélection Jean-Luc Godard avec Adieu au langage (critique). Il n’en a pas moins marqué les esprits avec cette œuvre qui devrait aisément être le plus grand succès de sa carrière, le premier en réalité…
Synopsis : Diane Després surnommée ‘Die’, veuve depuis trois ans, peine à gérer le TDAH de son fils Steve, en clair son ‘trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité’. Capable de violence verbale, physique, psychologique malgré l’affection réciproque entre lui et sa mère, il est viré de l’établissement où il était pensionnaire, la directrice de l’établissement ne peut plus tolérer ses accès de colère dangereuse pour ses camarades. La rencontre avec leur voisine Kyla qui bégaie autant que Die s’exprime avec un débit de mitraillette va apporter douceur et espoir à leur quotidien agité, mais le carton qui ouvre le film et évoque une loi futuriste (le sinistre formulaire S14) laisse planer une épée de Damoclès sur leur avenir qui promettait pourtant d’être plus solaire.
Une œuvre viscéralement sentimentale et lyrique
Mommy est le cinquième long-métrage du prodige québécois Xavier Dolan âgé de seulement 25 ans. Hystérie, musique et mise en scène pop, mère étouffante, travelling sur des dos, le cinéma de Dolan est bien là mais il acquiert (enfin) une autre dimension qui dépasse son ambition trop évidente qui lui joue des tours dans la perception de son cinéma. Il signe avec ce film une œuvre viscéralement sentimentale et lyrique qui nous plonge dans une relation tumultueuse entre une mère et son fils doublée d’une histoire d’amitié tout aussi fusionnelle. Malgré les tics de réalisation, l’émotion à fleur de peau et l’énergie de sa mise en scène, enfin maîtrisée, transcendent ce que l’on aurait pu qualifier d’afféteries et qui deviennent (enfin encore) du style, du vrai. Il prend au piège les spectateurs complices et les emporte avec des sentiments humains profonds comme le sens de l’abandon, la solitude, la question de la loyauté au sein d’une unité familiale…
Pour ce voyage unique dans l’esprit tourmenté de trois êtres hyper sensibles (les chats ne font pas des chiens), il est accompagné par un impressionnant trio d’acteurs. Anne Dorval (la mère dans J’ai tué ma mère) est cette mère courage au vocabulaire riche et imagé qui craque parfois malgré ses sentiments que l’on devine profonds pour son fils et Suzanne Clément (la compagne de Melvil Poupaud dans Laurence Anyways) bouleverse en nouvelle amie meurtrie par un traumatisme dont elle ne peut pas parler. La pudeur sur son passé tragique n’est évoqué que par une photo qui convoque l’absence. Elle n’en parle pas et le réalisateur n’en parle pas à sa place, une distance d’une belle noblesse. L’une parle trop et trop vite alors que l’autre parle très lentement, l’une étouffe et protège son fils alors que l’autre est comme extérieure à sa propre famille (un mari, une fille dont on ne saura rien) qui n’est pas autorisée à rejoindre ce trio exclusif. Les mères, plus grandes que nature ou effacées, sont un élément important du cinéma de Dolan et ce film n’est pas une exception, loin de là avec hurlements hystériques, éléments de narration que l’on sait ou devine autobiographique, l’auteur ayant été placé en pension par sa mère.
Une créativité précoce enfin canalisée
Vu dans un petit rôle dans Laurence Anyways mais surtout en souffre-douleur dans le clip de Xavier Dolan pour College Boy du groupe Indochine, Antoine-Olivier Pilon crève l’écran et le fait exploser au sens littéral par son interprétation électrique d’un ado dénué de toute retenue sociale. Il est un double à peine voilé du réalisateur qui refuse lui aussi de se laisser brider dans sa créativité précoce et les critiques qui lui ont reproché (souvent à juste titre) un style trop flamboyant qui a nui à la perception sur son cinéma mais enfin il atteint une vraie justesse de ton, la bonne distance dans l’intensité qu’il influe à chaque fois.
