Biarritz 2020 : Selva tragica

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Selva tragica

Mexique, France, Colombie, 2020

Tire original : Selva tragica

Réalisatrice : Yulene Olaizola

Scénario : Yulene Olaizola & Ruben Imaz

Acteurs : Indira Andrewin, Gilberto Barraza, Mariano Tun Xool et Eligio Melendez

Distributeur : –

Genre : Aventure

Durée : 1h37

Date de sortie : –

3/5

Le deuxième film de notre programme personnel de couverture du Festival de Biarritz cette année est également le deuxième dans lequel la jungle joue un rôle prépondérant. Lors de nos séjours précédents au Pays Basque, nous nous étions certes déjà perdus de temps en temps dans ce labyrinthe végétal qui couvre une bonne partie de la surface des pays latino-américains, notamment à l’occasion du documentaire Homo Botanicus de Guillermo Quintero, découvert l’année dernière. Mais ce motif redondant – dû au hasard de nos envies et de nos disponibilités, admettons-le – est à deux doigts de nous faire croire que l’une des préoccupations majeures de la civilisation, depuis le Mexique jusqu’au Venezuela, soit le lien conflictuel entre l’homme et la nature. La difficile parenthèse sanitaire mise à part, quoi de plus actuel après tout que ce mouvement parallèle entièrement schizophrène, entre le souhait d’un retour à une vie plus respectueuse envers la flore et la faune sauvages d’un côté et leur pillage éhonté qui dure depuis des siècles et qui n’est hélas pas près de s’arrêter de l’autre ?

Contrairement à La Fortaleza de Jorge Thielen Armand, qui se servait de la forêt sauvage comme reflet extériorisé de la bestialité intérieure de la figure du père, la réalisatrice Yulene Olaizola emprunte une voie sensiblement moins métaphorique dans son quatrième long-métrage. Car Selva tragica peut d’abord être lu comme un simple film d’aventure, où différents groupes de personnages finissent par s’entretuer pour des raisons diverses et variées. Ce n’est que progressivement que sa dimension mythique devient apparente, dans un jeu de séduction féminine passablement vénéneux duquel seuls les hommes les moins en proie aux états d’âme libidineux sortiront indemnes.

© 2020 Malacosa Cine / Varios Lobos / Manny Films Tous droits réservés

Synopsis : En 1920, dans le territoire reculé entre le Mexique et le Honduras britannique, la jeune Agnes s’enfuit de la plantation de l’Anglais Cacique. Poursuivie sans relâche par ce dernier, elle s’en sort in extremis alors que ses compagnons de fugue sont assassinés. Elle-même finit par être retrouvée inconsciente de l’autre côté de la frontière par des ouvriers, qui recueillent le latex des arbres afin d’en faire du chewing-gum. Agnes ne tarde pas à semer le trouble dans le campement. Les chicleros indigènes finissent même par voir en elle une réincarnation de Xtabay, une ancienne légende maya se cachant au cœur de la jungle.

© 2020 Malacosa Cine / Varios Lobos / Manny Films Tous droits réservés

Couleur uniforme en attente de l’ennemi

Personne n’est le maître de la jungle. Bien au contraire, puisque elle grouille d’animaux dangereux et de plantes qui ne le sont pas moins. Or, seuls les esprits les plus purs en tiennent compte. A moins que les réflexions en voix off sur la traîtrise de la forêt tropicale ne soient qu’une variation du même registre de superstition que celui faisant croire aux industriels blancs qu’ils peuvent s’y servir à leur guise. A la fin de Selva tragica, il ne restera plus personne pour s’en mettre plein les poches, plus personne pour faire marche arrière dans cette mémoire naturelle qui enregistre le moindre passage, le moindre coup de machette fatigué. Il y aura juste la question laissée plutôt subtilement ouverte sur la finalité de tout cela. Adonnons-nous une seconde à de l’interprétation pure et dure et supposons que la réalisatrice ait voulu indiquer par voie filmique détournée que le contact entre notre environnement et nous-mêmes est irrémédiablement rompu.

Les agents de l’ombre, ces fauves et autres singes bruyants, agissent en effet en parallèle des méfaits de l’homme. Ce dernier ne meurt guère à cause de l’action directe d’un crocodile qui traverse tranquillement un bout de terre ou bien de centaines de fourmis qui pullulent sur le corps d’un ouvrier pris de panique plus tôt dans le récit. Il n’est pas davantage englouti par l’eau, omniprésente comme ce fut déjà le cas dans notre séance festivalière précédente, ni par la boue lors de la traversée d’un ruisseau. Tous ces éléments naturels demeurent ainsi le décor étrangement distant du jeu implacable de l’élimination auquel les personnages sont soumis bien malgré eux, quoique en même temps avec une fascination de leur part qui borde à l’obsession malsaine.

© 2020 Malacosa Cine / Varios Lobos / Manny Films Tous droits réservés

La peur du patron

Les modes d’organisation hiérarchique au sein des trois groupes de personnages qui s’affrontent à intervalles irréguliers tout au long de l’histoire traduisent par ailleurs des signes plus ou moins flagrants de dysfonctionnement. Tandis que les trois fuyards initiaux cohabitent dans une sorte d’entente tacite, faite de plaisir et de la quête d’un but commun, jamais explicité plus que la nécessité de partir le plus loin possible de leurs poursuivants, ceux-ci se distinguent par leur efficacité quasiment paramilitaire. Chez eux, on ne discute pas, on exécute les ordres, aussi froids et cruels soient-ils. Cela les fait certes sortir en tant que vainqueurs d’un point de vue matériel du match truqué qui rythme l’intrigue. Mais la mise en scène dispose de suffisamment de lucidité pour ne pas s’attarder outre mesure sur leur rôle dramatique principalement manichéen.

La composition de l’équipe des ouvriers mexicains est infiniment plus ambiguë et donc intéressante. Ses membres ont beau se masser comme des mâles en rut autour de leur proie féminine, ils adoptent un comportement plus nuancé, une fois que le temps de la première excitation aura passé. En effet, ce n’est que grâce à l’influence maléfique d’Agnes sur eux que cette femme, à mi-chemin entre la créature mythique maudite et la vierge prête à s’abandonner à des mœurs plus libres, finit par s’afficher. Ce basculement s’opère selon une douce fièvre progressive, jamais bousculée par un éventuel écart de ton de la mise en scène. Car cette dernière sait avant tout se mettre en valeur par le biais de son don d’observation à aucun moment tendancieux. Elle se montre seulement ouverte à toutes les influences que son périple au cœur de la jungle pourrait lui suggérer, sans l’ombre d’un excès.

© 2020 Malacosa Cine / Varios Lobos / Manny Films Tous droits réservés

Conclusion

Est-ce qu’on va sortir un jour des méandres de la jungle pendant l’édition 2020 du Festival de Biarritz ? La réponse est oui, bien sûr, puisque notre bref séjour touchera déjà à sa fin dès demain. Il n’empêche que le thème récurrent de notre emploi du temps arbitraire nous permet de mieux apprécier les nuances précieuses du traitement cinématographique de ce cadre si inhospitalier par sa sauvagerie.

Dans le cas de Selva tragica, nous sommes face à un film qui sait parfaitement alterner entre l’aventure des chercheurs d’or blanc et caoutchouteux et quelque chose de plus abstrait, qui relève autant du fantastique que d’une mise en abîme de la conception machiste de l’utilité des femmes dans un milieu par trop viril.

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