Critique : Bienvenue à Suburbicon

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Bienvenue à Suburbicon

États-Unis, 2017
Titre original : Suburbicon
Réalisateur : George Clooney
Scénario : Joel Coen, Ethan Coen, George Clooney et Grant Heslov
Acteurs : Matt Damon, Julianne Moore, Noah Jupe, Oscar Isaac
Distribution : Metropolitan Filmexport
Durée : 1h44
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 6 décembre 2017

Note : 3,5/5

Tout le monde, ou presque, aime George Clooney : la communauté hollywoodienne lui remet en moyenne un prix honorifique par an et ce qui manquait à ses derniers films en termes de poigne commerciale, il a su le compenser amplement en se conformant au roman-photo de la vie conjugale parfaite, car complète. Tout cela ne nous dit cependant pas encore grand-chose sur ses capacités artistiques, puisque la question que l’on devrait se poser – surtout dans le cadre d’une critique de l’un de ses films – est s’il est un bon, voire un grand réalisateur. Jusqu’à présent, le constat était fortement mitigé, puisque dans sa filmographie derrière la caméra les morceaux de bravoure côtoyaient les bonnes intentions sans verve, tout comme les sujets soi-disant importants y alternaient avec des intrigues gentiment inoffensives. Bienvenue à Suburbicon ne change guère la donne : il existe en effet quelque chose de profondément bancal dans ce film, qui se veut à la fois un pamphlet social au ton cinglant et une farce sur des criminels crétins. Bien que la mise en scène ne réussisse jamais tout à fait à réconcilier ces deux ambitions en apparence contradictoires, le sixième film de George Clooney réalisateur, et par ailleurs le premier dans lequel il n’interprète pas un rôle au moins mineur, compte parmi ses œuvres les plus engageantes, quitte à ce que cette ferveur soit suscitée par un propos aussi manichéen que l’état d’esprit dominant des années 1950.

Synopsis : Depuis sa création après la guerre, rien ne semble pouvoir perturber le quotidien idyllique dans la ville modèle de Suburbicon. Au cours de l’été 1959, ses habitants, sans exception respectables et engagés dans la prospérité de leur communauté, sont toutefois mis à rude épreuve en raison de l’arrivée d’une famille afro-américaine. Alors que les passions racistes se déchaînent, une affaire beaucoup plus grave se trame en secret dans le pavillon voisin. Le jeune Nicky Lodge, ses parents Gardner et Margaret, ainsi que sa tante Rose, sont pris en otage par deux cambrioleurs, qui finissent par tuer la mère. Inconsolable après ce crime atroce, Nicky ne tarde pas à être interpellé par le comportement étrange de son père et de sa tante, venue s’installer avec eux.

America the beautiful

Contrairement à bon nombre de ses compatriotes, George Clooney est suffisamment intelligent pour connaître et reconnaître les failles de la civilisation américaine. Au début de Bienvenue à Suburbicon, il s’en donne ainsi à cœur joie de moquer l’aspect publicitaire et forcément factice de la vie idéalisée dans ces banlieues sorties de l’éprouvette d’architectes coupés de toute notion de réalité sociale. Sur le papier et dans la brochure de présentation initiale, rien n’est laissé au hasard pour créer l’illusion d’une communauté parfaitement harmonieuse. Sauf que les personnages qui peuplent ce paradis synthétique ne sont certainement pas des saints. Bien au contraire, puisque la narration démontre avec une noirceur certaine à quel point ils sont incapables d’accomplir des tâches sociales aussi essentielles que de faire le deuil, de fonder une famille sur autre chose que des rapports de force et, la cerise indigeste sur le gâteau, d’accepter la différence dans ce qu’elle a de moins menaçant. L’action annexe autour de la famille Meyers, de petits-bourgeois entièrement conformes aux prérequis d’intégration si ce n’était pour la couleur de leur peau, s’inscrit alors sans peine dans la tradition d’indignation du cinéma hollywoodien. Avec tout ce que cela implique en termes de nostalgie un peu malsaine, puisque les frictions raciales ne sont absolument pas apaisées aux États-Unis de nos jours. En bon militant un brin populiste ou en tout cas attaché à une vulgarisation simpliste de la problématique, Clooney opte pour une description quasiment caricaturale des faits, inspirés de l’ostracisme réel d’une famille à Levittown en 1957. Il se prive par contre largement de complaisance lorsqu’il s’agit de montrer l’impact à échelle individuelle, par exemple sur le compagnon de jeu de Nicky, de ces événements qui avaient alors tout d’une pandémie sociale nationale.

Les dessous du paradis

Or, Bienvenue à Suburbicon ne se contente pas d’ausculter l’âme américaine et tout ce qu’elle cache depuis plus d’un demi-siècle dans son étroitesse d’esprit. Son argument de vente repose de même sur un scénario vieux de vingt ans de Joel Coen et Ethan Coen, que les frères n’ont sans doute pas voulu mettre eux-mêmes en chantier à l’époque, afin d’éviter tout effet de répétition avec leur chef-d’œuvre Fargo. Sans prétendre que George Clooney ait trahi la plume caustique des réalisateurs qui l’ont dirigé dans pas moins de quatre films, ni lui reprocher de manquer de souffle narratif pour mener à bien cette course folle et meurtrière, il nous paraît néanmoins difficile d’apprécier ce volet du récit autant que sa parenthèse sociale. L’astuce la plus probante pour allier les deux niveaux de lecture est probablement de privilégier le point de vue de l’enfant, qui découvre deux formes de violence sourde, chez lui et dans le monde extérieur, à l’issue équitablement néfaste. Là aussi, le trait est parfois forcé, par exemple dans ce motif du trauma enfantin par excellence et oh si conventionnel du gamin qui se recroqueville sous son lit en appréhendant l’arrivée du monstre. Mais la perspective de Nicky, tour à tour horrifié et forcé de grandir prématurément, permet en même temps d’atténuer les traits les plus extrêmes des personnages adultes, les parents indignes interprétés avec un mélange saisissant de bêtise et d’égoïsme par Matt Damon et Julianne Moore en tête. Enfin, l’aspect technique du film est des plus soignés, grâce à la musique de Alexandre Desplat, qui fait passer avec élégance même les références les plus plates au style d’Alfred Hitchcock, ainsi qu’au montage vigoureux de Stephen Mirrione et à la photographie doucement inquiétante de Robert Elswit.

Conclusion

L’Amérique fière et patriote n’aime pas trop qu’on lui tend la glace. C’est donc sans surprise que Bienvenue à Suburbicon n’a guère déplacé les foules parmi les spectateurs américains. En dépit de son sujet typiquement américain, souhaitons-lui un sort plus favorable sur le marché international. Car même si George Clooney ne nous a toujours pas convaincus complètement de sa maestria de metteur en scène de cinéma, il signe ici un film fascinant, un peu inégal certes, mais qui sait autant divertir par les frasques sanguinaires de ses personnages les plus mal intentionnés qu’il invite à sa façon un peu schématique à la réflexion sur des questions sociales hélas toujours de première importance.

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