Capable d’oser la science-fiction dans son histoire réaliste mais pas naturaliste, Xavier Dolan s’autorise un glissement vers l’anticipation avec une loi imaginaire venue d’un futur proche (2015), liberticide et dangereuse qui autorise l’abandon des enfants difficiles. Dolan en était un lui-même et parle beaucoup de lui. Il ne cesse de chercher sa propre voie à ses risques et périls, ne veut pas se laisser enfermer dans les envies des autres et si Steve n’est pas capable aussi facilement d’expliciter ses envies, Dolan les soutient malgré les erreurs qu’il peut commettre, lui-même l’a fait dans son cinéma. Il en résulte une œuvre disparate, énervante, éminemment singulière qui ne demandait qu’à trouver sa justesse et ici il frappe au cœur et signe son œuvre la plus émouvante même s’il ne devrait pas manquer de diviser à nouveau. Ceux qui seront émus le seront profondément, grâce aux situations mélodramatiques assumées mais aussi un humour dans les dialogues et l’envie de vie de ses créatures.
Adieu à l’absence de langage
Le vocabulaire riche et imagé des québécois en général et de Xavier Dolan en particulier est chantant comme on l’attend de cette langue mais exagéré par son esprit inventif, ne citons que ‘on est en direction’ (synonyme de ‘on arrive’), putabernac, criss, t’es fucking rentré dans la pièce, mon fils a de l’entregent et autres morceaux de choix. Les dialogues sont forts lorsqu’ils expriment l’incommunicabilité de celle qui ne parle que trop peu ou de celle qui parle trop allant parfois jusqu’à commenter sa façon de parler ou celle des autres. ‘Les sceptiques seront confondus’ assène la mère à la directrice de l’établissement où est retenu le fils, comme si cette phrase définitive avait valeur de plaidoirie pour affirmer qu’il vaut mieux que l’impression qu’il donne. Les troubles d’expression de Kayla cimente d’ailleurs leur belle relation qui lui permettra de dire adieu à l’absence de langage. Le jeu autour du langage est un autre élément fort du cinéma de Dolan et l’on peut ressentir comme des éléments de dialogues l’emploi de chansons populaires comme celles de ‘notre trésor national’ Céline Dion (On ne change pas), d’Oasis (Wonderwall) ou de Counting Crows, Colorblind accompagnant une séquence marquante où un caddy de supermarché symbolise l’absence du père. Ce n’est pas d’une grande subtilité mais Dolan se sort étonnamment de cette idée ô combien casse-gueule…
Un cadre qui emprisonne ou libère
La mise en scène est riche en belles trouvailles avec un écran réduit à un cadre carré lorsque leur vie est fermée et qui s’ouvre en grand large lorsque le bonheur est à portée de main, pour de vrai ou pas avec une séquence qui rappellera les toutes dernières minutes du dernier épisode de la série Six Feet Under… Cette technique de format dit de 1:1 permet de saisir la profondeur de ces trois visages et de capter leurs sentiments qu’ils n’expriment guère oralement malgré les cris et les expressions sonores avec excès de décibels qui donnent l’impression qu’ils se révèlent. Ils sont emprisonnés dans ce cadre réduit qui les emprisonne, à l’image de Kayla qui se heurte à la fenêtre de sa maison lorsque de chez elle, elle suit du regard ses voisins qu’elle ne connaît pas encore et qui l’intriguent. Les modifications de format sont plus justifiées ici que dans son thriller Tom à la ferme où elles étaient plus artificielles en accompagnant le glissement vers la peur. Le travail du directeur de la photographie Andre Turpin ne se limite pas à ce format mais aussi à un soin formel apporté aux couleurs aussi vives que les costumes bigarrés de Diane.
Dans le rôle d’un voisin avocat attiré par Die, on retrouve Patrick Huard, le père des 533 enfants de Starbuck (critique), qui n’a jamais décroché de Eye of the Tiger depuis 82 (la chanson de Rocky III), ce qui lui fait un poids commun avec le père culturiste de Bodybuilder (critique).
Résumé
Mommy est porté par un souffle de cinéma bien rare et heureusement plus canalisé que les précédentes œuvres de Xavier Dolan qui se montre ici plus mûr dans son approche du cinéma sans renier la sincérité de son engagement artistique malmené parfois par des excès hystériques antérieurs.