Blancanieves
Espagne : 2012
Titre original : –
Réalisateur : Pablo Berger
Scénario : Pablo Berger
Acteurs : Maribel Verdú, Daniel Giménez Cacho, Angelo Molina,Macarena García, Sofía Oria, Pere Ponce
Distribution : Rezo Films
Durée : 1h44
Genre : Drame
Date de sortie : 23 janvier 2013
Globale : [rating:4/5][five-star-rating]
Pablo Berger s’engage dans le pari audacieux d’adapter le célébrissime et atemporel conte des frères Grimm, en noir et blanc, muet et format 4/3, ce qui ne manque pas d’attiser la curiosité du spectateur errant. Plus proche du parcours initiatique teinté de poésie que du conte moralisateur, Blancanieves se révèle être un petit bijou du grand écran à découvrir d’urgence.
Synopsis : Dans les années 1920 à Séville, la jeune et belle Carmen (Blancanieves) vit sous l’emprise d’une belle-mère cruelle et dépourvue de scrupules, qui lui fait accomplir toutes les tâches ingrates et domestiques. Soumise à l’interdiction de voir son père, grand torero déchu, reclus dans une pièce de la villa et paralytique depuis la fin sanglante de sa dernière corrida, elle brave finalement l’autorité de Encarna pour le rencontrer. La relation fusionnelle qui naît entre eux suscite la colère de la belle-mère qui n’aura de cesse de vouloir la mort de la jeune fille.
Une poésie visuelle entre puissance et élégance
Le film se révèle d’emblée comme une invitation au spectacle décliné sous toutes ses formes, de la performance de torero du père de Carmen, Antonio Villalta, au flamenco endiablé de sa mère défunte qui parcourt ses veines, le tout lié par la musique solaire d’Alfonso de Vilallonga, donnant vie à l’image tout au long du film. Dès lors, par l’énergie et la chaleur dégagées par les premières scènes, on comprend la démarche de Pablo Berger de bannir la parole de son œuvre, tant l’éloquence de l’image et de la musique hante longtemps l’esprit.
Spectacle des sens donc, qui marie avec évidence une partition enflammée à une subtile mise en scène. On peut toutefois regretter que certaines phases musicales ne sont que des illustrations faciles de l’expérience visuelle – la clochette du fauteuil de Antonio ou le tintement des cloches -, rappelant les mauvaises habitudes de certaines sonorisations tardives de films muets. Dommage également que quelques effets de surimpression frôlant le kitsch viennent ternir des scènes d’une grande beauté, comme si l’absence de mots se devait d’être compensée par une abondance visuelle explicative et superflue.
Cependant et de manière générale, Pablo Berger ne cède pas à la facilité d’un formalisme outrancier et gratuit, mais choisit au contraire d’explorer avec finesse les possibilités offertes par son parti pris esthétique. Au spectateur d’imaginer les couleurs vives du Sud de l’Espagne, la chaleur palpable des arènes, les costumes bigarrés des toreros bientôt couverts de giclées écarlates, les rayons du soleil irradiant les rues de Séville. Le cinéaste nous rappelle que l’imagination, si elle est nécessaire à l’atemporalité du conte, permet également d’apposer des couleurs et une infinité de nuances là où l’œil ne perçoit que du noir et du blanc. Matériau brut soumis aux interprétations visuelles du spectateur, Blancanieves s’aborde donc l’esprit en éveil et l’œil captivé.
Entrez dans la danse
Le choix du conte comme trame narrative relève davantage du prétexte à l’introduction de personnages archétypaux au charisme imposant, tiraillés entre la douceur des sentiments et la passion des émotions. Parfois revisitée vis-à-vis du conte original – notamment par cette idée insolite que Blancanieves serait le septième nain de la troupe ! -, la narration se met toujours au service des personnages, et non le contraire, ce qui contribue largement à moderniser l’ensemble.
La mise en place de la structure traditionnelle du conte est retardée et c’est seulement à l’arrivée de Carmen dans l’immense demeure froide et figée de Encarna que les codes du genre s’installent. Ambitieuse et cruelle à souhait, la marâtre incarne avec crédibilité et sans naïveté un avatar plus moderne du personnage du conte. Justement, venons-en au jeu des acteurs : surpassant les difficultés d’interprétation propres au muet, ceux-ci se situent sur la frontière fragile entre expressivité et subtilité, ne sombrant pas dans des mimiques théâtrales inconvenues. Ainsi, si les personnages incarnent les archétypes du conte, le cinéaste parvient à nous faire comprendre qu’ils sont aussi faits de chair, de sang et de passion. Soulignant la douceur des liens qui unissent les personnages, les gros plans s’attardent souvent sur les visages pour en détailler les émotions enfouies.
Quant au récit, loin de reposer sur un mécanisme forcé, il accompagne dans un rythme naturel les étapes de la vie de Carmen, liées entre elles par des ellipses superbement amenées – notamment celle qui la voit passer de l’enfant à la jeune fille, son ombre tournoyant dans les draps étendus en imitant les mouvements des toreros. Dotées d’une rare puissance mais s’opposant sur le fond dans un contraste saisissant, les deux scènes finales sont pourtant liées par le resserrement progressif de la caméra sur le visage de Blancanieves, jusqu’à la toute dernière image qui touche au sublime : de l’apothéose magistrale et nerveuse dans une arène immense au cercueil de verre souillé par le deuil et les regrets, Pablo Berger nous emmène dans les méandres douloureux de l’intime et du spectaculaire.
Résumé
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